Barnabé Rudge – Tome II

Chapitre 15

 

Barnabé, armé comme nous l’avons vu,continuait de se promener de long en large devant la porte del’écurie, enchanté de se retrouver seul, et savourant avec plaisirle silence et la tranquillité dont il avait perdu l’habitude. Aprèsle tourbillon de bruit et de tapage où il avait passé les joursderniers, il n’en sentait que mieux mille fois la douceur de lasolitude et de la paix. Il se sentait heureux : appuyé sur lemanche du drapeau, plongé dans ses rêveries, il avait sur toute safigure un sourire radieux, et son cerveau ne nourrissait que desvisions joyeuses.

Croyez-vous qu’il ne pensait pas àElle, à celle dont il était le seul bonheur, et qu’ilavait, sans le savoir, plongée dans cet abîme d’afflictionamère ? Oh ! que si : c’était elle qui était au cœurde ses plus brillantes espérances, de ses réflexions les plusorgueilleuses ; c’était elle qui allait jouir de tout cethonneur, de toute cette distinction de son fils : la joie etle profit, tout pour elle. Quelle félicité pour elle d’entendrefaire l’éloge des prouesses de son pauvre garçon ! Ah !Hugh n’avait pas besoin de le lui dire, il l’aurait bien deviné delui-même. Et puis, comme il était heureux encore de savoir qu’ellenageait dans l’aisance et qu’elle se rengorgeait (il se figuraitson air digne et fier dans ces moments-là) en entendant la hauteestime qu’on faisait de lui, le brave des braves, honoré du premierposte de confiance. Une fois, d’ailleurs, que tout ce bruit-làallait être fini, et que le bon lord aurait vaincu ses ennemis,quand la paix allait revenir, qu’elle serait riche et lui aussi,comme ils seraient heureux de parler ensemble de ces temps detrouble et de peine où il avait été un héros ! Quand ilsseraient là, assis ensemble tous les deux, en tête-à-tête, à lalueur d’un crépuscule tranquille et serein, qu’elle n’aurait plus às’inquiéter du lendemain, quel plaisir de pouvoir se dire quec’était l’œuvre de son pauvre nigaud de Barnabé ! comme il luidonnerait une petite tape sur la joue en riant de grand cœur !« Eh bien ! mère, suis-je toujours un imbécile ?.,.Voyons ! suis-je toujours un imbécile ? »

Là-dessus, d’un cœur plus léger, d’un pas plusglorieux, d’un œil plus triomphant au travers de ses larmes,Barnabé reprit sa promenade militaire, et, chantonnant tout bas, semit à garder son poste paisible.

Son camarade Grip, qui partageait avec lui safaction, ordinairement si avide de soleil, au lieu de s’y pavaneraujourd’hui, aimait mieux rôder dans l’écurie. Il y était trèsaffairé à fouiller dans la paille pour y cacher tous les menusobjets qu’il pouvait ramasser près de là, et à visiter depréférence le lit de Hugh, auquel il semblait prendre un intérêttout particulier. Quelquefois Barnabé, passant la tête par laporte, venait l’appeler, et alors il sortait en sautillant ;mais on voyait que c’était une simple concession qu’il croyaitdevoir, par pitié, à l’imbécillité de son maître, et il retournaittout de suite à ses occupations sérieuses. Il fourrait son bec dansla paille, regardait, recouvrait la place, comme si, nouveau Midas,il murmurait à la terre ses secrets pour les ensevelir dans sonsein : tout cela d’un air sournois, affectant, chaque fois queBarnabé passait, de regarder les nuages au firmament, sans avoirl’air d’y toucher ; en un mot, prenant, à tous égards, un airplus grave, plus profond, plus mystérieux qu’à l’ordinaire.

Le jour avançait. Barnabé, à qui sa consignene défendait pas de boire et de manger sur place, mais auquel onavait, au contraire, laissé pour ses besoins une bouteille de bièreet un panier de provisions, se décida à déjeuner, car il n’avaitrien pris depuis le matin. Pour ce faire, il s’assit par terredevant la porte, et mettant son drapeau sur ses genoux, pour ne pasle perdre en cas d’alarme ou de surprise, il invita Grip à venirdîner.

L’oiseau intelligent ne se le fit pas diredeux fois, et, sautant de côté vers son maître, se mit à crier enmême temps : « Je suis un diable, je suis un Polly, jesuis une bouilloire, je suis protestant : pas depapisme ! » Il avait appris cette dernière ritournelledes braves messieurs avec lesquels il faisait société depuispeu : aussi la prononçait-il avec une énergie peu commune.

« Bien dit, Grip ! cria son maîtreen lui choisissant les meilleurs morceaux pour sa part ; biendit, mon vieux !

– N’aie pas peur, mon garçon, coa, coa,coa, bon courage ! Grip ! Grip ! Grip !Holà ! il nous faut du thé ! je suis une bouilloireprotestante, pas de papisme ! criait le corbeau.

– Grip, vive Gordon ! » criaitde son côté Barnabé.

Le corbeau, mettant sa tête par terre,regardait son maître de côté, comme pour lui dire :« Redis-moi ça. »

Barnabé, comprenant parfaitement son désir,lui répéta la phrase bien des fois. L’oiseau l’écouta avec uneprofonde attention, répétant quelquefois ce cri populaire à voixbasse, comme pour comparer les deux manières et pour s’essayer dansce nouvel exercice ; quelquefois battant des ailes ouaboyant ; quelquefois enfin, dans une espèce de désespoir,tirant une multitude infinie de bouchons retentissants, avec uneobstination extraordinaire.

Barnabé était si occupé de son oiseau favori,qu’il ne s’aperçut pas d’abord de l’approche de deux cavaliers quivenaient au pas, juste dans la direction du poste qu’il avait àgarder. Cependant, quand ils furent à une portée de fusil, il lesvit, sauta vivement sur ses pieds, commanda à Grip de rentrer, prîtson drapeau à deux mains, et resta tout droit à attendre qu’il pûtreconnaître si c’étaient des amis ou des ennemis.

Presque au même instant, il vit que, de cesdeux cavaliers, l’un était le maître et l’autre ledomestique ; le maître était précisément lord Georges Gordon,devant lequel il se tint la tête découverte, les yeux fixés enterre.

« Bonjour, lui dit lord Georges sansarrêter son cheval avant d’être arrivé tout près de lui ; toutva bien ?

– Tout est tranquille, monsieur, tout vabien, cria Barnabé. Les autres sont partis : ils ont pris parlà ; voyez-vous ce sentier-là. Ils étaient beaucoup ?

– Ah ! dit lord Georges en leregardant d’un air sérieux, et vous ?

– Oh ! ils m’ont laissé ici ensentinelle… pour monter la garde… pour veiller à la sûreté du postejusqu’à leur retour, ce que je ferai, monsieur, pour l’amour devous. Vous êtes un bon gentilhomme, un excellent gentilhomme… ça,c’est sûr. Vous avez bien du monde contre vous ; mais vousleur ferez voir leur maître. N’ayez pas peur.

– Qu’est-ce que c’est que ça ? ditlord Georges, en montrant le corbeau qui regardait du coin de l’œilà la porte de l’écurie ; mais en faisant cette question, ilregardait toujours Barnabé d’un air pensif, et, à ce qu’ilsemblait, avec une certaine inquiétude.

– Comment, vous ne savez pas ?répondit Barnabé, éclatant de rire ; ne pas savoir ce quec’est ! c’est un oiseau d’abord, mon oiseau, mon ami Grip.

– Un diable, une bouilloire, Grip ;Polly, un protestant, pas de papisme ! cria le corbeau.

– Ce n’est pas l’embarras, ajoutaBarnabé, passant la main sur le col du cheval de lord Georges, etparlant doucement ; vous n’aviez pas tort de me demander ceque c’est : car souvent je n’en sais rien moi-même, et il fautque je sois familiarisé avec lui comme je le suis, pour croire quece n’est qu’un oiseau. C’est plutôt un frère pour moi, que Grip… ilest toujours avec moi, toujours jasant… toujours content… n’est-cepas, Grip ? »

L’oiseau répondit par un croassement amical,et sautant sur le bras de son maître, que Barnabé lui avait tendupour cela, se laissa caresser d’un air de parfaite indifférencetournant son œil mobile et curieux, tantôt vers lord Georges,tantôt vers son domestique.

Lord Georges, se mordant les ongles d’un airun peu déconfit, regarda Barnabé quelque temps en silence, puis ilfit signe à son domestique de venir plus près de lui.

John Grueby toucha le bord de son chapeau parrespect et s’approcha.

« Aviez-vous déjà vu ce jeunehomme ? lui demanda son maître à voix basse.

– Deux fois, milord, dit John. Je l’ai vudans la foule hier au soir et samedi.

– Est ce que… est-ce que vous lui aveztrouvé l’air aussi singulier, aussi étrange ? continua lordGeorges d’une voix faible.

– Fou ! répondit John avec uneconcision énergique.

– Et qu’est-ce qui vous fait croire qu’ilest fou, monsieur ? lui dit son maître d’un ton de dépit. Jevous trouve bien prompt à lâcher ce mot-là. Qu’est-ce qui vous faitcroire qu’il est fou ?

– Milord, vous n’avez qu’à voir soncostume, ses yeux, son agitation nerveuse ; vous n’avez qu’àl’entendre crier : « Pas de papisme ! » Fou,milord.

– Ainsi, parce qu’un homme s’habilleautrement que les autres, répliqua son maître avec colère, enjetant un coup d’œil sur son propre habillement ; parce qu’iln’est pas dans son port et dans ses manières exactement comme lesautres, et qu’il épouse avec chaleur une cause qu’abandonnent lesgens corrompus et irréligieux, c’est une raison pour qu’il soitfou, à votre avis ?

– Un vrai fou, tout ce qu’il y a de plusfou, un fou à lier, repartit l’inébranlable John.

– Comment osez-vous me dire cela enface ? cria son maître en se tournant vivement de soncôté.

– Je le dirais à n’importe qui, s’il mefaisait la même question.

– Je vois, dit lord Georges, queM. Gashford avait raison. Je croyais que c’était un effet deses préventions, et je me le reproche ; j’aurais bien dûsavoir qu’un homme comme lui était au-dessus de cela.

– Je sais bien que M. Gashford neparlera jamais en bien de moi, répliqua John en touchantrespectueusement son chapeau, et je n’y tiens pas.

– Vous êtes une mauvaise tête, un ingrat,dit lord Georges, un mouchard, peut-être. M. Gashford aparfaitement raison, j’en ai la preuve. J’ai tort de vous garder àmon service. C’est une insulte indirecte que j’ai faite à un amidigne de mon affection et de toute ma confiance, quand je songe àla cause pour laquelle vous avez pris parti, le jour où on l’amaltraité à Westminster. Vous quitterez ma maison dès ce soir… ouplutôt dès notre retour. Le plus tôt sera le mieux.

– Puisqu’il faut en venir là, je suis devotre avis, milord. Que M. Gashford triomphe, à la bonneheure ! Mais, quant à me traiter de mouchard, milord, voussavez bien que vous ne le croyez pas. Je ne sais pas ce que vousentendez par vos causes ; mais la cause pour laquelle j’aipris parti, c’est celle d’un homme que je voyais contre deux cents,et je vous avoue que je me rangerai toujours du côté de cettecause-là.

– En voilà assez, répondit lord Georgesen lui faisant signe de retourner à sa place. Je ne veux pas enentendre davantage.

– Si vous voulez me permettre d’ajouterun mot, milord, je voudrais donner un bon avis à ce pauvreimbécile : c’est de ne pas rester ici tout seul. Laproclamation a déjà circulé dans beaucoup de mains, et tout lemonde sait qu’il est intéressé dans l’affaire. Il fera bien, lepauvre malheureux, de se cacher en lieu sûr.

– Vous entendez ce qu’il dit, cria lordGeorges à Barnabé, qui les avait regardés avec étonnement pendantce dialogue. Il pense que vous pourriez bien avoir peur de rester àvotre poste, et qu’on vous retient peut-être ici contre votre gré.Qu’est-ce que vous dites de ça ?

– Ce que je pense, jeune homme, dit Johnpour expliquer son conseil, c’est que les soldats pourraient bienvenir vous prendre, et que certainement, dans ce cas, vous serezpendu par votre col jusqu’à ce que vous soyez mort… mort… mort,vous m’entendez ? Et ce que je pense, c’est que vous ferezbien de vous en aller d’ici, et au plus tôt. Voilà ce que jepense !

– C’est un poltron, Grip, unpoltron ! cria Barnabé à son corbeau, en le mettant à terre eten posant son drapeau sur son épaule. Qu’ils y viennent ! ViveGordon ! Qu’ils y viennent !

– Oui, dit lord Georges, qu’ils yviennent. Qu’ils se risquent à venir attaquer un pouvoir comme lenôtre, la sainte ligue d’un peuple tout entier ! Ah !c’est un fol ! C’est bon, c’est bon. Je suis fier d’avoir àcommander de tels hommes. »

En entendant ces mots, Barnabé sentit son cœurse gonfler d’orgueil dans sa poitrine. Il prit la main de lordGeorges et la porta à ses lèvres, caressa la crinière de soncoursier, comme si l’affection et l’amour qu’il portait au maîtres’étendaient jusqu’à sa monture, déploya son drapeau, le fitflotter fièrement, et se remit à marcher de long en large.

Lord Georges, l’œil brillant et la figureanimée, ôta son chapeau, le fit tourner autour de sa tête, et luidit adieu avec enthousiasme ; puis il se remit au petit trot,après avoir jeté derrière lui un regard de colère, pour voir si sondomestique le suivait. L’honnête John donna un coup d’éperon pourcourir après son maître, après avoir commencé par inviter encoreBarnabé à se retirer, par des signes répétés, qui n’étaient paséquivoques, mais auxquels celui-ci résista résolument jusqu’à ceque le détour de la route les empêchât de se voir.

Se trouvant seul encore une fois, et plus fierque jamais de l’importance du poste qui lui était confié, pleind’enthousiasme, d’ailleurs, en songeant à l’estime particulière etaux encouragements de son chef, Barnabé se promenait de long enlarge, dans le ravissement d’un songe délicieux, où il était plongétout éveillé. Les rayons du soleil couchant qu’il avait en face delui avaient passé dans son âme. Il ne manquait qu’une chose à sonbonheur. Ah ! si Elle pouvait seulement le voir en cemoment !

Le jour était sur son déclin ; la chaleurcommençait à faire place à la fraîcheur du soir. Le vent léger quise levait se jouait dans sa chevelure et faisait frissonnerdoucement le drapeau au-dessus de sa tête. Il y avait, dans cebruit glorieux et dans le calme d’alentour, comme un souffle fraiset libre qui répondait à ses sentiments. Il n’avait jamais été siheureux.

Il était donc appuyé sur sa hampe, regardantle soleil couchant, et songeant avec un sourire qu’il était ensentinelle pour garder l’or enterré près de là, lorsqu’il vit deloin trois ou quatre hommes qui s’avançaient d’un pas rapide versla maison, et qui faisaient signe de la main aux gens del’intérieur de se retirer pour ne pas se trouver au milieu d’undanger prochain. À mesure qu’ils s’approchaient, leurs gestesdevenaient de plus en plus expressifs, et ils ne furent pas plustôt à portée de la voix, que les premiers crièrent que les soldatsarrivaient.

À ces mots Barnabé plia son drapeau, etl’attacha autour de la lance. Son cœur battait bien fort, mais ilne songeait pas plus à avoir peur, ni à se retirer, que sa lanceelle-même. Les passants officieux qui l’avaient averti se hâtèrent,après l’avoir prévenu du danger qu’il courait, d’entrer dans lamaison, où ils jetèrent par leur arrivée le trouble et l’alarme.Les gens se mirent aussitôt à fermer les portes et les fenêtres, enlui faisant signe avec instance de fuir sans perdre de temps, etrépétèrent à plusieurs reprises cet avis : mais pour touteréponse il branla la tête d’un air indigné, et n’en resta que plusferme à son poste. Voyant alors qu’il n’y avait pas moyen de lepersuader, ils ne songèrent plus qu’à leur propre sûreté, etquittant la place, où ils ne laissèrent qu’une bonne vieille, ilsse sauvèrent à toutes jambes.

Jusque-là, rien n’annonçait que la crainteproduite par cette nouvelle ne fût pas imaginaire ; maisla Botte n’était pas évacuée depuis cinq minutes, qu’onvit apparaître, à travers champs, une troupe d’hommes en mouvement,et, à l’éclat de leurs armes et de leur équipement qui brillaientau soleil, à leur marche régulière et soutenue (car ils avançaientcomme un seul homme), il était facile de reconnaître que c’étaient…des soldats. En un moment Barnabé s’aperçut bien que c’était unfort détachement de gardes à pied, avec deux messieurs en habitbourgeois dans leurs rangs, et un petit peloton de cavalerie ;ces derniers étaient à l’arrière-garde et pas plus d’unedemi-douzaine.

Ils avançaient résolument, sans accélérer lepas en approchant, sans pousser un cri, sans montrer la moindreémotion ni la moindre inquiétude. Barnabé lui-même savait bien quecela n’avait rien d’extraordinaire dans la troupe ; cependantcet ordre invariable avait quelque chose de singulièrement imposantpour un homme accoutumé au bruit et au tumulte d’une populaceindisciplinée. Avec tout cela, il n’en resta pas moins décidé àgarder son poste, et fit bonne contenance.

Ils étaient déjà arrivés dans la cour, où ilsfirent halte. L’officier qui les commandait dépêcha une ordonnanceaux cavaliers, qui envoyèrent immédiatement un des leurs.L’officier échangea avec lui quelques mots, et ils jetèrent un coupd’œil à Barnabé, qui reconnut dans le cavalier celui qu’il avaitdémonté à Westminster, bien étonné de le revoir en face de lui.L’autre, renvoyé en toute hâte, fit le salut militaire aucommandant et retourna vers ses camarades, rangés à quelques pas delà.

L’officier ayant alors commandé :« amorcez… chargez, etc., » Barnabé, malgré la cruelleassurance que c’était pour lui que se faisaient ces préparatifs, neput se défendre d’un certain plaisir en entendant sonner la crossedes fusils à terre et retentir la baguette dans le canon de l’arme.Mais après quelques autres commandements, les soldats se mirentimmédiatement sur une file et cernèrent entièrement les bâtiments,à la distance d’une dizaine de pas ; du moins Barnabé n’encompta pas davantage entre lui et les soldats qui lui faisaientface. Les cavaliers restèrent à part, à leur place.

Les deux messieurs en habit bourgeois quis’étaient mis à l’ écart avancèrent à cheval avec l’officier aumilieu d’eux ; il y en eut un qui tira de sa poche laproclamation et la lut : l’officier somma alors Barnabé de serendre.

Au lieu de répondre, il alla se placer dansl’embrasure de la porte devant laquelle il montait la garde, etcroisa la lance pour se défendre. Après un moment d’un profondsilence eut lieu la seconde sommation.

Il n’y répondit pas davantage ; et alorsil eut fort à faire de promener ses yeux de tous côtés sur unedemi-douzaine d’adversaires qui vinrent immédiatement se poster enface de lui, avant de jeter son dévolu sur celui qu’il devaitfrapper le premier quand ils allaient se jeter sur lui. Ilrencontra les yeux de l’un d’eux dans le centre de la petitetroupe, et c’est celui-là qu’il résolut d’abattre, dût-il y perdrela vie.

Encore un silence de mort, puis la troisièmesommation.

Le moment d’après il reculait dans l’écurie,distribuant des coups à droite et à gauche comme un enragé. Deux deses ennemis étaient étendus à ses pieds. Celui qu’il avait choisipour première victime était tombé d’abord en effet : Barnabén’avait pas perdu la tête, car il en fit la remarque au milieu dutrouble et de l’animation de la lutte. Encore un coup… encore unhomme à bas puis à bas à son tour, terrassé, blessé à la poitrined’un coup de crosse (il l’avait vue tomber sur lui), inanimé…prisonnier…

Il fut rappelé à lui par un cri de surpriseque poussa l’officier. Il se retourna. Grip, après avoir travailléen secret toute l’après-midi avec un redoublement d’ardeur, pendantque tout le monde était occupé d’autre chose, avait écarté lapaille du lit de Hugh, et retourné de son bec en fer la terrefraîchement remuée. Il y avait là un trou qu’on avait négligemmentrempli jusqu’au bord, et qu’on avait seulement recouvert d’unecouche de terre. Des gobelets d’or, des cuillers d’or, desflambeaux d’or, des guinées… quel trésor fut mis tout à coup àdécouvert !

Ils apportèrent un sac et des pelles,déterrèrent tout ce qu’on avait caché là, et en retirèrent lacharge de deux hommes au moins. Quant à Barnabé, on lui mit lesmenottes, on lui lia les bras, on le fouilla, on lui prit tout cequ’il avait. Personne ne lui adressa ni une question ni unreproche, personne ne lui témoigna la moindre curiosité, les deuxsoldats qu’il avait étourdis furent emportés par leurs compagnonsavec le même ordre insouciant qui avait présidé à tout le reste.Finalement, on le laissa sous la garde de quatre soldats, labaïonnette au bout du fusil, pendant que l’officier dirigea enpersonne une perquisition générale dans la maison et dans lesbâtiments qui en dépendaient.

Ce fut bientôt fait. Les soldats sereformèrent en rangs dans la cour. « En avant,marche ! » Barnabé est emmené sous escorte ; on luifait une place, « Serrez les rangs. » Et les voilà partisavec leur prisonnier au centre.

Quand une fois ils furent dans les rues, ils’aperçut qu’il était en spectacle, et dans leur marche rapide ilpouvait voir tout le monde venir aux fenêtres quand il était passé,et relever la croisée pour le regarder. De temps en temps ilapercevait une figure de curieux par-dessus la tête des gardes quil’entouraient, ou par-dessous leurs bras, ou sur le haut d’unecharrette, ou sur le siège d’un cocher ; mais c’est tout cequ’il pouvait distinguer au milieu de sa nombreuse escorte. Lebruit même de la rue semblait dompté et garrotté comme lui, etl’air qu’il respirait était fétide et chaud comme les boufféesmalsaines qui s’exhalent d’un four.

« Une, deux ! une, deux ! latête droite ! les épaules effacées ! emboîtez lepas ! » Tout cela avec tant d’ordre et de régularité,sans que pas un d’eux le regardât ou parût se douter de saprésence ! Il ne pouvait croire qu’il fût prisonnier, mais ilne l’était que trop bien, il n’avait pas besoin qu’on le luidit : il sentait les menottes lui serrer les poignets, lacorde lui lier les bras au flanc, les fusils chargés à hauteur desa tête, avec ces pointes froides, brillantes, affilées, tournéesde son côté. Rien que de les regarder, lié et retenu comme il étaitmaintenant, c’en était assez pour lui glacer le sang dans lesveines.

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