Le Mystérieux Docteur Cornélius – Tome III

CHAPITRE II – Le trust des escargots

Les invités de Mr, Bombridge s’attardèrentlongtemps, paresseusement étendus dans des rocking-chairs, ets’abandonnant au charme de ce climat amollissant.

Comme l’expliqua le maître de la maison, aucunhomme de race blanche n’eût pu se livrer à un travail quelconquepar une pareille chaleur.

Quand le soleil se fut un peu abaissé,Mr. Bombridge proposa à ses hôtes de les mener visiter saferme aux escargots.

– C’est, dit-il, une immense et curieuseexploitation, qui n’a pas sa pareille en Amérique, et vous ne vousrepentirez pas de l’avoir vue. D’ailleurs, elle ne se trouve pastrès loin… à un mile d’ici.

On prit place dans un « carriage »attelé cette fois de quatre mules, qui ne mirent pas plus de dixminutes à parcourir la longue avenue d’eucalyptus qui conduisait àl’exploitation.

La ferme aux escargots comprenait une immenseenceinte, entourée d’une muraille de brique dont le faîte étaitgarni d’une plaque de tôle inclinée de haut en bas vers l’intérieurde façon à rendre aux élèves de Mr. Bombridge toute évasionimpossible.

Cette enceinte franchie, tout le monde mitpied à terre, et l’on se trouva dans le parc proprement dit.

Il se composait d’une série d’enclos, en formede parallélogrammes, que séparaient des murailles de brique, un peumoins hautes que celle de l’enceinte, mais également pourvues desplaques de tôle destinées à refréner toute velléité d’indépendancede la part des mollusques vagabonds.

– Comme vous voyez, expliquaMr. Bombridge avec la complaisance d’un propriétaire, le parcest installé sur une colline de sable. L’escargot aime un terrainmeuble, où il puisse facilement creuser des trous et faire saponte.

« Ces petites passerelles en planchespermettent de parcourir en tous sens chaque enclos, et derecueillir ceux des animaux qui ont atteint la grosseurréglementaire, et qui sont bons pour la vente.

– C’est fort intéressant, déclara lordBurydan. Tiens ! Pourquoi ces mâts métalliques, terminés parune grosse boule ?

– Chacun d’eux est un gigantesquevaporisateur, destiné à produire une petite pluie fine par lesjours de grande sécheresse. Vous n’ignorez pas que, lorsque letemps est trop sec, l’escargot rentre dans sa coquille, il maigrit,sa croissance subit un arrêt et peut demeurer stationnaire pendantplusieurs mois.

Oscar demanda, à son tour, l’usage d’un vastehangar en brique, à la toiture vitrée, que l’on apercevait à l’unedes extrémités de l’exploitation.

– C’est la salle des expéditions,expliqua Mr. Bombridge. Là, cinq cents nègres sont occupés,nuit et jour, à emballer les mollusques dans des caisses àclaire-voie, qui en contiennent chacune un millier et sontexpédiées d’Amérique dans tous les pays de l’univers.

« La marque de la « fermeBombridge » est déjà célèbre, et ses produits sont très hautcotés en Australie, au Cap et sur les marchés de la vieilleEurope.

« Il est indispensable que l’escargotsoit cacheté pour qu’il puisse être transportable, surtout à delongues distances. Cette espèce de caverne, dont vous voyezl’entrée, est une salle souterraine aux murailles faites d’uneroche très sèche. C’est là que les escargots se cachettentd’eux-mêmes, en attendant l’emballage et le transport sur lesmarchés.

Il y avait près d’une heure queMr. Bombridge et ses amis suivaient le chemin pavé établientre les enclos, et ils n’avaient pas encore parcouru la dixièmepartie de l’exploitation.

– Nous nous faisons facilement une idéedu reste, déclara lord Burydan. Il ne faut pas abuser de votrecomplaisance.

– Vous n’avez pas encore tout vu, déclaraBombridge avec un sourire d’orgueil…

Il fut interrompu par un sifflement aigu. Uneminuscule locomotive, conduite par un nègre aux cheveux crépus,filait rapidement à travers les enclos, remorquant une quinzaine dewagonnets chargés de feuillages verdoyants.

– C’est un train de fourrage qui arrive,reprit Mr. Bombridge. Je possède, à quatre miles d’ici,quelques centaines d’hectares de marécages, que j’ai fait en partieassainir par des plantations d’eucalyptus. Le terrain restesuffisamment humide pour produire, avec une abondance qui vousétonnerait, des végétaux à croissance rapide : le cresson, leradis géant, le chou des Florides, qui sont régulièrement fauchéstous les jours par mes Noirs.

« Huit jours avant la mise en vente, mespensionnaires sont nourris exclusivement de feuilles de vigne. Pourcela, je cultive la vigne du Japon, dont la végétation estexubérante, surtout sous cette latitude. Cela donne à mes produitsun goût exquis et très recherché des gourmets.

Pendant cette explication, la locomotive duchemin de fer Decauville avait stoppé sur un petit pont de fer quienjambait les plus vastes des enclos.

– Regardez ! s’écria Bombridge,personne ne peut se faire une idée de la voracité del’escargot.

Un robuste Noir fit basculer un des wagonnets.Un monceau de verdure tendre tomba dans l’enclos ; aussitôt ily eut parmi les escargots un remue-ménage général. Ils accouraientpar centaines, par milliers, par myriades, et les spectateurs,étonnés, perçurent distinctement un bruit de mastication, quiressemblait à celui qu’eussent fait une trentaine de rats.

Au bout de quelques minutes, il ne restaitplus du wagon de verdure que quelques tiges et quelques côtestrouvées trop dures.

Le Noir s’occupait déjà de renverser lecontenu du second wagonnet.

– C’est admirable ! déclaraMatalobos. Cet amas de fourrage a été presque aussi lestementescamoté que si je m’en fusse mêlé !

– Vraiment, fit Oscar, je ne regrette pasd’avoir vu cela ! Mais j’aperçois de véritablesphénomènes : des escargots gros comme les deux poings etd’autres d’un rose tendre, d’un jaune vif, aussi beaux que les plusjolis coquillages marins !

– Il faut vous dire, expliqua de nouveauMr. Bombridge, que, comme tout éleveur sérieux, je m’occupe del’amélioration de la race. Ces escargots qui font votre admiration,je les ai fait venir à grands frais, les uns des îles de la Grèce,les autres de Madagascar. Ce sont ces contrées qui produisent lesplus grands individus de l’espèce ; mais ils sont un peucoriaces.

« Je ne désespère pas, à l’aide d’unesérie de sélections, d’arriver à fixer une variété aussi savoureuseet aussi tendre que l’escargot de Bourgogne, et qui aura la tailled’une tortue de moyenne grosseur.

– Ce qui m’étonne, dit lord Burydan,c’est que, en si peu de temps, vous ayez acquis les connaissancesnécessaires pour diriger, comme vous le faites, un établissementaussi vaste et aussi ingénieusement compris.

Ce compliment alla droit au cœur deMr. Bombridge.

– Il est vrai, fit-il en baissant lesyeux avec modestie, que peu de gens pourraient m’en remontrer surla question des escargots. Cependant, je dois beaucoup à la lecturedes ouvrages d’un savant français, M. Raphaël de Noter, qui aécrit sur la matière des pages définitives. C’est à lui que jem’adresse chaque fois que je suis embarrassé.

Miss Régine, qui se tenait un peu en arrière àcôté d’Oscar, lui dit à l’oreille :

– Ce que mon père ne raconte pas, c’estqu’il a découvert chez l’escargot une certaine intelligence ;et il s’occupe en ce moment d’apprivoiser quelques-uns des mieuxdoués de ses pensionnaires.

– Peut-être, dit en riant le jeune homme,se propose-t-il de les exhiber sur la scène d’unmusic-hall ?

– Je n’en sais rien. Mais il a beau êtredevenu riche, il lui est impossible d’oublier qu’il a fait partiedu Gorill-Club…

– Messieurs, interrompit tout à coupMr. Bombridge dont le visage s’était rembruni, je vous aimontré ce qu’il y avait d’intéressant. Je crois que nous feronsbien de ne pas nous attarder ici plus longtemps ; il seprépare un de ces terribles orages, une de ces tornades qui sont undes fléaux du pays.

Du doigt, il montrait le ciel devenu tout àcoup d’un blanc livide, pendant que, du côté de l’ouest, de grosnuages d’un roux cuivré s’amoncelaient.

– Savez-vous ce que je propose ?ajouta-t-il. Nous allons tous monter dans le Decauville. Il nousramènera à la maison beaucoup plus vite que ne le feraient lesmules et cela nous permettra, en passant, de jeter un coup d’œilsur les cultures.

« Jupiter, ordonna-t-il à un nègre auxcheveux blancs qui jusque-là avait servi de guide à la société,donne l’ordre qu’on attache à la locomotive le wagon de promenade.Nous regagnerons la maison par la petite ligne.

Cet ordre fut immédiatement exécuté. Cinqminutes ne s’étaient pas écoulées que les hôtes deMr. Bombridge, et Jupiter lui-même, prenaient place dansl’intérieur d’un long wagonnet, très confortablement aménagé, etqui eût pu contenir une dizaine de personnes.

La minuscule locomotive lança un sifflementaigu ; le train se mit en marche, traversa, sur un long viaducde fer, une série d’enclos, où grouillaient des millionsd’escargots et d’où l’on semblait ne devoir jamais sortir.

Enfin, il franchit une sorte de poterne et,augmentant sa vitesse, fila en rase campagne.

Le paysage n’était plus égayé par des forêtsou des jardins. C’était la plaine nue et morne, où s’élevaient àpeine, de loin en loin, une touffe de bambous, un vieux saulerabougri, ou un eucalyptus tordu par les vents.

Le vieux Jupiter, sur un signe de son maître,avait tiré d’une petite armoire placée à l’un des bouts du wagonune bouteille de xérès, un seau de glace, des citrons et d’autresrafraîchissements, qu’il déposa sur un étroit guéridon.

– Il fait une chaleur accablante, déclaral’amphitryon, et ce ne sera pas du luxe de nous rafraîchir unpeu.

Personne ne répondit. La sueur ruisselait detous les visages. Il n’y avait pas un souffle dans l’air, et l’onentendait dans le lointain les coassements de lagrenouille-taureau, qui pullule dans ces parages.

Pendant qu’on absorbait avidement les boissonsglacées, le train s’était engagé dans une plaine verdoyante, quecoupaient des haies basses de mimosas et d’eucalyptus nains.C’étaient là les cultures dont avait parlé Mr. Bombridge.

Les Noirs, armés de longues faux, coupaient lefourrage nécessaire aux escargots. Ils saluaient respectueusementle train au passage, en ôtant leurs immenses chapeaux de rotintressé.

Le train avait encore augmenté sa vitesse. Lescultures qui couvraient plusieurs centaines d’hectares furentdépassées. L’on se retrouva de nouveau au milieu d’un paysage nu etdésolé. Jupiter, sans attendre l’ordre de son maître, avaitbrusquement fermé les glaces des portières, et il aspergeait le solavec un antiseptique, d’une odeur fortement aromatique. Le trainfilait, cette fois, avec la rapidité d’un express.

– Pourquoi toutes ces précautions ?demanda lord Burydan un peu surpris.

– C’est que les vapeurs qui s’exhalent deces marécages sont mortelles ! Celui qui s’y aventurerait sansprécaution, surtout à la tombée de la nuit, serait sûr de mourird’une fièvre maligne en quelques heures… Les nègres seuls, surtoutquand ils ont été guéris une première fois de la fièvre jaune,peuvent résister à cette atmosphère méphitique.

Il montra du doigt les marais semés de largesflaques d’eau, et au-delà desquels on commençait à apercevoir lamer qui barrait l’horizon comme un ruban de couleur livide.

– Voyez-vous ces fumées jaunâtres,continua Mr. Bombridge, et ce brouillard gris qui, presque àras de terre, semble agité d’un fourmillement perpétuel ? Cebrouillard est constitué par des millions de moustiques ! Cesfumées sont les exhalations délétères qui montent de lapourriture ! Il y a là des endroits où les Noirs eux-mêmes nepourraient vivre, et où un homme blanc serait incapable deséjourner, même une seule minute, sans en mourir !

– Est-ce que vous n’exagérez pas unpeu ? demanda Oscar. Il me semble bien apercevoir là-bas, toutprès de la mer, quelque chose qui ressemble à un village, au milieuduquel se dresse la tour d’un clocher. Si le pays était aussimalsain, on n’aurait pas eu l’idée d’y construire uneéglise !

– C’est bien une église. Mais, ne vousl’ai-je pas dit tantôt ? elle est abandonnée depuis près d’unsiècle, et tous les habitants du village sont morts ou se sontenfuis ! Les nègres n’oseraient approcher de ce clocher, mêmeen plein jour, et ils l’appellent « la tour fiévreuse ».Il s’y passe, d’après eux, des choses extraordinaires.

Tous regardèrent curieusement l’église enruine, dont la tour carrée, d’une couleur brune comme recuite parle soleil, se profilait sur le ciel blafard avec quelque chose delugubre et de menaçant.

– Singulier pays ! murmura lordBurydan. Il faudra bien, pourtant, que je voie de près cette tourfiévreuse.

Le vieux Noir, à ces mots, eut un geste deterreur. Son teint devint d’un blanc grisâtre – ce qui est, pourles nègres, la façon de pâlir – et ses gros yeux blancs etprotubérants roulèrent comme s’ils allaient jaillir de leursorbites.

Il prononça quelques phrases dans un jargonmoitié espagnol moitié anglais, dont lord Burydan ne saisit quequelques mots.

– Que veut dire ce Noir ?demanda-t-il à miss Bombridge.

La jeune fille sourit.

– Ce brave Jupiter, répondit-elle, esteffrayé à la seule idée que vous voulez aller à la tour fiévreuse.Il dit que pas un Noir, à dix lieues à la ronde, n’oserait vousservir de guide.

– Évidemment, ce ne doit pas être unendroit très sain. Pourtant, en prenant certaines précautions…

– Ce n’est pas seulement pour leur santéque tremblent les Noirs. Ils ont peur des mauvais esprits quihantent la tour. Vous en trouverez qui prétendent avoir vu le démonde la fièvre jaune lui-même.

– Je serais curieux de savoir comment ilest fait…

– Je puis vous en donner, toujoursd’après Jupiter, une description exacte. Il ressemble à une énormearaignée ; sa tête a la grosseur de celle d’un taureau et nefait qu’un avec le corps. De plus, elle a l’expression d’une facehumaine hideuse ou plutôt d’une tête de mort, qui aurait de largesprunelles liquides et phosphorescentes comme celles des pieuvres.Deux trous sont à la place du nez et il a une bouche fenduejusqu’aux oreilles, garnie de petites dents aiguës. Cette têtehorrible est d’un rouge sang et hérissée de piquants comme lacarapace d’un crabe de marais. Il possède de chaque côté sixpattes, d’une belle couleur vert clair, et qui se terminent par dessuçoirs. Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que sesprunelles sont d’un bleu clair et d’une douceur enfantine.

– Voilà un monstre bienfantastique ! dit Oscar à son tour. Savez-vous quelles sontses habitudes, puisque vous paraissez si bien informée ?

– Le jour, il se tient tapi au fond de lavase fétide des marais. La nuit, il rôde et, s’il rencontre unnègre endormi, il lui pompe tout le sang avec ses suçoirs. Lelendemain, on trouve le nègre mort de la fièvre jaune.

« On dit aussi qu’il habite parfois lescryptes humides de l’église. Quand il doit y avoir une épidémie defièvre dans le pays, il l’annonce en faisant tinter la cloche quiest demeurée à sa place dans la tour.

– Et l’on a quelquefois entendu cettecloche ? demanda Oscar impressionné, malgré lui, par cerécit.

– Jupiter prétend l’avoir entendue deuxfois. La première fois, il serait mort dix mille personnes et, laseconde, quinze mille.

« Les Noirs racontent encore que lesjésuites espagnols ont essayé d’exorciser cet étrange démon ;mais c’est lui qui a eu le dessus dans la lutte. Ils sont tousmorts de la fièvre.

« Il est certain, conclut la jeune fille,que, pour mon compte, je n’aimerais pas entendre sonner la clochede la tour fiévreuse.

Il y eut un moment de silence. Pendant lerécit de la jeune fille, des nuages couleur de suie et de soufreavaient peu à peu envahi toute l’étendue du ciel. Un brouillardd’une odeur fétide avait complètement submergé les marécages. Onn’apercevait plus la tour fiévreuse.

L’atmosphère était devenue étouffante. On eûtdit l’haleine ardente qui s’échappe de la gueule d’un four. Malgréle soin qu’avait Jupiter d’arroser continuellement le plancher duwagon, tous haletaient, la gorge sèche, le cœur serré par cettesorte d’angoisse physique qui saisit même les animaux à l’approchede l’orage dans les contrées tropicales.

– Heureusement, s’écria Bombridge avec unsoupir de soulagement, que, dans cinq minutes, nous allons noustrouver dans une belle forêt de pins où l’air est pur, aromatiqueet salubre ; dans un quart d’heure nous serons à la maisond’où nous pourrons braver la fièvre et la tempête !

Comme en réponse à cette phrase rassurante, ily eut un sourd grondement de tonnerre, des gerbes d’éclairs d’unvert aveuglant s’éparpillèrent aux quatre coins du ciel comme lesboîtes d’un gigantesque feu d’artifice ; le soleil lançad’entre deux nuages un dernier et macabre rayon blanchâtre puisdisparut complètement ; la pluie s’était mise à tomber, nonpas par gouttes plus ou moins larges, mais par seaux, par jets dela grosseur du poignet ; ce n’était plus une averse, c’étaitun déluge.

Au mugissement de ces montagnes d’eau quidévalaient en torrents le long des pentes, se mêlaient lesgrondements affaiblis du tonnerre et le sifflement du ventfouettant les grands roseaux et les arbres de la forêt.

Puis, comme il arrive dans ces brusquesouragans, il y eut une accalmie et, pendant quelques minutes, cefut presque le silence.

C’est alors qu’avec une épouvante qu’ils nepurent dissimuler lord Burydan et ses amis entendirentdistinctement le son lointain d’une cloche.

Jupiter claquait des dents, ses cheveuxs’étaient hérissés sur sa tête.

– La cloche de la tour fiévreuse,balbutia-t-il en tremblant de tous ses membres.

– Oui, c’est bien elle ! murmuraBombridge d’une voix mal assurée. Il n’y a pas d’autre cloche àvingt milles à la ronde.

– Vous êtes sûr de ne pas voustromper ? fit lord Burydan.

– Non, répondit l’ex-clown d’un tonbrusque.

De nouveau le silence régna dans le wagon, quifuyait maintenant en pleines ténèbres sous les épais ombrages de laforêt de pins.

Ainsi qu’il arrive sous les tropiques, la nuitavait succédé au jour en quelques minutes. On était maintenant dansl’obscurité la plus profonde.

Le voyage se termina tristement, et ce futavec un véritable sentiment de bonheur qu’en mettant pied à terretous aperçurent la façade de la maison, joyeusement éclairée, et oùdéjà les Noirs s’affairaient pour les préparatifs du dîner.

Ce repas fut beaucoup moins gai que celui dumatin.

Mr. Bombridge eût rougi de partager lessuperstitions ridicules du vieux Jupiter. Néanmoins, il ne pouvaits’empêcher de penser que, depuis trois semaines, les cas de fièvrejaune avaient été d’une fréquence inaccoutumée parmi sesNoirs ; et il croyait toujours entendre bourdonner à sesoreilles le son de la fatale cloche.

Cependant, après le repas, il y eut unerecrudescence de bonne humeur et d’entrain parmi les convives. Latempête s’était apaisée aussi rapidement qu’elle s’étaitdéchaînée : l’atmosphère, purifiée par la pluie, était d’unefraîcheur délicieuse ; les fleurs et les feuillages exhalaientleur odeur embaumante et il montait de la terre cette senteurpuissante qui s’en dégage après les orages.

Les nerfs détendus avaient aussi retrouvé leurcalme, et personne n’éprouvait plus ce bizarre serrement de cœur,cette angoisse physique dont ils avaient tant souffert.

Mr. Bombridge proposa d’aller prendre lefrais sur la terrasse qui dominait la maison. Tout le monde acceptaavec enthousiasme et l’on put admirer le magnifique paysage,éclairé par les rayons de la lune.

À l’horizon, on apercevait le feu rouge duphare situé à l’entrée de la rivière, tout au fond du golfed’Oyster Bay, et qui ressemblait à une étoile tout près de tomberdans la mer.

Lord Burydan contempla longtemps et en silencecette flamme lointaine. Il ne fit part à personne de sesréflexions, et bientôt tous les invités de Mr. Bombridge seretirèrent dans leur chambre pour y goûter un repos bienmérité.

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