La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 20

 

Un matin, dans cette même maison de la rue de Chaillot où ilavait conduit Agénor, M. le colonel Guépin disait à safille :

– Voici quatre jours que nous n’avons pas vu Timoléon.

– Depuis le soir où le vicomte de Morlux lui a comptél’argent convenu.

– Nous aurait-il floués ? dit le colonel.

– Non, dit Mlle Guépin ; mais il apeut-être échoué.

– L’autre s’est évadé peut-être.

L’autre, c’était Rocambole.

– Ma foi ! dit le colonel, voici trois jours que nousattendons les trente mille francs en question. Si ce soir il n’estpas venu.

– Eh bien ?

– Je lâche l’oiseau prisonnier.

– Agénor ?

– Mais, oui.

– Chut ! fit Mlle Guépin, on asonné.

En effet, la cloche de la rue s’était fait entendre.

– C’est lui sans doute, dit le colonel.

Et il ouvrit la croisée et s’y pencha, tandis queMlle Guépin allait ouvrir la porte. Ce n’était pasTimoléon, mais le facteur. Ce qui était bien plus étonnant, car nile colonel ni sa fille n’avaient jamais reçu de lettre à cedomicile improvisé. Le facteur apportait une lettre timbrée deLondres. Mlle Guépin s’écria :

– C’est l’écriture de Timoléon !

– Parti ! murmura le colonel.

Quand le facteur fut sorti, le père et la fille se regardèrentavec une sorte de stupeur.

– Je n’ose pas ouvrir cette lettre, ditMlle Guépin.

– Parbleu ! répondit le colonel avec une arrièreironie, elle est assez mince pour qu’on voie qu’elle ne renfermepas des valeurs.

– Floués ! murmura la belle brune.

– Archifloués ! dit le colonel.

Mlle Guépin décacheta la lettre brusquement etlut :

« Mes enfants, tirez ce que vous pourrez d’Agénor, c’estvotre affaire.

« Moi, je suis retiré et ne me mêle plus de rien.

« TIMOLÉON.

La lettre échappa aux mains de Mlle Guépin.

– Eh bien ! dit froidement le colonel, il a raison,c’est Agénor qui paiera tout.

Mlle Guépin frissonna.

Il y eut entre le colonel Guépin et sa fille un moment desilence.

– Voyons, mon père, dit celle-ci, que comptez-vousfaire ?

– Une chose bien simple.

– Voyons…

– Vendre à Agénor sa liberté cent mille francs.

– Mais il n’a pas cent mille francs sur lui.

– Qu’est-ce que cela fait s’il paie dans lajournée ?

– Vous êtes naïf, mon père.

– En quoi ?

– En ce que, une fois hors d’ici, Agénor, au lieu d’aller àla banque, s’en ira chez le commissaire de police.

– Si je savais cela, je le tuerais !

– Meurtre inutile…

– Que faire alors ?

– Je le sais, moi.

– Ah ! fit le colonel, regardant avidement sa filleparler.

– Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais je le devine.Sans cela, Timoléon ne serait pas parti pour Londres.

– Eh bien ! que s’est-il passé ?

– Rocambole aura enfoncé le curieux, comme ditTimoléon. Il lui aura prouvé clair comme le jour qu’il s’appelle lemajor Avatar.

– Bon ! après ?

– Après, il aura retrouvé Antoinette, l’aura délivrée…

– Fort bien.

– Et Timoléon, pris de peur, aura filé.

– Tout cela n’a aucun rapport avec Agénor.

– Pardon, vous allez voir. Il y a huit jours que noustenons ce malheureux garçon pieds et poings liés dans la cave decette maison. Il a d’abord voulu se laisser mourir de faim ;puis il a consenti à manger.

– Que te dit-il quand tu lui portes sanourriture ?

– Rien, répondit Mlle Guépin. Il tourne àl’hébétement et à la folie ; et il répète le nom d’Antoinettemille fois par heure.

– Où veux-tu en venir ?

– À ceci. Il faut savoir où est Antoinette.

– Et puis ?

– Quand nous le saurons, je me charge du reste.

– Mais comment le savoir ?

– Je vais aller faire un tour à Paris. Je serai de retourdans une heure. Et Mlle Guépin s’apprêtait àsortir, lorsque la cloche de la rue se fit entendre une secondefois. Le colonel se mit de nouveau à la fenêtre. Il reconnut levisiteur. C’était Polyte. Polyte, le voleur qui avait fait arrêterAntoinette une première fois, qui, ensuite, s’était constitué songardien dans la maison de la rue de Bellefond, et qui, comme nousl’avons vu, était tombé au pouvoir de Vanda et de Marton. Polyteavait l’air tout bouleversé.

– Qu’y a-t-il encore ? demanda le colonel qui, à sontour, alla ouvrir.

– Il y a, dit-il, qu’il faut filer. Rocambole estlâché.

– Oui… mais la petite…

– Ils l’ont reprise. J’ai été leur prisonnier pendant deuxjours, moi, le prisonnier de deux femmes qui m’ont roulé comme ungamin ! murmura Polyte avec colère.

Le colonel et sa fille se consultèrent du regard.

– Es-tu toujours crâne ? ditMlle Guépin en regardant Polyte.

– Je ne sais plus… Ces deux femmes m’ont démoralisé…

– Mais enfin, on peut bien compter sur toi pour donner uncoup de couteau ? Il y a mille francs à gagner.

– Ça va, dit Polyte.

– Alors, dit la belle brune, laissez-moi faire.

Elle alluma une bougie.

– Où vas-tu ? demanda le colonel.

– Négocier un emprunt de cent mille francs, répondit-elleen riant.

Et elle sortit.

 

Depuis sept jours, Agénor de Morlux avait passé par toutes lesangoisses du désespoir, par toutes les tortures morales de l’hommequi aime et ne sait pas si la femme aimée est morte ou vivante.Surpris dans l’obscurité, renversé, garrotté avant qu’il eût mêmesongé à opposer la moindre résistance, Agénor avait cru être lejouet d’un cauchemar. Mais le sentiment de la réalité lui étaitaussitôt revenu, lorsqu’il avait entenduMlle Guépin lui dire d’une voixrailleuse :

– Maintenant, cherche Antoinette !

Dès lors, Agénor avait compris. Les gens qui avaient faitdisparaître la jeune fille le tenaient en leur pouvoir. Quevoulaient-ils faire de lui ? Qu’avaient-ils fait d’elle ?Enfin, à cette heure, Agénor sentait sa raison lui échapper.C’était là un double problème qui lui paraissait insoluble aprèssept jours et sept nuits de réflexions et d’insomnie. Ses ennemis àlui étaient les ennemis d’Antoinette ; et Agénor lesconnaissait… C’étaient les agents secrets de son oncle, de cemisérable Karle de Morlux, qui était le frère de son père.

– L’homme qui avait empoisonné la baronne Millerreculerait-il devant un nouveau meurtre ?

Agénor ne le pensait pas. D’abord il avait hurlé comme une bêtefauve prise au piège ; puis il avait essayé de briser sesliens. Efforts inutiles ! Puis il était tombé en une sorte deprostration morale et physique qui était allée augmentant chaquejour. Lorsque la porte de son cachot improvisé s’ouvrit ; carce cachot était une cave vulgaire, une simple cave dans laquelle ily avait encore quelques futailles vides, quand cette porte s’ouvritet qu’il vit paraître Mlle Guépin une lampe à lamain, ne daigna-t-il pas lui adresser la parole. Mais elle posa sabougie sur une futaille renversée et lui dit :

– Monsieur, je viens vous rendre la liberté.

Ces mots furent magiques. L’œil morne d’Agénor eut un éclair etil se dressa péniblement sur son séant, la regardant avec uneavidité fiévreuse. Elle demeura debout et continua aveccalme :

– Non seulement, dit-elle, c’est la liberté que je vousapporte, mais je viens vous dire où vous trouverez saine et sauveMlle Antoinette Miller, votre fiancée.

Agénor eut un cri de joie. Mlle Guépinpoursuivit :

– Seulement, monsieur, vous me permettrez de m’expliquersur votre captivité d’une semaine et sur les motifs qui ont animéma conduite et celle de mon père vis-à-vis de vous.

Et comme il la regardait avec défiance :

– Nous ne sommes les agents de personne, dit-elle.

Ce mot était de nature à plonger Agénor dans une nouvellestupéfaction. La belle brune continua avec un calmecynique :

– Mon père et moi nous avons fondé une industrie qu’onpourrait appeler le chantage à l’amour. Nous avons denombreux agents et nous faisons d’assez beaux bénéfices. On vousavait enlevé Mlle Antoinette ; nous avons misen chartre privée nous disant que le jour où nous saurions cequ’était devenue votre fiancée, vous seriez trop heureux de nousdonner cent mille francs.

Tandis qu’elle parlait, Agénor avait recouvré sa présenced’esprit.

– Vous êtes des misérables ! dit-il.

Elle se mit à sourire.

– Je ne vous chicanerai pas sur les mots. Nous n’en avonspas le temps.

– Et si je vous donne cent mille francs ! fit-il avecdédain.

– Je vous délierai les pieds et les mains.

– Et vous me laisserez sortir ?

– Sans doute.

– Et vous me direz où est Antoinette ?

– À coup sûr.

– Vous pensez bien que je n’ai pas cent mille francs dansma poche.

– Naturellement.

– Il faudra que j’aille chez moi…

– Tout est prévu, dit Mlle Guépin.

Il regarda une fois encore.

– Vous pensez bien, reprit-elle, que, si nous vousdisons : Allez-vous-en, vous trouverezMlle Antoinette à tel endroit, et vous nousenverrez cent mille francs, nous n’y comptons pas une minute.

– Je n’ai qu’une parole, dit Agénor.

– C’est possible, mais il vaut mieux tenir que courir.Quand nous aurons les cent mille francs, vous saurez où estAntoinette.

– Soit, dit le jeune homme.

– Mon père a un ami qui est un vigoureux gaillard. Lui etmoi nous monterons avec vous dans un fiacre, et nous irons chezvous rue de Surène, vous devez avoir là soit vos titres, soit desrécépissés de la banque.

– J’ai un coupon de six mille francs de rente dans untiroir de mon secrétaire.

– Vous nous le donnerez ? Ah ! je dois vousprévenir d’une chose.

– Laquelle ?

– C’est que l’ami de mon père vous planterait un couteaudans la poitrine, si durant le trajet vous faisiez mine d’avertirun sergent de ville.

– Déliez-moi, dit Agénor.

Mlle Guépin prit un couteau qu’elle avaitapporté pour couper les cordes qui liaient Agénor, lorsque soudainune détonation se fit entendre. Elle bondit, pâle et frémissante,vers la porte de la cave. Comme elle en franchissait le seuil, elleentendit un second coup de pistolet.

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