La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 17

 

M. de Morlux et la comtesse Vasilika étaient en tête àtête.

– Monsieur, disait la belle Russe, avant d’aller plus loin,il faut savoir au juste où nous allons, vous et moi.

M. de Morlux s’inclina.

– Quel est notre but premier ? Vous ne voulez pasrestituer la fortune de la baronne Miller à ses enfants, n’est-cepas ?

– Naturellement, dit avec cynismeM. de Morlux.

La comtesse eut un sourire.

– Je comprends cela, dit-elle. Et pour arriver à cerésultat, vous n’avez reculé devant rien. Vous avez fait enfermerd’abord l’une des deux jeunes filles à Saint-Lazare. Puis quand cethomme, qui est véritablement une puissance et qu’on appelleRocambole, l’en a tirée, vous avez voulu le faire assassiner.

M. de Morlux demeura impassible.

– Après ? dit-il.

– En même temps, reprit Vasilika, vous couriez en Russie àla recherche de Madeleine.

Le vicomte pâlit et poussa un soupir.

– Deux fois vous avez eu sa vie entre vos mains. Vouspouviez la jeter en pâture à la bande de loups qui voussuivait ; vous pouviez, durant son sommeil, lui casser la têted’un coup de pistolet. Vous n’avez rien fait du tout.Pourquoi ? C’est que Madeleine vous a tout à coup inspiré unepassion insensée, à vous, vieux criminel à cheveux blancs.

M. de Morlux eut un nouveau soupir qui ressemblait àun gémissement.

– Vous êtes revenu en France, continua Vasilika. Là,Antoinette vous a échappé une seconde fois et ce n’est plus un seulprotecteur qu’elle a, c’est deux. La comtesse Artoff a pris lesdeux jeunes filles chez elle. Elles sont plus en sûreté auprèsd’elle que dans la plus épaisse des forteresses.

– Hélas ! soupira le vicomte.

– Donc, où en êtes-vous ? Vous n’êtes pas plus avancéque le premier jour, au contraire, vous avez beau tenir votre neveuen chartre privée depuis huit jours. Rocambole le délivrera commeil a délivré Antoinette. Et votre neveu, au risque de compromettrele nom qu’il porte, vous demandera compte du sang de la baronneMiller.

M. de Morlux regardait Vasilika et l’écoutait avec unesorte d’effroi. Elle continua :

– Vous vous êtes adressé, pour vous servir, à un intrigantde bas étage, ancien espion, ancien homme d’affaires ; cethomme a été battu, cet homme vous a volé !

– C’est vrai ! soupira Karle de Morlux.

– Si j’avais été dans votre jeu plus tôt, poursuivitVasilika, vous seriez vainqueur sur toute la ligne.

– Qu’auriez-vous donc fait, madame ? dit levicomte.

– Une chose bien simple.

– Voyons ?

– J’aurais pris mon neveu Agénor à part et je lui auraisdit : tu aimes mademoiselle Antoinette ; choisis :ou me trouver sans cesse sur ton chemin et te voir dans lanécessité de me traîner en cour d’assises comme voleur et commeassassin, ou renoncer à la fortune que j’ai à elle. Tu es assezriche pour deux. Si tu veux, je ne m’oppose plus à ton mariage.

– Et vous croyez…

– Je crois que la jeunesse est essentiellement généreuse etdésintéressée.

– Après ? fit M. de Morlux.

– Quand un homme de votre âge aime, il est mortellementatteint. L’amour, à trente ans, se guérit ; à soixante, il estincurable.

– Hélas ! gémit M. de Morlux.

– Vous avez voulu tuer Madeleine… Pourquoi ? pour voustromper vous-même… Mais le bras vous a failli aussi bien que lecœur.

– C’est vrai…

– Vous, qui n’avez vécu jusqu’ici que pour conserver lefruit de votre crime, vous n’avez plus qu’une pensée, qu’un but,qu’un rêve, Madeleine !

– C’est vrai… c’est vrai !… murmura Karle de Morluxd’une voix sourde.

Vasilika reprit :

– Tranquille du côté d’Agénor, si vous épousiezMadeleine…

Le vicomte pâlit.

– Taisez-vous, madame ! dit-il, au nom duciel !

– Pourquoi ?

– Vous savez bien qu’elle aime Yvan Potenieff !

– Si je ne le savais pas, serais-je ici ? réponditVasilika avec un dédaigneux sourire.

– C’est juste.

– Madeleine aime Yvan ; mais vous savez bien aussi,que si je suis venue à vous, l’homme aux mains couvertes de sang,moi la femme vindicative, cruelle, sauvage, je le veux bien, maisirréprochable, après tout, c’est que j’ai fait le serment deséparer Madeleine d’Yvan par tous les moyens et à tout jamais.

– Tout cela ne sera pas, murmura le vicomte Karle. QueMadeleine m’aime, jamais.

– Que vous importe, si elle vous épouse ?

– Jamais elle n’y consentira, fit M. de Morluxavec une rage sourde.

– Qui sait ?

– Vous obtiendrez ce résultat, vous ? fit-il enregardant Vasilika d’un œil hagard.

– Écoutez-moi, dit-elle encore, vous êtes criminel, je suispure. Je n’ai pas encore une seule tache de sang sur mes mains, etsi elles en sont jaspées quelque jour, ce sera de celui d’Yvan.

– Eh bien ? demanda-t-il, acceptant le ton de suprêmedédain de Vasilika.

– Je ne veux pas vous servir de complice ; mais, sivous me servez, je puis vous conseiller.

– Ah !

– Agénor épouserait Antoinette et vous abandonnerait sadot ; Madeleine consentirait un jour ou l’autre à devenirvotre femme, si un homme et une femme ne se trouvaient sur votrechemin : une femme, la comtesse Artoff ; un homme,Rocambole.

Ce nom donnait toujours le frisson à M. de Morlux.

– Je me charge de la comtesse, poursuivit Vasilika.

« La lutte sera longue, acharnée, savante et terrible, maisj’ai un moyen suprême que j’emploierai.

– Quel est-il ?

– Je la ferai rappeler en Russie. Elle est femme d’un sujetdu czar. Quand le czar ordonne, il faut obéir.

– Vous êtes donc bien puissante à Pétersbourg ?

– Peut-être.

– Mais… Rocambole…

– C’est votre affaire !

– J’ai lutté, j’ai été battu.

– Parce que vous n’aviez pas trouvé le défaut de lacuirasse.

– Ah !

– Savez-vous le secret de cet homme ?

– Non.

– Cet homme a un amour au cœur. Est-ce l’amourpaternel ? est-ce un autre amour ? Je ne sais pas.

– Pour qui ?

– Pour une femme qu’il appelait sa sœur autrefois, quand ils’était incarné dans la personnalité du marquis de Chameryabsent.

– Eh bien ?

– C’est là qu’il faut frapper pour lui faire perdre latête. Il s’intéresse à Antoinette et à Madeleine, sans doute, maisl’intérêt qu’il leur porte est le résultat de son repentir. C’estune mission qu’il s’est imposée, voilà tout. Que la vicomtessed’Asmolles soit en péril, et vous verrez…

– Mais quel danger…

– Qu’elle soit frappée d’un grand malheur…

– Que peut-il donc lui arriver ?

– Ceci est votre affaire et non la mienne, dit Vasilika,toujours hautaine et dédaigneuse.

– Mais…

– Vous n’en êtes pas à un crime près, n’est-cepas ?

Et elle eut un rire diabolique. M. de Morlux futrepris de ce frisson qui s’emparait de tout son être chaque foisqu’on parlait de Rocambole.

– Madame d’Asmolles a un mari, poursuivit Vasilika ;elle a un enfant…

– Eh bien ?

– Cherchez !… Le mari peut avoir un duel… l’enfantpeut… disparaître…

– Madame !…

– Cherchez ! c’est votre affaire et non la mienne, ditVasilika.

Les cheveux blancs du vicomte se hérissaient :

– Ah ! dit-il, vous avez un génie infernal !

– J’aimais Yvan, et je le hais avec furie ! dit-elle.Il n’est rien de tel que les passions violentes pour développerl’imagination. Au revoir, vicomte.

Et elle fit un pas vers la porte.

– Quand vous reverrai-je, madame ? ditM. de Morlux en la reconduisant.

– Demain.

– À la même heure ?

– Peut-être.

Et elle sortit. M. de Morlux se laissa tomber sur unsiège, prit sa tête à deux mains et se remémora les sinistresparoles de Vasilika. Pour paralyser Rocambole, il faudrait queBlanche de Chamery fût frappée d’un grand malheur… Son mari tué enduel… Son enfant disparu… Le vicomte Karle de Morlux avait àchoisir et continua à rêver.

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