La Résurrection de Rocambole – Tome III – Rédemption – La Vengeance de Vasilika

Chapitre 30

 

Quarante-huit heures s’étaient écoulées. M. de Morluxavait eu de fréquents entretiens avec Vasilika, tantôt chez lui,tantôt chez elle. Le vieillard paraissait transformé. Il n’avaitplus le visage inquiet et sombre ni ces mouvements nerveux quitrahissaient le bouleversement de son âme. Depuis deux jours,M. de Morlux était calme. Agénor avait fait la paix aveclui et ne s’opposait plus à ce qu’il épousât Madeleine, siMadeleine y consentait. Madeleine, tout en l’appelant toujours« mon bon oncle », parlait beaucoup moins d’Yvan.M. de Morlux en concluait que l’abandon où le jeune Russesemblait la laisser, la blessait profondément, et il comptait surle dépit comme sur un puissant auxiliaire. Enfin, Vasilika luiavait dit :

– Je vous jure que vous épouserez Madeleine. EtM. de Morlux croyait à Vasilika.

Tout pour lui tournait donc à merveille, et le vicomte n’étaitpas homme à avoir des remords du passé. Cependant, la comtesse vintjeter quelques gouttes d’absinthe dans son miel. Elle arriva unmatin et lui dit :

– Tout est prêt là-bas.

– Ah ! fit-il avec joie.

– Le vieil hôtel est devenu un vrai nid d’amoureux. Si nousparvenons à y conduire Madeleine…

– Oh, elle m’y suivra, j’en suis sûr.

– Tout ira bien, dit Vasilika. Cependant…

Elle fronça légèrement le sourcil.

– Eh bien ? fit de Morlux.

– Je crains Rocambole.

– Toujours ?

– Et la comtesse Artoff. Antoinette est toujours chezelle.

– Bah ! fit le vicomte. Agénor me répond de tout.

– C’est égal, dit Vasilika, si vous m’en croyez, voussongerez à ce que je vous ai dit…

– Quoi donc ? fit M. de Morlux, qui perdaitla tête depuis qu’il était amoureux.

– Pour paralyser Rocambole, lequel fait le mort depuisquelques jours…

– Que faut-il faire ?

– Il faut le frapper dans son unique émotion.

M. de Morlux tressaillit.

– Oui, vous m’avez dit cela déjà, fit-il, mais… je vousavouerai que je crois inutile…

– Mon cher, dit froidement la comtesse, songez àceci : il y a des navires qui font naufrage au port.

– Vous avez raison, madame. Voyons, qui faut-il frapper, dupère ou de l’enfant ?

– J’aimerais assez enlever l’enfant, dit Vasilika. Pendantque Rocambole le chercherait, j’aurais tout le temps de me vengerd’Yvan.

– Ah !

– Et vous épouseriez, vous, fort tranquillement Madeleine,ajouta Vasilika, qui eut un sourire dédaigneux et cruel.

M. de Morlux fit un signe d’assentiment.

– Je vous obéirai, dit-il.

– Oh ! fit Vasilika qui eut un sourire moqueur, nousne nous entendons pas, mon cher vicomte.

– Plaît-il ?

– Je vous donne un conseil et non des ordres. Ma vengeanceà moi est assurée. Ce que je vous dis est donc pure charité de mapart.

Le vicomte se mordit les lèvres. Vasilika reprit :

– Qu’est-ce que je veux, moi ? torturer moralement lemisérable idiot qui a refusé mon amour, le torturer avant de letuer, car je lui réserve un genre de mort épouvantable. Or, l’heurede ma vengeance va sonner.

– Tandis que moi ?…

Et le vicomte fit cette question d’une voix timide.

– Vous, dit Vasilika, vous êtes peu en marche vers le butque vous vous êtes assigné…

– Et je puis être arrêté en chemin ?

– Oui, par Rocambole.

Ce nom causait toujours à M. de Morlux un légerfrisson.

– Écoutez, reprit Vasilika, j’ai entendu votre neveu ici,il y a deux jours, vous dire que Madeleine s’était sauvée de chezla comtesse Artoff et s’était réfugiée chez vous.

– Eh bien ?

– Eh bien ! je n’ose y croire. L’histoire de cettefemme qui ressemble à Madeleine me trotte par la tête… Je n’ai vuni l’une ni l’autre, mais il me semble que je saurais bien àpremière vue…

– Cette fois, interrompit M. de Morlux avec unsourire, vous me permettrez d’éclaircir vos soupçons.

Et il sonna.

– Priez mademoiselle de descendre, dit-il au valet qui seprésenta.

Deux minutes après, Madeleine entra. Elle était vêtue fortsimplement, comme une jeune fille habituée à une vie modeste et àun rang subalterne.

La comtesse en fut frappée.

– Mon enfant, dit M. de Morlux qui reprit sonrôle d’oncle et son ton paternel, j’ai voulu vous présenter à lacomtesse Wasserenoff, qui a beaucoup connu la famillePotenieff.

Madeleine jeta un cri de joie qui impressionna Vasilika.

– Je vous dirai même mieux que cela, mademoiselle, dit lacomtesse.

Madeleine la regarda. Et elle regarda Vasilika avec un effroi sinaturel, que M. de Morlux partagea cette terreurmomentanée. Évidemment Vasilika, puisqu’elle aimait encore Yvan,devait haïr Madeleine.

– Rassurez-vous, dit la comtesse toujours impassible, j’airenoncé à Yvan.

– Madame, dit alors Madeleine, puisque vous vous montrezgénéreuse, soyez-le jusqu’au bout.

Et sa voix eut un accent de prière.

– Vous devez savoir où est Yvan ?

Un sourire vint aux lèvres de Vasilika. Madeleine joignit lesmains :

– Oh ! dites-le moi, fit-elle.

– Vous l’aimez donc bien ?

– Oh ! de toute mon âme…

Vasilika continuait à sourire :

– Eh bien ! dit-elle, je vais vous faire unepromesse.

– Ah ! parlez…

– Venez me voir demain dans mon hôtel de la rueCassette.

– Avec mon oncle ?

– Sans doute. Et je vous donnerai des nouvelles d’Yvan.Madeleine eut un nouveau cri de joie.

La comtesse lui tendit la main :

– Je serai une bonne cousine, dit-elle.

Puis elle se leva et fit un signe imperceptible àM. de Morlux. Celui-ci lui offrit son bras. Les deuxfemmes se saluèrent et la comtesse prit le chemin du jardin, carc’était toujours par là qu’elle s’en allait.

– Eh bien ? fit M. de Morlux quand ilsfurent seuls, douterez-vous encore ?

– Oui, dit-elle.

Le vicomte recula.

– Écoutez, dit Vasilika : si cette femme n’est pasMadeleine, la ressemblance est si parfaite, et elle joue si bienson rôle, que c’est à n’y rien comprendre.

– Vous ne l’avez donc pas vue rougir et trembler ;vous n’avez donc pas entendu ce cri de l’âme qu’elle a jeté au seulnom d’Yvan ? fit l’amoureux vicomte.

– Oui, mais…

– Mais quoi ?

– Mon cœur n’a pas bondi, répliqua Vasilika, et je n’ai paséprouvé cet irrésistible élan de haine que donne la vue d’unerivale.

– Oh !

– Du reste, ajouta la comtesse, à demain…

– Et demain ?…

– Demain, je vous dirai bien si c’est la vraieMadeleine.

– Comment le saurez-vous ?

– C’est mon secret. Adieu…

Et Vasilika laissa M. de Morlux tout pensif. Celui-cise disait en rentrant dans son cabinet :

– Oui, c’est bien Madeleine… Et cependant, il me semble quelà-bas… en Russie… elle n’avait pas la même voix… Mystère.

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