La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 41

 

Rocambole était fort élégamment vêtu et il réalisait assez bienle type d’un brigand d’opéra-comique chéri des dames.

– Madame, dit-il à Vasilika, vous plaît-il de m’écouter unmoment.

Sa voix avait retrouvé ce timbre caressant qui charmait etn’était pas pour peu de chose dans ce pouvoir de fascination quetant de gens avaient subi autour de lui.

– Parlez, lui dit Vasilika.

Et comme si elle se fût trouvée en présence d’un homme du vraimonde, elle lui indiqua un siège. Mais Rocambole refusa en souriantet demeura debout.

– Un soir, madame, reprit-il, chez la comtesse Artoff onvous a dit mon histoire ; je n’ai donc rien à vousapprendre.

– Absolument rien, dit Vasilika.

– Les circonstances m’ont jeté sur votre route et nous ontfait ennemis. Mais je puis me justifier d’un mot. Au bagne, où j’ailongtemps souffert, j’ai trouvé un ami…

Vasilika l’interrompit d’un geste.

– Je sais le reste, dit-elle. Cet ami se nomme Milon… ilaime Madeleine comme son enfant. Vous aimez Milon, et vous avezassuré le bonheur de Madeleine.

– J’ai fait mon possible, du moins.

Puis Rocambole ajouta :

– Je viens vous proposer la paix.

– À moi ?

Et Vasilika eut un rire moqueur.

– À vous, madame.

– À quelles conditions, mon Dieu !

Il parut hésiter un moment, puis faire un violent effort surlui-même.

– Croyez-vous, dit-il, que dix années de bagne puissentjamais s’oublier ? Eh bien ! c’est la comtesse Artoff,c’est la Baccarat qui m’a envoyé au bagne !

– Et vous la haïssez ?

– De toute mon âme.

– Et vous pensez que je pourrais bien la haïraussi ?

– Peut-être…

Vasilika regardait attentivement Rocambole, et son regardsemblait vouloir plonger jusqu’au fond de son âme au travers de cemasque impassible.

– Eh bien ! troc pour troc, dit-elle. Si vous voulezde mon alliance, livrez-moi Yvan.

Rocambole secoua la tête.

– Impossible ! dit-il.

– Pourquoi ?

Et elle le regarda plus fixement encore, ajoutant :

– Votre affection pour Milon est donc plus grande que votrehaine ?

– Non.

– Vous craignez donc de briser le cœur de cette chèreMadeleine ?

Rocambole ne sourcilla pas :

– Non, dit-il, sans que sa voix s’altérât.

– Alors, reprit Vasilika, expliquez-vous.

Et elle continua à lui sourire. Cette fois Rocambole s’assit.Non plus dans le fauteuil que Vasilika lui avait indiqué d’ungeste, mais sur le bord du divan à la turque sur lequel Vasilikaétait à demi couchée. La belle Russe ne se fâcha point ; ellene protesta ni par un geste ni par un mouvement de ses sourcilsolympiens contre l’audace de cet homme qui avait porté la livrée dubagne. Elle demeura même souriante et calme, semblable à lapanthère qui se chauffe au soleil, étend voluptueusement sesmembres flexibles et les yeux à demi fermés contemple la proie surlaquelle elle va bondir.

– Vous me demandez pourquoi je ne veux pas vous livrerYvan ? reprit-il.

– Oui, puisque le bonheur ou le malheur de Madeleine vousest indifférent.

– Parce que vous l’aimez peut-être encore…

– Bah ? que vous importe ?

– Savez-vous, dit-il, que la perversité attire laperversité, qu’une nature effroyablement et splendidement mauvaisecomme la vôtre attire une nature comme la mienne.

– Vraiment ? dit-elle.

Et le sourire n’abandonna point ses lèvres.

– Oui, continua Rocambole, on ne peut pas lutter impunémentavec une femme comme vous.

Il osa lui prendre la main. Elle ne la retira pas.

– Vous êtes assez grande dame, poursuivit-il, pour toutcomprendre. En vous haïssant, je vous eu aimée… Ce matin, j’aiordonné à Milon de vous tuer, et quand on me l’a rapporté à demimort et que j’ai su que vous étiez vivante, j’ai faillim’évanouir…

Vasilika ne répondit pas.

– Je vous aime, poursuivit Rocambole, en vertu de cette loifatale qui veut que le mal attire le mal. Je vous aime parce quevous avez un cœur de démon dans le corps d’un ange ; parce quevous êtes perverse, parce que vous êtes belle… parce que noussommes faits pour nous comprendre…

Et Rocambole, alors, se mit à parler le langage vertigineux dela passion. Et il se mit aux genoux de la comtesse et lui baisa lesmains avec transport. Et elle continua à sourire et se laissaganter de baisers. Cet homme qui avait joué tant de rôles en savie, n’avait peut-être jamais été meilleur comédien. Il eut descris du cœur, des élans de passion, des tendresses infinies, dessourires à damner une sainte. Il fut splendide d’audace et de grâceingénue tour à tour. Et Vasilika l’écoutait toujours, et elle luidit :

– Savez-vous que vous êtes vraiment beau ?

– Je vous aime… répondit-il.

Puis, se levant tout à coup et la prenant dans sesbras :

– Sais-tu, dit-il, que j’ai tout préparé pour notrefuite ?… Nous partons ce soir, tout à l’heure… Je t’enlève, ôma reine !… Une chaise de poste nous attend…

– Pourquoi partir ? dit-elle d’un ton de reproche. Nepouvons-nous donc nous aimer ici ?

– Ici ?… oh ! non… Plus tard, nous reviendrons…Mais je veux être seul avec toi… je veux t’arracher au mondeentier… je veux…

– Ce que tu veux, je le veux, dit-elle.

Rocambole jeta un cri de joie.

– Prends un châle, un manteau de voyage, dit-il, etpartons…

Mais un éclat de rire lui répondit, et il recula d’un pas.Vasilika s’était échappée de ses bras.

– Mon doux seigneur, lui dit-elle, vous parlez d’amourcomme don Juan lui-même, mais je ne vous crois pas.

– Pourquoi donc ne me crois-tu pas ? dit-il.

– Parce que ce n’est pas moi que tu aimes, mon beauséducteur.

Et sa voix devint railleuse et sifflante. On eût dit la lameflexible d’une épée battant l’air.

– Oh ! fit-il encore.

– La femme que tu aimes, je vais te dire son nom, continuaVasilika.

Il crut qu’elle faisait allusion à Vanda.

– Celle-là, dit-il, je ne l’aime plus.

– Je ne parle pas de Vanda, dit-elle.

Rocambole tressaillit.

– Et de qui donc ? dit-il.

– De Madeleine, répondit-elle ; et cet amour c’est tonchâtiment ; c’est la moitié de ma vengeance.

Une pâleur livide se répandit sur le visage de Rocambole.Vasilika lui dit encore :

– Seulement, tu avais besoin de me tromper encore, et tu esvenu me parler d’amour, à moi que tu redoutes… à moi qui tehais !…

Rocambole répliqua froidement :

– Vous êtes plus forte que je ne croyais, madame, maisvotre force devient votre faiblesse.

– Tu crois ?

– Oui, parce que je vais être obligé de vous tuer.

Et il se rua sur elle, et Vasilika vit briller la lame d’unpoignard qu’il tenait à la main.

– Grâce ! dit-elle.

Cette fois, sa voix trahissait son épouvante. Elle avait lu sonarrêt de mort dans les yeux de Rocambole.

– Grâce ! fit-il en ricanant. Vous ne le pensez pas…Je ne suis pas Milon, moi…

Mais les dents de Vasilika claquaient. Elle était tombée àgenoux ; elle joignait les mains, elle demandait la vie,balbutiant :

– Je renonce à me venger… je partirai… ce soir… tout desuite… mais grâce !…

– Non, dit Rocambole.

Elle se traîna à ses genoux.

– Je ne veux pas que vous mourriez sans vous repentir,dit-il. Je vous donne cinq minutes pour prier… Mais ne criez pas,ou je frappe tout de suite.

Tout à coup une pensée rapide éclaira son cerveau.

– Le sang me répugne, dit-il ; voulez-vousvivre ?

Elle était à genoux ; elle se releva d’un bond.

– Vivre ! dit-elle ; vivre !… Que faut-ilfaire ?

– Il faut être morte pour cinq jours.

Et comme elle le regardait avec égarement.

– Dans cinq jours, poursuivit-il, Yvan et Madeleine serontmariés, heureux, et ils auront quitté Paris. Ils ne vous craindrontplus. Il faut donc que pendant cinq jours vous soyez supprimée dece monde.

– Je ne comprends pas, balbutia-t-elle.

Il avait une bague au doigt. Il en dévissa le chaton :

– Puisque vous savez mon histoire, dit-il, vous devezsavoir comment j’ai sauvé Antoinette de Saint-Lazare.

– Oui.

– Eh bien ! avalez ce grain noirâtre… là…sur-le-champ… ou je fais de votre sein le fourreau de cepoignard.

– Démon ! murmura Vasilika, tu le ferais comme tu ledis.

Et elle avala le grain noirâtre que lui tendit Rocambole ;et soudain elle tomba à la renverse. Elle paraissait foudroyée…Rocambole respira alors et murmura :

– Elle ne me gênera plus.

Puis il ouvrit la croisée de son boudoir, sauta dans le jardinet disparut.

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