Barnabé Rudge – Tome II

Chapitre 22

 

Rompant le silence qu’ils avaient gardéjusque-là, ils se mirent à pousser un grand cri, aussitôt qu’ils sefurent rangés devant la prison, et demandèrent à parler augouverneur. Leur visite n’était pas tout à fait inattendue, car samaison, qui se trouvait sur la rue, était fortementbarricadée ; le guichet de la geôle était fermé, et on nevoyait personne aux grilles ni aux fenêtres. Avant qu’ils eussentrépété plusieurs fois leur sommation, un homme apparut sur le toitde l’habitation du gouverneur, pour leur demander ce qu’ilsvoulaient.

Les uns disaient une chose, les autres uneautre, la plupart ne faisaient que grogner et siffler. Comme ilfaisait déjà presque nuit, et que la maison était haute, il y avaitdans la foule un grand nombre de gens qui ne s’étaient pas mêmeaperçus qu’il fût venu personne pour leur répondre, et quicontinuaient leurs clameurs, jusqu’à ce que la nouvelle s’en fûtrépandue partout dans le rassemblement. Il s’écoula bien au moinsdix minutes avant qu’on pût entendre une voix distincte, et,pendant ce temps-là, on voyait cette figure qui restait perchéelà-haut, et dont la silhouette se détachait sur le fond brillantd’un ciel d’été, regardant en bas dans la rue où se passait lascène de trouble.

« N’êtes-vous pas, finit par crier Hugh,monsieur Akerman, le geôlier en chef de la prison ?

– Certainement, c’est lui,camarade, » lui dit Dennis à l’oreille.

Mais Hugh, sans faire attention à lui, voulaitavoir la réponse de l’homme même.

« Oui, dit-il, c’est moi.

– Vous avez là, sous votre garde, maîtreAkerman, quelques-uns de mes amis.

– J’ai là beaucoup de monde sous magarde ; » et en même temps il jetait en bas un coup d’œildans l’intérieur de la prison.

Et l’idée qu’il pouvait voir de là lesdifférentes cours, et embrasser tout ce qui leur était masqué parces murailles maudites, irritait et excitait si fort la populace,qu’ils hurlaient comme des loups.

« Eh bien ! délivrez seulement nosamis, dit Hugh, et vous pourrez garder les autres.

– Mon devoir est de les gardertous ; et je ferai mon devoir.

– Si vous ne nous ouvrez pas les portestoutes grandes, nous allons les enfoncer, dit Hugh, parce que nousvoulons absolument faire sortir les gens de l’émeute.

– Tout ce que je peux faire pour vous,mes braves gens, répliqua Akerman, c’est de vous exhorter à vousdisperser, et de vous rappeler que toutes les conséquences dumoindre trouble causé dans cette maison ne peuvent qu’être trèssérieuses, et donner à bon nombre d’entre vous d’amers etd’inutiles regrets, quand il ne sera plus temps. »

Il fit mine de se retirer là-dessus, mais ilfut arrêté par la voix du serrurier.

« Monsieur Akerman, cria Gabriel,monsieur Akerman !

– Je ne veux plus entendre un seuld’entre vous, répondit le gouverneur, se tournant vers l’homme quilui parlait, et lui faisant signe de la main qu’il ne voulait pasparlementer plus longtemps.

– Mais je ne suis pas un d’entre eux, ditGabriel. Je suis un honnête homme, monsieur Akerman, un honorableindustriel… Gabriel Varden, le serrurier. Vous me connaissezbien ?

– Comment ! vous dans lafoule ! cria le gouverneur d’une voix altérée.

– Ils m’ont amené de force… ils m’ontamené ici pour leur forcer la serrure de la grand’porte, réponditle serrurier. Veuillez m’être témoin, monsieur Akerman, que je m’yrefuse, que je n’en veux rien faire, advienne que pourra de monrefus. S’ils me font quelque violence, faites-moi le plaisir devous rappeler ça.

– N’avez-vous plus moyen de vous tirer delà ? dit le gouverneur.

– Non, monsieur Akerman. Vous allez fairevotre devoir et moi le mien… Encore une fois, tas de brigands et decoupe-jarrets, dit le serrurier, se retournant de leur côté, jerefuse. Ah ! enrouez-vous tant que vous voudrez à hurlercontre moi, je refuse.

– Un moment, un moment, se hâta de direle geôlier, Monsieur Varden, Je vous connais pour un digne homme,pour un homme qui ne consentirait jamais à rien faire contre laloi… à moins d’y être forcé.

– Forcé, monsieur ! reprit leserrurier, qui voyait bien d’après le ton dont c’était dit, que legouverneur lui ménageait une excuse bien suffisante pour céder à lamultitude qui l’assiégeait et l’étreignait de toutes parts, et aumilieu de laquelle on voyait debout ce vieillard, seul contre tous.Forcé, monsieur ! je ne ferai rien de force ni de gré.

– Où donc est l’homme qui me parlait toutà l’heure ? dit le gardien avec inquiétude.

– Présent ! répondit Hugh.

– Ne savez-vous pas ce que c’est qu’uneaccusation de meurtre, et qu’en retenant cet honnête artisan avecvous, vous mettez sa vie en péril ?

– Nous savons bien ça, répondit-il ;pourquoi donc croyez-vous que nous l’avons amené ici, si ce n’estpas pour ça ? Donnez-nous nos amis, maître Akerman, et nousvous donnons le vôtre. N’est-ce pas que vous ratifiez, ce troc, mesgars ? »

La populace lui répondit par un bruyanthourra.

« Vous voyez ce que c’est, cria Varden.Ne les laissez pas entrer, au nom du roi Georges, et rappelez-vousce que je viens de vous dire. Bonne nuit. »

Les négociations finirent là. Une grêle depierres et d’autres projectiles força le gouverneur à se retirer,et la multitude, s’avançant par essaims le long des murailles,bloqua Gabriel Varden contre la porte.

C’est en vain qu’on mit à ses pieds le paquetd’instruments de son état ; c’est en vain qu’on employa tour àtour, pour le forcer d’en faire usage, les promesses, les coups,des offres de récompense, des menaces de mort sur place :« Non, cria l’intrépide serrurier, non, je ne veuxpas. »

Il n’avait jamais tant aimé la vie, mais rienne put l’ébranler. Les faces sauvages qui le dévisageaient de touscôtés, les cris de ceux qui étaient altérés de son sang, comme desbêtes féroces, la vue des hommes qui fendaient la foule etmarchaient sur le corps de leurs camarades pour arriver jusqu’àlui, le visant, par-dessus la tête des autres, avec leurs haches etleurs piques, tout échouait devant son courage obstiné. Il lesregardait l’un après l’autre, homme par homme, face à face, ettoujours avec sa voix fatiguée, son visage pâlissant, il leurcriait haut et ferme ; « Non, je ne veuxpas ! »

Dennis lui asséna sur la figure un coup depoing qui le jeta par terre. Il se remit sur ses pieds avec laprestesse d’un jeune homme, et, le front tout ensanglanté, il luisauta à la gorge.

« Ah ! c’est toi, chien delâche ? lui dit-il ; rends-moi ma fille, rends-moi mafille. »

Ils luttèrent ensemble. Il y en avait quicriaient : « Tuez-le ! et d’autres qui heureusementne se trouvaient pas assez près, qui voulaient l’écraser sous leurspieds. Quant au bourreau, il avait beau serrer de toutes ses forcesles poignets de son adversaire, il ne pouvait pas venir à bout delui faire lâcher prise.

« Si c’est comme ça que vous meremerciez, monstre d’ingratitude ! dit-il enfin avec forcejurons et hors d’haleine, car il avait toutes les peines du monde àarticuler une parole.

– Rends-moi ma fille, criait leserrurier, devenu aussi furieux que ceux qui l’entouraient ;rends-moi ma fille.

Renversé encore une fois, encore une foisredressé, puis par terre, il luttait contre une vingtaine d’hommesqui se le passaient de main en main, quand un grand coquin, quisortait de l’abattoir avec ses habits et ses grandes bottes encorechauds et fumants de sang et de graisse, leva une hallebarde et,poussant un horrible jurement, visa la tête découverte du bravevieillard. Au même instant, pendant qu’il avait le bras levé pourfrapper, il tomba lui-même comme d’un coup de foudre, et un manchotlui passa sur le corps pour venir en aide au serrurier. Il avait unautre homme avec lui, et à eux deux ils saisirent vivement etrudement l’artisan.

« Vous n’avez qu’à nous le laisser,crièrent-ils à Hugh en jouant des pieds et des mains pour se frayerun passage en arrière à travers la foule. Vous n’avez qu’à nous lelaisser. N’allez-vous pas gaspiller votre force contre cet homme-làquand il n’en faut que deux comme nous pour lui faire son affaireen deux minutes ? Vous perdez votre temps. Songez, auxprisonniers, songez à Barnabé. »

Ceci fut répété partout dans la foule. Lesmarteaux commencèrent à battre contre les murs ; chacun fitdes efforts pour arriver au pied de la prison et prendre place aupremier rang. S’ouvrant de force un passage à travers les mutinsavec une ardeur aussi désespérée que s’ils étaient au milieud’ennemis acharnés et non de leurs propres camarades, les deuxhommes opérèrent leur retraite avec le serrurier au milieu d’eux,et l’entraînèrent jusqu’au cœur même du rassemblement.

Pendant ce temps-là, les coups commençaient àpleuvoir comme la grêle sur la grande porte et sur le bâtiment, quine s’en émouvait guère : car ceux qui ne pouvaient approcherde la porte étaient toujours bien aises de décharger leur rage surn’importe quoi… même sur les gros blocs de pierre qui brisaientleurs armes en morceaux dans leurs mains, leur donnant jusque dansles bras des fourmillements douloureux, comme s’ils ne secontentaient pas d’une résistance passive et qu’ils leur rendissentcoup pour coup. Le fracas du fer contre le fer se mêlait au tumulteétourdissant qu’il dominait par son bruit éclatant, à mesure queles grands marteaux de forge s’abaissaient sur les clous et lesplaques de la porte. C’était une pluie d’étincelles. Les genstravaillaient par bandes et se relayaient à de courts intervalles,pour mettre toute la fraîcheur de leur force au service de cetteœuvre de destruction. Mais c’est égal : on voyait toujoursdebout le grand portail, aussi fier, aussi sombre, aussi fortqu’avant, et, sauf les marques des coups à sa surface, toujours lemême.

Pendant qu’il y en avait qui dépensaient touteleur énergie à cette tâche pénible, il y en avait d’autres quidressaient des échelles contre la prison, et qui essayaient degrimper de là jusqu’au haut des murs, où elles ne pouvaientatteindre parce qu’elles étaient trop courtes. Il y en avaitd’autres qui soutenaient un engagement avec une escouade de lapolice, forte d’une centaine d’hommes, et la faisaient reculer àgrands coups, ou l’écrasaient sous leur nombre ; d’autresencore faisaient le siège de la maison sur laquelle s’était montréle gouverneur, et, enfonçant les portes, revenaient avec tous lesmeubles, les empilaient contre la porte de la prison pour en faireun feu de joie qui pût la consumer. Aussitôt qu’on eut vent decette idée, tous ceux qui se donnaient jusque-là une peine inutilejetèrent là leurs outils et se mirent à augmenter le tas, quibientôt atteignit la largeur de la moitié de la rue, et une tellehauteur que ceux qui allaient porter en haut des combustiblesétaient obligés de prendre des échelles. Quand tout le mobilier etles effets du gouverneur eurent été jetés sur ce riche bûcher,jusqu’au dernier, on se mit à les enduire de poix, de goudron, derésine, apportés de toutes parts, et on arrosa le tout detérébenthine. Ils en firent autant à tout le bois qui garnissaitles portes de la prison, sans oublier la moindre traverse ni lemoindre madrier. Après avoir accompli ce baptême infernal, ilsmirent le feu au bûcher avec des allumettes flamboyantes et dugoudron enflammé ; puis alors ils se tinrent auprès, pour ensurveiller le résultat.

Comme les meubles étaient très secs et rendusplus inflammables encore par l’huile et la bougie qui s’ytrouvaient mêlées, sans parler des autres moyens employés, ilsn’eurent pas de peine à prendre feu. Les flammes s’élancèrent avecun rugissement terrible, noircissant le mur de la prison, et sedressant jusqu’au haut de sa façade en serpents de feu. Dans lecommencement, les insurgés ramassés autour de l’incendie netémoignaient l’ivresse de leur triomphe que par leurs regardssatisfaits ; mais quand il devint plus brûlant et plusmenaçant… quand il se mit à craquer, à bondir, à mugir, comme unegrande fournaise… quand il se réfléchit sur les maisons vis-à-vis,et qu’il illumina non seulement les visages pâles et étonnés auxfenêtres, mais jusqu’aux plus intimes recoins de chaque habitation…quand ils le virent caresser la grande porte de sa lueur rougeâtre,et badiner avec elle, tantôt s’attachant à sa surface durcie,tantôt la quittant tout à coup avec une inconstance sauvage pourprendre son essor vers les cieux, puis revenant l’envelopper dansses serres brûlantes et préparer sa ruine… quand il répandit une sivive clarté que le cadran de l’église du Saint-Sépulcre, dontl’aiguille marque si souvent l’heure de la mort pour les condamnés,était aussi lisible qu’en plein jour, et que le coq qui tourne auhaut de son clocher brillait à ce soleil inaccoutumé comme un richejoyau monté de pierreries chatoyantes… quand la pierre noircie etla brique sombre devinrent toutes rouges par la force de laréflexion, et que les croisées reluisirent comme de l’or bruni,miroitant aussi loin que pouvait s’étendre la vue, avec leursvitres purpurines… quand les murs et les tours, les toits et lesblocs de cheminées, au milieu des flammes vacillantes, semblèrenttrembler et chanceler comme un homme ivre… quand des milliersd’objets qu’on n’avait jamais vus jusqu’alors vinrent s’étaler à lavue, et que les choses les plus familières prirent un aspect toutnouveau… alors la populace commença à faire chorus avec letourbillon enflammé, et à pousser des cris, des clameurs, desvociférations comme heureusement il est rare d’en entendre,s’agitant en même temps pour entretenir le feu et le tenir enhaleine, afin de ne pas le laisser décroître.

Quoique la chaleur fût si intense que lebadigeon des maisons en face de la prison grillait et secraquelait, formant ça et là des boursouflures, comme des pustulesà la peau du patient tenu sur le gril par le bourreau, et finissaitpar crever et tomber en miettes : quoique les carreauxtombassent en éclats des croisées, et que le plomb et le fer surles toits dépouillassent la main imprudente qui venait à s’yfrotter par hasard ; que les moineaux sortissent de leurstrous pour prendre leur vol sur les gouttières, et qu’étourdis parla fumée, ils tombassent tremblants jusque sur le bûcherembrasé ; le feu n’en était pas moins activé sans relâche pardes mains infatigables, et l’on voyait tout autour des ombres alleret venir sans cesse. Jamais ils ne se ralentissaient dans leurzèle, jamais ils ne se retiraient à l’écart ; au contraire,ils serraient la flamme de si près que les spectateurs du premierrang avaient fort à faire pour que les chauffeurs, dans leurardeur, ne les jetassent pas dedans, par la même occasion. Si unhomme s’évanouissait ou se laissait choir, il y en avait unedouzaine qui se disputaient sa place, et cela, quoiqu’ils sussentbien que c’était un poste de torture, de soif, de fatigueinsupportables. Ceux qui tombaient évanouis, et qui avaient lebonheur de ne pas être écrasés sous les pieds ou brûlés par laflamme, étaient emportés dans une cour d’auberge tout près de là,pour y recevoir une douche à la pompe. On se passait de mains enmains de pleins baquets d’eau dans la foule ; mais la soifétait si ardente et si générale, l’empressement si grand à quiboirait le premier, que, le plus souvent, tout le contenu en étaitrenversé par terre, sans que pas un eût pu seulement humecter seslèvres.

Cependant, au milieu des cris et du vacarme,ceux qui étaient le plus près du bûcher continuaient de rejeterdans le tas les fragments embrasés qui venaient à rouler en bas, etpoussaient les charbons ardents contre la porte, qui, malgré celinceul de flammes, n’en restait pas moins fermée et barricadée,sans leur ouvrir de passage. On passait, par-dessus la tête desgens, de gros tisons à ceux qui se tenaient au pied des échelles,tout prêts à grimper jusqu’au dernier échelon, pour les tenir d’unemain contre le mur de la prison, déployant tout ce qu’ils avaientd’habileté et de force pour lancer ces brandons sur le toit, ou lesjeter en bas dans les cours intérieures. Souvent ils en venaient àbout, et c’était alors un redoublement d’horreur dans cette scèneeffroyable : car les prisonniers enfermés là-dedans, voyant, àtravers leurs barreaux, le feu prendre dans plusieurs endroits ets’approcher menaçant, pendant qu’ils étaient là sous clef pour lanuit, commençaient à s’apercevoir qu’ils étaient en danger debrûler vifs. Cette crainte horrible, se répandant de cellule encellule, leur arrachait des cris et des lamentationsépouvantables ; ils appelaient au secours avec des cris siaffreux, que la prison tout entière retentissait de leursplaintes ; on entendait leurs clameurs dominer les hurlementsde la populace et le mugissement des flammes : c’était untumulte d’agonie et de désespoir à faire trembler les plushardis.

Ce qu’il y a de remarquable, c’est que cescris commencèrent par le côté de la prison qui faisait face àNewgate-Street, où tout le monde savait qu’étaient renfermés leshommes condamnés à être exécutés le mardi suivant. Et non seulementces quatre criminels, qui avaient si peu de temps à vivre, furentles premiers à prendre l’alarme, en se voyant menacés de brûlervifs, mais ce furent aussi, du commencement jusqu’à la fin, lesplus importuns de tous : car on les entendait distinctement,malgré la solide épaisseur des murailles, crier que le vent donnaitde leur côté et que les flammes allaient bientôt lesatteindra ; ils appelaient les agents de la prison, pourqu’ils vinssent éteindre le feu en puisant de l’eau à la citernequi était dans leur cour, et pleine d’eau. À en juger du milieu dela foule, au dehors, ces quatre condamnés ne cessaient pas uninstant d’appeler au secours, et cela avec autant de frayeur etd’attachement frénétique à l’existence, que si chacun d’eux avaitdevant lui le long espoir d’une vie heureuse et honorée, au lieu dequarante-huit heures d’un emprisonnement misérable, suivi d’unemort violente et infâme.

Mais rien ne saurait décrire l’angoisse et lasouffrance des deux fils d’un de ces malheureux, chaque fois qu’ilsentendaient ou croyaient entendre la voix de leur père. Aprèss’être tordu les mains, en courant à droite, à gauche, comme desfous furieux, l’un d’eux montait sur les épaules de l’autre pouressayer de grimper jusqu’au mur élevé, surmonté dans le haut pardes piques et des pointes de fer. Et quand il retombait dans lafoule, tout meurtri qu’il était, cela ne l’empêchait pas deremonter, de retomber ; et enfin, lorsqu’il reconnutl’inutilité de ses tentatives, il se mit à battre les pierres pourles déchirer avec ses mains, comme s’il pouvait par là faire brèchedans l’épaisse muraille et s’y ouvrir de force un passage. À lafin, ils se frayèrent, à travers la multitude, un chemin jusqu’à laporte, quoique bien des hommes, douze fois plus forts qu’eux,eussent en vain essayé de le faire ; et on les vit dans lefeu, oui, dans le feu, faire des efforts désespérés pour la jeterpar terre avec des leviers.

Et ils n’étaient pas les seuls à être émus parle vacarme qui se faisait entendre de la prison. Les femmes quiétaient là à regarder, criaient à tue-tête, frappaient leurs mainsl’une contre l’autre et se bouchaient les oreilles ; d’autrestombaient évanouies. Les hommes qui n’avaient pu approcher de lamuraille pour prendre part au siège, plutôt que d’être là à ne rienfaire, arrachaient les pavés de la rue avec une furie et une ardeuraussi grandes que si c’eût été la prison même et qu’ils avançassentainsi leur projet. Il n’y avait pas dans la foule une seulecréature qui ne fût dans une agitation perpétuelle. Toute cettemasse énorme était folle.

Un grand cri ! Encore !encore ! sans que la plupart pussent savoir pourquoi, ni ceque cela voulait dire. C’est que les gens qui étaient autour de laporte l’avaient vue céder tout doucement et se détacher du gondd’en haut. Elle n’était plus suspendue de ce côté que sur celuid’en bas ; mais cela ne l’empêchait pas de rester encore toutedroite, soutenue derrière par la barre, et affermie par son proprepoids, qui l’avait fait enfoncer au pied, dans le tas de cendres.On voyait maintenant par en haut une ouverture béante, à traverslaquelle se montrait un passage obscur, caverneux, sombre…« Entassez le feu ! »

Le feu brûlait avec rage, La porte en étaittoute rouge et l’ouverture s’élargissait. Ils essayaient en vain des’abriter le visage avec leurs mains, et, debout, tout prêts àprendre leur élan, ils surveillaient le progrès du leur œuvre. Onvoyait passer le long du toit de sombres figures, les unes rampantsur leurs mains et leurs genoux, les autres emportées à bras. Ilétait clair que la prison ne pouvait pas tenir plus longtemps. Legouverneur, avec ses agents, leurs femmes et leurs enfants,s’échappaient… « Entassez le feu ! »

La porte s’enfonce encore ; elle descendplus avant dans les cendres… elle chancelle… elle cède… la voilàpar terre !

Ils poussent un nouveau cri, reculent un paset laissent un espace libre entre eux et l’entrée de la prison.Hugh saute sur le monceau de braise ardente et fait voler dans lesairs un tourbillon d’étincelles, illumine le sombre passage avecles flammèches qui se sont attachées à ses vêtements, et s’élancedans l’intérieur.

Le bourreau le suit. Et alors il s’enprécipite tant d’autres derrière eux, que le feu s’écrase sousleurs pas et va joncher la rue ; mais ils n’ont plus besoin delui maintenant : au dedans comme au dehors, toute la prisonest en flammes.

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