La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 6

 

Il y avait trois jours que Rocambole s’était remis à l’œuvre etfouillait Paris pour retrouver le fils de Blanche de Chamery. Unhomme comme lui ne pouvait prendre le change. Dès le jour même, ilfut fixé sur ceux qui avaient enlevé l’enfant. Le coup partait dela main de Vasilika. Et ce coup n’était pas destiné à un autre qu’àlui. Avec cette logique merveilleuse qu’il possédait au plus hautdegré, Rocambole se dit : « Vasilika a quittéParis ; mais elle y est revenue presque aussitôt. Vasilika areporté sur moi toute la haine qu’elle avait vouée à Yvan, etVasilika ne fait pas l’abandon de ses haines. Or,M. d’Asmolles et sa femme lui sont parfaitement indifférents,et elle n’a à tirer d’eux aucune vengeance. C’est donc moi qu’elleveut frapper dans ma seule affection, dans ce sentiment presquesaint qui a éclairé d’un reflet céleste ma vie souillée. C’est doncentre Vasilika et moi une superbe et dernière lutte. »Rocambole avait été en quelques heures sur la trace des événementset des faits qui avaient précédé et suivi l’enlèvement du fils deBlanche. Le Russe, cherchant une condition en entrant chezLelorieux juste au moment où M. d’Asmolles s’y trouvait ;cet homme se faisant admettre comme chef d’atelier dans lesateliers du carrossier à la mode, puis travaillant laborieusement àla construction de la troïka ; ensuite, procurant àM. d’Asmolles l’acquisition des trois chevaux russes, toutcela s’enchaînait merveilleusement. Rocambole voulut parcourir lechemin fait par l’attelage emporté. Il le suivit comme à la trace,bien qu’à vingt-quatre heures de distance, depuis les bords du lac,à travers Passy et Auteuil, jusqu’à ce quartier désert et tortueuxqui sépare le Gros-Caillou de Grenelle. Pour lui, il était unechose qui ne pouvait faire un doute, c’est que des chevauxréellement emportés n’auraient pu parcourir ce méandre de petitesrues sans briser vingt fois la troïka et se tuer eux-mêmes. Rien detout cela n’était arrivé. Enfin, au portrait qu’on lui en avaitfait, Rocambole avait reconnu Vasilika dans cette dame blonde quipassait là tout exprès quand la voiture versait, et que l’enfanttombait du siège sur le pavé. Quant au cocher russe, il avaitramené ses chevaux à l’écurie, était sorti sous un prétexte etn’avait plus reparu. Où était allé le coupé ? Qu’était devenuela dame blonde ? Où était l’enfant ? Ces trois questionsparaissaient insolubles. Rocambole, Milon, Vanda, Noël, avaientremué Paris, et Paris interrogé demeurait muet. L’enfant ne seretrouvait pas. Cependant Rocambole avait une idée fixe. Il étaitpersuadé que l’enfant n’était pas loin de l’endroit où Vasilikal’avait enlevé. Tandis que Milon et les autres battaient Paris,Rocambole revenait sans cesse à ce quartier du Gros-Caillou où latroïka avait versé. Il y venait sous tous les costumes et à toutesles heures. Tantôt habillé en maçon ou en serrurier, il entraitdans les cabarets borgnes et les bouchons alimentés par leschantiers de constructions voisins. Tantôt, fringant cavalier, il ypassait à cheval, le lorgnon dans l’œil et le stick à la main. Ilavait fini, au bout de trois jours, par connaître chaque maison,chaque coin de rue et presque chaque pierre. Le soir du troisièmejour, il dit à Milon :

– Viens avec moi.

– Où donc ? demanda le vieux colosse.

– Toujours là-bas…

– Mais, maître, dit Milon, vous devez pourtant bien penserque ce n’est pas là que la dame russe s’est cachée.

– Viens toujours.

Vanda, qui assistait à cet entretien, dit à son tour :

– J’y vais aussi.

– Ah ! tu crois, toi ? fit Rocambole.

– Oui, maître.

Ils partirent. Milon avait l’air d’un gros intendant de grandemaison, avec sa redingote de drap marron, boutonnée jusqu’en haut.Rocambole était redevenu le major Avatar. Vanda, pour être pluslibre, avait adopté le costume masculin. Sa blonde cheveluredisparaissait dans les profondeurs d’une casquette ronde. Uneredingote ajustée emprisonnait sa taille élégante. On eût dit unadolescent. Tous trois étaient armés. Ils descendaient auGros-Caillou comme dix heures du soir venaient de sonner. Il avaitplu toute la journée ; il tombait même encore un brouillardhumide qui pénétrait jusqu’à la moelle des os. Les jours de pluie,le quartier du Gros-Caillou et du Petit-Grenelle est désert. Celatient à une chose fort simple. Les chantiers ont été désertés dansla journée. Le soir, les cabarets font relâche.

– On ne m’ôtera jamais de l’idée, dit Rocambole, en entrantdans cette même rue où la troïka avait versé, que le cocher russeest dans les environs.

– Pourquoi donc ça ? demanda Milon.

– Et que ce cocher russe n’est autre que le moujik à qui lacomtesse Artoff a fait appliquer le knout par ses gens.

– Ceci est assez vraisemblable, murmura Vanda. Maispourquoi serait-il par ici ?

– Je ne sais pas… C’est un pressentiment.

Et Rocambole continua à marcher en avant. Comme il tournaitl’angle de la rue, un homme se heurta à lui et laissa échapper unjuron dans une langue inconnue. Rocambole tressaillit. Mais l’hommeétait déjà loin. La nuit était noire. Néanmoins Rocambole suivitdes yeux cette silhouette qui se perdait dans le brouillard. Puisil se mit à courir. La silhouette arriva tout à coup dans un cerclede lumière. Elle venait de passer sous un bec de gaz. Rocamboleallongea le pas. Milon et Vanda le suivirent. Cent pas plus loin,on apercevait une boutique faiblement éclairée. Comme la lumièreétait trouble, il était facile de voir qu’elle passait à traversles vitres sales et les rideaux rouges d’un marchand de vin. Lasilhouette, qui avait pris des formes accusées sous le bec de gaz,était redevenue indécise au-delà, s’affirma nettement de nouveau encet endroit. Puis elle disparut. L’homme était entré dans lecabaret. Rocambole se tourna vers ses deux compagnons.

– Silence ! dit-il.

– Mais où allons-nous ? demanda Milon qui necomprenait jamais.

– Tu le verras.

Et Rocambole avançait toujours.

Quand il fut à dix pas du cabaret, il s’arrêta :

– Je crois que c’est lui, dit-il à Vanda.

– Qui, lui ?

– Le moujik.

Vanda caressa, sous sa redingote, le manche de ce poignard qui,en Russie, avait fait connaissance avec les épaules et la poitrinede M. de Morlux.

– Si c’est lui, je l’étrangle ! murmura Milon.

– Imbécile ! dit Rocambole.

Et le maître haussa les épaules. Puis il alla jusqu’au cabaretet colla son visage à la devanture. C’était bien là qu’était entrél’homme qui avait heurté Rocambole et proféré un juron dans unelangue qui n’était pas la langue française. Cet homme s’était assisà une table. Le marchand de vin lui avait apporté de l’eau-de-vie.Rocambole le vit boire coup sur coup, et le reconnut aussitôt.C’était Pierre le moujik. Pierre vida le carafon d’eau-de-vie, fumaun cigare, jeta vingt sous sur la table et sortit, flageolant surses jambes comme un homme ivre. Mais à peine avait-il fait troispas hors du cabaret qu’une main vigoureuse le prit à la gorge. Enmême temps un stylet s’appuya sur sa poitrine et Rocambole luidit :

– Enfin, je te tiens donc, misérable !

– Grâce ! murmura le moujik, je vous dirai où estl’enfant.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer