La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 9

 

– Place ! cria Rocambole.

Et brandissant son poignard, il fit un pas en avant.

– Si tu bouges, je fais feu, répondit Vasilika.

Rocambole rejeta l’enfant sur le lit. Puis il se rua surVasilika, couvrant ainsi l’enfant de son corps. Mais Vasilika avaitlaissé tomber une des épées et relevé l’autre. Rocambole enrencontra la pointe et fut obligé de s’arrêter.

– Ah ! ricana Vasilika, tu sais bien qu’un poignardn’a jamais eu la longueur d’une épée…

Et elle posa le pistolet derrière elle, sur un guéridon. En mêmetemps, du pied, elle poussa l’épée qui gisait sur le sol, jusquedans les jambes de Rocambole.

– Forçat ! lui dit-elle, j’ai rêvé pour toi une bellemort… tu seras tué en duel, noblement, loyalement, mais de la maind’une femme !…

– Place ! répéta Rocambole avec rage.

– Forçat ! reprit Vasilika, écoute-moi bien. Je n’aiqu’à étendre la main, à ressaisir ce pistolet et à te brûler lacervelle ! Puis, avec le poignard que tu tiens, ou avec une deces épées, j’achèverai l’enfant de ta bien-aimée sœur, et tout seradit… je serai vengée… Eh bien ! non, ce n’est pas ce que jeveux… Je veux te la prendre malgré toi… tu es un criminel, le crimeme plaît… j’ai pour lui des égards… je t’eusse aimé peut-être, situ ne t’étais mis en travers de ma route… je te hais maintenant… etil me faut ton sang… mais je veux le verser goutte à goutte… et nonbrutalement… je ne veux pas t’assassiner… je veux te tuer,comprends-tu ?… Je veux que Rocambole le terrible, l’hommedevant qui tout tremblait, meure de la main d’une femme. C’est mavengeance ! Allons ! ramasse cette épée, et engarde !

Rocambole rugissait comme une bête fauve prise au piège. Etcependant il ne ramassait pas l’épée que Vasilika avait poussée deson pied.

– Je te donne deux minutes de réflexion, reprit-elle. Aubout de ces deux minutes, je reprendrai ce pistolet et je casseraila tête de l’enfant… Tu venais le sauver, tu seras la cause de samort.

Ces derniers mots coupèrent court aux hésitations deRocambole.

– Le sang d’une femme me répugne, dit-il ; mais tun’es pas une femme, toi ; tu es une hyène échappée aux forêtsde ton pays ; il faut t’écraser, monstre, si on ne veut êtredévoré par toi…

Rocambole se baissa et ramassa l’épée. Vasilika était tombée engarde avec la netteté et la souplesse d’un tireur consommé.Rocambole, on s’en souvient, avait été un spadassin habile. Vingtfois, au temps des Valets de cœur, il avait couché son adversairesur le carreau. L’escrime n’avait pas de secrets pour lui et ilavait jadis étudié la fameuse botte du portier de la rueRochechouart. En se retournant le fer à la main, il reconquit sonmerveilleux sang-froid et sa prodigieuse audace. Il crut même qu’ilaurait bon marché de cette femme, qu’il arracherait facilement sonépée à cette main trop frêle et qu’il la désarmerait. Rocambole setrompait, et l’ombre du chevalier de Saint-Georges en duttressaillir. Vasilika jouait avec l’épée, qui tenait à peine en samain, comme une Andalouse avec son éventail. La lame triangulairefendait l’air, sifflait et se tordait, arrachant aux bougies quiéclairaient la salle des myriades d’étincelles. Rocambole étaitébloui, fasciné, épouvanté par ce jeu solide, extravagant etterrible. Et elle riait avec cela, et elle parlait de son tonrailleur, et sa langue sifflait comme sifflait son épée :

– Tu as donc donné dans le piège ? disait-elle. Tu ascru que Pierre était vénal. Si tu l’as rencontré, c’est moi quil’ai voulu… Rocambole, tu n’es qu’un sot.

Et comme elle disait cela, elle se fendit à fond, profitant d’unmoment où Rocambole s’était à moitié découvert ; elle sefendit et se baissa comme l’Arabe qui va poignarder le cheval deson ennemi sous le ventre, et son épée disparut tout entière dansla poitrine de Rocambole. Rocambole jeta un cri, l’épée échappa àsa main droite et tomba sur le parquet. Mais Rocambole ne tombapoint. De cette main désarmée, il saisit l’épée dont Vasilikatenait encore la poignée ; puis, il étendit instinctivement lamain gauche, qui n’avait pas lâché son poignard. Et Vasilika,atteinte à la gorge, tomba en vomissant un flot de sang. AlorsRocambole jeta un cri de triomphe, arracha l’épée qu’il avait àtravers du corps, se précipita vers le lit où l’enfant étaitévanoui, le reprit dans ses bras, et, ouvrant la fenêtre, il sautadans le jardin, laissant derrière lui une longue traînée desang.

 

Cependant Milon et Vanda attendaient toujours à la porte de larue. Il s’était écoulé près d’une heure et Rocambole nereparaissait pas. Vanda s’écria :

– Que se passe-t-il donc ?

Pierre le moujik eut un éclat de rire.

– Vous êtes des niais, dit-il. Voulez-vous maintenantsavoir ce qui s’est passé, car ce doit être fini maintenant ?Rocambole est mort, et nous sommes vengés !…

Milon se rua sur la porte. Rien ne résistait au vieux colosse.La porte tomba comme une planche pourrie par les pluies d’automne.Milon et Vanda se précipitèrent dans la maison. Pierre les suivaiten riant. Il voulait se repaître de la vue de son ennemi mort…Milon et Vanda arrivèrent au seuil de cette salle où avait eu lieule combat. Vasilika se tordait dans les convulsions de l’agonie.Cependant, en voyant Vanda, elle se dressa à demi et luidit :

– Il n’ira pas loin. Il a mon épée dans la poitrine.

Vanda aperçut le pistolet tout armé sur le guéridon et s’enempara.

– Il ira plus loin que toi ! rugit-elle.

Et, se baissant, elle appuya le canon du pistolet sur la tempede Vasilika, et lui fit sauter la cervelle. Les traces de sang, lafenêtre ouverte, disaient assez éloquemment la route qu’avaitsuivie Rocambole.

– Ah ! il est mort ! s’écria Milon d’une voixentrecoupée de sanglots. La lune brillait au ciel et éclairait laterre comme les rayons de l’aube.

Vanda et Milon sautèrent dans le jardin. Les traces de sangcontinuaient. Au bout du jardin il y avait une porte. Là, le sangétait plus abondant. Rocambole s’était arrêté pour ouvrir la porte,et la porte était demeurée entrebâillée. Le quai était désert… Lestraces de sang continuaient. Au bout de vingt pas, Milon jeta uncri. Il venait de se heurter à l’enfant étendu évanoui sur le sol.Et tandis qu’il le relevait, Vanda continuait à suivre Rocambole,grâce à cette trace sanglante qu’il avait laissée derrière lui.Milon, l’enfant dans ses bras, la suivait. Les traces de sang secontinuaient jusqu’à l’escalier qui descendait du quai au bord del’eau. Puis elles en jaspaient les marches. Vanda les suivit etdescendit l’escalier. Elles continuaient sur la berge… Vanda etMilon marchaient toujours. Puis, tout à coup, elles cessèrent…Elles cessèrent au bord du fleuve… Et le fleuve coulait muet etsinistre, paraissant vouloir garder un secret.

– Ah ! s’écria Milon, une fois encore, il estmort ! Mais Vanda se redressa, écumante, terrible, l’œil enfeu :

– Non, dit-elle, non, cela n’est pas possible, non, Dieu nel’a pas voulu…

« Non, ROCAMBOLE N’EST PAS MORT ! »

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