La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 4

 

Le soir de ce jour, il y avait encore une demi-douzaine depersonnes réunies chez la comtesse Artoff, et parmi elles,M. Paul Michelin.

– Eh bien ! dit la comtesse Artoff en le voyantentrer, nous apportez-vous des nouvelles de Rocambole ?

– On le cherche, dit le jeune avocat.

– Espérons qu’on le trouvera, dit la comtesse Artoff ensouriant.

La comtesse Vasilika s’écria :

– Mais, qu’est-ce donc que ce Rocambole ? C’est doncle Fra Diavolo moderne, le Cartouche du dix-neuvièmesiècle ?

– Peut-être, madame.

– Comtesse, dit la belle Russe s’adressant à Baccarat, vousparaissez en savoir très long là-dessus…

– En effet, dit Baccarat.

– Vous avez connu Rocambole particulièrement ?

– Oui, comtesse.

– Ainsi, vous le reconnaîtriez si vous le voyiez, dit PaulMichelin.

– À n’en pas douter.

M. d’Asmolles était impassible.

Baccarat lui fit un signe mystérieux qui signifiait sansdoute :

– Ne craignez rien.

Puis elle dit à Vasilika :

– Ma chère comtesse, si vous tenez absolument à ce que jevous dise ce que c’était que Rocambole, je vais vous le dire.

– Parlez, parlez, fit-on de tous les points du salon.

– Il y a quinze ans, reprit Baccarat, Paris s’éveilla unmatin en proie à une terreur vertigineuse ; une bande demalfaiteurs accomplissait les crimes les plus audacieux et les plusinouïs.

– Et leur chef était Rocambole ?

– Attendez… Ces malfaiteurs s’intitulaient le club desValets de cœur. Ils volaient et assassinaient les maris !ils se faisaient aimer des femmes.

– Voilà des malfaiteurs galants, en vérité, murmura lacomtesse Vasilika.

– Le chef de ces bandits ne s’appelait pas Rocambole, commevous l’avez cru, mais sir Williams. À la suite d’un drame qu’il estinutile de vous raconter, puisqu’il n’est question ici que deRocambole, le club fut dissous, et sir Williams disparut. Les unsdisent qu’il fut tué, les autres qu’on lui infligea un ténébreuxsupplice et qu’on l’expédia sur un navire qui le transporta, lesyeux crevés et la langue coupée, au milieu d’une peupladeanthropophage de l’Australie.

– Mais Rocambole ?

– Rocambole était son élève, son lieutenant, son alterego, poursuivit Baccarat. Il se dérobait par la suite auchâtiment qui l’attendait, et il emporta dans sa retraite unportefeuille qui avait appartenu à sir Williams. Ce portefeuillecontenait, dans une langue hiéroglyphique comprise de Rocamboleseul, des documents précieux. Sir Williams, toute sa vie, avait étécomme on dit, à la recherche d’une affaire. Voler centmille francs était pour lui une chose mesquine : c’étaient desmillions qu’il lui fallait. Or, poursuivit Baccarat, sir Williamsavait découvert qu’un certain marquis de C…, permettez-moi den’employer que des initiales, avait envoyé son fils aux Indes, àl’âge de huit ans. Ce fils, qu’on n’avait jamais revu, devait, s’ilrevenait jamais en France, retrouver une mère, une sœur et unefortune de plusieurs millions.

– Peste ! fit Paul Michelin.

– Un beau jour, cinq ans après la disparition de Rocambole,la marquise de C… et sa fille virent arriver un brillant officierde la marine anglaise qui se jeta à leur cou, les appela ma mère etma sœur, et leur prouva clair comme le jour qu’il était leur filset leur frère.

– Et c’était Rocambole ?

– Justement. Mais attendez…

Et Baccarat regarda M. d’Asmolles, qui ne sourcillait pas.Puis elle continua :

– Pendant plusieurs années, Paris entier prit cetaventurier pour le marquis de C… Il était élégant, spirituel,brave, beau cavalier, bon joueur. La marquise de C… était morte enl’appelant son fils, mademoiselle de C… l’adorait, et, chosebizarre, il aimait la jeune fille, non point d’amour, mais comme sielle eût été réellement sa sœur.

– Je devine la suite, dit la comtesse Vasilika.

– Je ne crois pas, comtesse.

– Le vrai marquis revint…

– Non, pas tout de suite, Rocambole croyait l’avoirtué.

– Ah ! vraiment ?

– Mais Rocambole, poursuivit Baccarat, ne se contentant pasdes millions du marquis de C…, aspirait à la main et à la fortuned’une riche héritière. Ce fut ce qui le perdit.

– Comment cela ?

– Pour arriver à son but il entassa crimes sur crimes, tuases rivaux – il en avait plusieurs –, et réveilla la haine assoupied’une femme qui lui avait presque pardonné.

– Quelle était cette femme ?

– Une pauvre pécheresse dont il avait brisé la vie,autrefois, en brisant l’amour qu’elle avait au cœur. La pécheresses’était repentie, elle était devenue une honnête femme : ellerachetait son passé en faisant du bien et en prenant sous saprotection des êtres faibles et victimes. La mauvaise étoile dufaux marquis de C… voulut que cette femme le rencontrât de nouveausur son chemin. Elle reconnut Rocambole. Alors ce fut entre eux unelutte sans trêve ni merci, une lutte longue, acharnée, terrible. Lafemme échappa souvent à la mort par miracle ; puis elleretrouva le vrai marquis de C… et Rocambole fut vaincu. Saténébreuse épopée finit par le bagne.

– Mais quelle était cette femme ? demanda la comtesseVasilika.

– Vous tenez à le savoir ?

– Oui, oui.

– Elle se nommait Baccarat.

– Singulier nom !

– Elle en a un autre aujourd’hui.

– Ah !

– Elle s’appelle la comtesse Artoff… Cette femme, c’estmoi !

Ce fut un coup de théâtre.

– Madame, dit Paul Michelin avec respect, vous vous êtescalomniée tout à l’heure. Vous avez toujours été un ange.

La comtesse Vasilika ne souffla mot. Elle regardait Baccaratavec une sorte de stupeur, et sentait s’augmenter en elle la vaguedéfiance qu’elle éprouvait depuis que Baccarat avait dit qu’elle necroyait point à la folie d’Yvan Potenieff.

– Mais vous, madame, vous, mieux que personne, vousreconnaîtriez Rocambole ?

– Oh ! certainement, moi et une personne qui est iciparmi nous et que je supplie de rester impassible.

– Une personne qui l’a connu aussi ?

– Oui, qui a vécu dans son intimité pendant plusieursannées, le croyant réellement le marquis de C…

– Et cette personne est ici ?

– Oui.

– Parole d’honneur, murmura le jeune avocat, il y a desromans moins compliqués que cela.

Baccarat répondit en souriant :

– Celui-ci a été long, en tout cas !

– Qui sait, fit M. d’Asmolles, jusque-là silencieux,s’il est fini ?

– Mais non, dit Paul Michelin, puisque Rocambole s’estévadé du bagne, et qu’il s’appelle maintenant le major Avatar.

Comme il disait cela, un domestique entra, apportant une cartede visite sur un plateau. Baccarat la prit, puis elle poussa un crid’étonnement si naturel que tout le monde y fut pris.

– Ah ! par exemple ! dit-elle, le romancontinue.

– Plaît-il ? fit la comtesse Vasilika. Baccaratcontinua :

– M. le major Avatar vient de me faire passer sacarte, et il insiste pour être reçu, malgré l’heure avancée.

Le nom du major Avatar produisit une commotion électrique.

– Rocambole, murmura-t-on.

– Si c’est lui, je le reconnaîtrai bien, dit Baccarat, etil est une autre personne ici, comme je vous l’ai dit, qui lereconnaîtrait pareillement.

Paul Michelin s’écria :

– Et vous allez le recevoir ?

– Mais sans doute.

Et Baccarat se tourna vers le valet qui, immobile, attendait unordre.

– Faites entrer, dit-elle, M. le major Avatar.

Alors tous les regards se tournèrent vers la porte avec unecuriosité mêlée d’effroi…

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