Barnabé Rudge – Tome II

Chapitre 12

 

Pendant ce temps-là, le bruit des troubles dela ville avait déjà circulé joliment dans les bourgs et lesvillages des environs de Londres, et, chaque fois qu’il arrivaitdes nouvelles fraîches, elles étaient sûres d’être accueillies aveccet appétit pour le merveilleux et cet amour du terrible, qui sont,probablement depuis la commencement du monde, un des attributscaractéristiques de l’espèce humaine. Cependant ces rumeurs, auxyeux de certaines personnes de ce temps, comme elles le seraientaux nôtres mêmes, si les faits aujourd’hui n’étaient pas acquis àl’histoire, semblaient si monstrueuses et si invraisemblables,qu’un grand nombre des gens qui habitaient loin de là, quelquecrédules qu’ils pussent être d’ailleurs, ne pouvaient réellement semettre dans l’esprit que la chose fût possible, et repoussaient lesrenseignements qu’ils recevaient de toutes mains, comme de puresfables et des fables absurdes.

M. Willet, bien décidé à n’en riencroire, d’après des raisonnements infaillibles à lui connus, etd’une obstination constitutionnelle dont nous avons déjà eu despreuves, était un de ceux qui refusaient positivement laconversation sur un sujet si ridicule, selon eux. Ce soir-là même,et peut-être bien au moment où Gashford était en vedette sur lestoits, le vieux John avait la face si rouge, à force de branler latête pour contredire ses trois anciens camarades de bouteille, quec’était un vrai phénomène, et qu’on aurait payé sa place pour voirce visage rubicond, sous le porche du Maypole où ils étaient assistous quatre, briller comme les escarboucles-monstres qu’onrencontre dans les contes de fées.

« Croyez-vous, monsieur, ditM. Willet, regardant fixement Salomon Daisy (car c’était sonhabitude, toutes les fois qu’il avait une altercation personnelle,de s’en prendre au plus faible de la bande), croyez-vous, monsieur,que je sois un imbécile de naissance ?

– Non, non, Jeannot, répondit Salomon,regardant à la ronde le petit cercle dont il faisait partie. Nousne sommes pas assez bêtes pour croire cela. Vous n’êtes pas unimbécile, Jeannot ; que non, que non ! »

M. Cobb et M. Parkes secouèrent latête à l’unisson en marmottant entre leurs dents : « Non,non, Jeannot, bien loin de là. »

Mais, comme ces sortes de complimentsn’avaient ordinairement d’autre effet que de rendre M. Willetencore plus têtu qu’auparavant, il les examina d’un air de profonddédain et leur répondit en ces termes :

« Alors, qu’est-ce que vous venez mechanter, que ce soir vous allez faire un tour ensemble jusqu’àLondres… vous trois… pour vous en rapporter au témoignage de vossens. Est-ce que, leur dit M. Willet, mettant sa pipe entreses dents d’un air de dégoût solennel, le témoignage de mes sens, àmoi, ne vous suffit pas ?

– Mais, dit humblement Parkes pours’excuser, nous n’en avons pas connaissance, Jeannot.

– Vous n’en avez pas connaissance,monsieur ? répéta M. Willet en le toisant des pieds à latête. Ah ! vous n’en avez pas connaissance ? Vous en avezconnaissance, monsieur. Ne vous ai-je pas dit que Sa benoîteMajesté le roi Georges III ne laisserait pas plus l’émeute rigolerdans les rues de sa bonne ville de Londres, qu’il ne se laisseraitlui-même insulter par son parlement ?

– À la bonne heure, Johnny ; maisc’est là le témoignage de votre bon sens ; ce n’est pas letémoignage de vos sens, risqua M. Parkes.

– Et qu’en savez-vous ? repartitJohn avec une grande dignité. Vous vous permettez là descontradictions un peu lestes, monsieur. Qu’en savez-vous, si c’estl’un plutôt que l’autre ? je ne croyais pas vous l’avoir ditencore, monsieur. »

M. Parkes, se voyant embarqué dans unediscussion métaphysique dont il ne savait trop comment se tirer,balbutia une apologie et battit en retraite devant son antagoniste.Il s’ensuivit un silence de dix ou douze minutes, après lequelM. Willet se mit à grommeler, à branler la tête en éclatant derire, et à faire l’observation, à propos de son défunt adversaire,« qu’il l’avait joliment arrangé. » Sur quoiMM. Cobb et Daisy rirent aussi avec des signes de têteaffirmatifs, et Parkes fut définitivement considéré comme un hommemort.

« Vous imaginez-vous que, si tout celaétait vrai, M. Haredale serait toujours dehors, comme ilest ? dit John, après une autre pause. Croyez-vous qu’iln’aurait pas peur de laisser sa maison toute seule avec deux jeunesfemmes et une couple de serviteurs pour toute défense ?

– C’est vrai, mais c’est peut-être parceque son château est à une bonne distance de Londres ; voussavez qu’on dit que les émeutiers ne s’écartent pas à plus de deuxou trois milles. La preuve, c’est qu’il y a des catholiques, voussavez, qui ont envoyé, pour plus de sûreté, leurs bijoux et leurargenterie à la campagne… du moins, on le dit.

– On le dit, on le dit ! répétaM. Willet d’un air bourru. Oui, monsieur ; c’est comme ondit que vous avez vu un revenant en mars dernier, mais personnen’en croit rien.

– Eh bien ! dit Salomon, se levantpour distraire l’attention de ses deux amis, qui commençaient àrire de cette boutade, qu’on le croie ou qu’on ne le croie pas, quece soit vrai ou faux, si nous voulons aller à Londres, nous feronsbien de partir tout de suite. Ainsi, Johnny, une poignée de main,et bonne nuit !

– Je n’ai pas de poignée de main, repritl’aubergiste, qui fourra les siennes dans ses poches, à donner àdes gens qui s’en vont à Londres pour de pareillesbêtises. »

Les trois vieux compagnons en furent quittespour lui prendre les coudes au lieu de lui serrer les mains. Aprèscette cérémonie, ils décrochèrent leurs chapeaux, prirent leurscannes, leurs manteaux, lui souhaitèrent le bonsoir et partirent,en lui promettant de lui rapporter le lendemain des détailsvéridiques sur l’état réel de la ville ; et, s’ils latrouvaient tranquille, ils lui feraient de bon cœur amendehonorable.

John Willet les regarda partir sur la route,aux rayons abondants et riches d’une belle soirée d’été. Il fittomber les cendres de sa pipe, rit en lui-même de leur folie, às’en tenir les côtes. Il en était encore tout essoufflé, car celalui prit du temps, vu qu’il n’était pas plus prompt à rire qu’àpenser ou à parler, lorsqu’enfin il s’assit, le dos à la muraille,allongea ses jambes sur le banc, se couvrit la figure de sontablier, et tomba dans un profond sommeil.

Peu importe le temps qu’il dormit ;toujours est-il que ce fut assez long : car, lorsqu’ils’éveilla, la riche clarté du soleil couchant s’était éteinte, lesombres et les ténèbres de la nuit se précipitaient à l’horizon, eton voyait déjà briller au-dessus de sa tête quelques étoileséclatantes.

Tous les oiseaux étaient à leur perchoir, etles pâquerettes, sur le gazon, avaient fermé leur petit capuchonpour protéger leur sommeil ; le chèvrefeuille enlacé autour duporche exhalait ses parfums plus odorants que jamais, comme si, àcette heure silencieuse, il devenait moins timide, et qu’il aimât àprodiguer à la nuit ses douces senteurs ; le lierre remuait àpeine son feuillage d’un vert profond. Comme tout cela étaittranquille ! comme tout cela était beau !

Mais est-ce que je n’entends pas encore unautre bruit que le frôlement des feuilles dans les arbres et le gaifrémissement des sauterelles ? Écoutez bien ! c’estquelque chose de bien faible et de bien éloigné ; celaressemble assez à ce bruit de mer qu’on entend dans un coquillage.Mais le voici qui augmente… Ah ! maintenant il décroît !…il recommence… il redouble… il s’affaiblit encore… il éclate avecviolence.

En effet, c’était bien un bruit qu’onentendait sur la route, et qui variait avec les détours du chemin.Mais à présent il n’y avait plus à s’y méprendre ; c’étaientbien les voix, c’étaient bien les pas d’un grand nombre depersonnes.

Peut-être pourtant que, même alors, JohnWillet aurait été à cent lieues de penser à l’émeute, sans lesclameurs de sa cuisinière et de sa fille de service, qui se mirentà grimper l’escalier en poussant des cris, et à s’enfermer auverrou dans un vieux grenier, d’où elles firent entendre encoreaprès des hurlements plaintifs, apparemment pour mieux assurer lesecret de leur retraite. Ces deux demoiselles ont déposé plus tardque M. Willet, dans sa terreur, ne prononça qu’un mot, sixfois de suite, et d’une voix de stentor qui le fit retentirjusqu’au haut de l’escalier où elles étaient. Mais, comme ce mot nese composait que d’un monosyllabe[2],parfaitement inoffensif quand on l’emploie pour le quadrupède mêmequ’il désigne, mais très répréhensible quand on l’applique à desfemmes d’un caractère irréprochable, il y a des personnes qui ontété portées à croire que ces demoiselles étaient sous l’empire dequelque hallucination causée par l’excès de leur frayeur, etqu’elles avaient été dupes d’une erreur d’acoustique.

Quoi qu’il en soit, John Willet, chez lequel,à défaut de courage, il y avait un entêtement imbécile qui pouvaiten avoir l’air, s’établit sous le porche, où il les attendit depied ferme. Une fois, je crois, il lui passa par la tête une idéevague que cette porte, derrière lui, avait une serrure et desverrous. Il eut, par la même occasion, une autre idée confuse dansle cerveau, qu’il avait sous la main des volets pour fermer lesfenêtres du rez-de-chaussée. Mais il n’en resta pas moins là commeune souche, à regarder de loin dans la direction d’où le bruits’avançait rapidement, sans seulement se donner la peine de retirerles mains de ses goussets.

Il n’eut pas longtemps à attendre : unemasse noirâtre, qui se mouvait dans un nuage de poussière, se fitbientôt apercevoir. L’émeute doublait le pas ; criant àtue-tête, comme des sauvages, ils se précipitèrent pêle-mêle, et,en quelques secondes, ils s’étaient passé l’aubergiste, comme uneballe, de main en main, jusqu’au cœur de la troupe.

« Ohé ! cria une voix qu’ilreconnut, en même temps que l’homme qui parlait fendait la pressepour se faire un passage jusqu’à lui. Où est-il ?Donnez-le-moi. Ne lui faites pas de mal. Eh bien ! mon vieuxJean, comment ça va ? ha ! ha ! ha ! »

M. Willet le regarda, vit bien quec’était Hugh, mais sans rien dire, et peut-être sans en penserdavantage.

« Voilà des camarades qui ont soif ;il faut leur donner à boire, cria Hugh, en le poussant dans lamaison. Allons, Jean-Jean, hardi à la besogne ! Donnez-nous dece bon petit, de cet excellent petit… extra-fin que vous gardezpour votre boîte ordinaire. »

John articula faiblement ces mots :« Qui est-ce qui payera ?

– Dites donc, les autres,entendez-vous ? Il demande qui est-ce qui payera, » criaHugh avec des éclats de rire qui rebondirent dans la foule. Puis,se tournant vers John, il ajouta : « Qui payera ?mais, personne ! »

John arrêta ses yeux sur cette masse defigures, les unes ricanantes, les autres menaçantes, les uneséclairées par des torches, les autres indistinctes, quelques-unescouvertes par l’ombre et les ténèbres, ou le regardant fixement, oufaisant l’inspection de sa maison, ou se regardant les unes lesautres ; et, sans savoir comment, car il ne se rappelaitseulement pas avoir bougé, il se trouva dans son comptoir, assisdans son fauteuil, assistant à la destruction de ses biens, comme àquelque représentation théâtrale d’une nature surprenante etstupéfiante, mais qui ne le regardait pas du tout, à ce qu’ilpouvait croire.

Vraiment, oui ! voilà bien lecomptoir ! ce comptoir vénéré où les plus hardis n’auraientpas osé entrer sans une invitation spéciale du maître, lesanctuaire, le mystère, le Saint des saints : eh bien !le voilà, ce comptoir, qui regorge d’hommes, de gourdins, debâtons, de torches, de pistolets, qui retentit d’un bruitassourdissant de jurons, de cris, de huées, de menaces ; cen’est plus un comptoir, c’est une ménagerie, une maison de fous, untemple infernal et diabolique. Les gens vont et viennent, entrentet sortent, par la porte ou par la fenêtre, cassent les carreaux,tournent les cannelles, boivent les liqueurs dans de pleins bols deporcelaine ; ils se mettent à califourchon sur lestonneaux ; ils fument les pipes personnelles et consacrées deJohn et de ses pratiques ; ils élaguent le bosquet respectéd’oranges et de citrons, hachent et taillent en plein fromage dansle fameux chester, brisent des tiroirs inviolables et les ouvrenttout grands, mettent dans leurs poches des choses qui ne leurappartiennent pas, se partagent son propre argent sous ses propresyeux, gaspillent, brisent, cassent, foulent aux pieds comme desinsensés tout ce qu’ils trouvent ; il n’y a rien d’épargné,rien de sacré. On voit des hommes partout ; en haut, en bas,au premier, à la cuisine, dans les chambres à coucher, dans lacour, dans les écuries. Les portes sont ouvertes ; cela leurest égal, ils montent par la fenêtre. Qu’est-ce qui les empêche dedescendre par l’escalier ? non, ils aiment mieux sauter par lacroisée. Ils se jettent par-dessus les rampes, pour être plus tôtdans le corridor. À chaque instant ce ne sont que figuresnouvelles, une vraie fantasmagorie de gars qui hurlent, de gens quichantent, de gens qui se battent, de gens qui cassent les verres etles assiettes, de gens qui abreuvent le plancher de la liqueurqu’ils ne peuvent plus boire, de gens qui sonnent la cloche jusqu’àla démancher, de gens qui la frappent à coups de marteau jusqu’à cequ’ils l’aient mise en morceaux : toujours, toujours, des gensqui grouillent comme des fourmilières ; toujours du bruit, dela fumée de tabac, des torches, de l’obscurité, des folies, descolères, des rires, des gémissements, le pillage, l’effroi, laruine !

Presque tout le temps que John considéra cettescène épouvantable, Hugh se tint auprès de lui, et, quoiqu’il fûtbien le plus tapageur, le plus farouche, le plus malfaisant coquinde tous ceux qui étaient là, il empêcha nombre de fois qu’on nebrisât les os de son maître. Et même, quand M. Tappertit,animé par les liqueurs, passa par là, et, pour bien assurer saprérogative, donna poliment à John Willet des coups de pied dansles os des jambes, Hugh conseilla à son patron de les rendre, et,si le vieux John avait eu la présence d’esprit de comprendre cequ’il lui disait à demi-mot et d’en profiter, point de doutequ’avec la protection de Hugh il ne s’en fût tiré sans danger.

Enfin la bande commença à se reformer hors dela maison, et à rappeler ceux qui restaient à lambiner au dedans,pour faire corps avec eux. Pendant que les murmures croissaient etse formulaient hautement, Hugh et quelques-uns de ceux qui étaientencore arrêtés au comptoir, et qui étaient évidemment les meneursprincipaux, se consultèrent à part pour savoir ce qu’il fallaitfaire de John, afin de s’assurer de lui jusqu’à ce qu’ils eussentfini leur travail de Chigwell. Les uns proposaient de mettre le feuà la maison et de le laisser s’y consumer ; les autres, de luifaire prêter serment qu’il resterait là sur son fauteuil, sansbouger, pendant vingt-quatre heures ; d’autres enfin de luimettre un bâillon et de l’emmener avec eux, sous bonne garde. Aprèsavoir examiné et rejeté successivement toutes ces propositions, onfinit par décider qu’il fallait le garrotter dans son fauteuil, eton appela Dennis pour le charger de l’exécution.

« Faites bien attention, père Jean !lui dit Hugh en s’avançant vers lui : nous allons vous lierles pieds et les mains, mais sans vous faire d’autre mal. Vousentendez bien ? »

John Willet en regarda un autre, comme s’il nesavait pas qui est-ce qui parlait, et marmotta entre ses dents deuxou trois mots sur l’habitude qu’il avait de prendre quelque chosetous les dimanches à deux heures, ajoutant qu’il n’avait rien prisdepuis.

« Est-ce que vous ne m’entendezpas ? je vous dis qu’on ne vous fera pas de mal, beugla Hughen lui donnant un grand coup dans le dos pour mieux lui faireentrer son avis dans la tête. Il a eu si peur, qu’il ne sait plusoù il en est, je crois. Donnez-lui donc une goutte. Eh ! lesautres, passez-nous donc quelque chose. »

En effet, on lui passa un verre de liqueur,dont Hugh versa le contenu dans le gosier du vieux John.M. Willet fit légèrement claquer ses lèvres, fourra la maindans sa poche pour y chercher de l’argent, en demandant combienc’était : il ajouta, en promenant à la ronde des yeux hébétés,qu’il croyait qu’il y avait aussi à payer quelques verrescassés.

« Il a perdu la tête pour le moment,c’est sûr, dit Hugh, après l’avoir secoué rudement sans produired’autre effet sur tout son système qu’un cliquetis de clefs dans sapoche. Où est-il donc, ce Dennis ? »

On appela encore Dennis, qui vint enfin avecun bon bout de corde autour des reins, comme un capucin. Ilaccourait en toute hâte, escorté d’une demi-douzaine de gardes ducorps.

« Allons ! lestement ! criaHugh en frappant la terre du pied ; dépêchons-nous. »

Dennis ne fit que cligner de l’œil et déroulasa corde ; puis, levant les yeux vers le plafond, regarda toutautour, sur les murs et sur la corniche, d’un œil curieux :après cette inspection, il branla la tête.

« Mais allez donc, vous ne bougezpas ! cria Hugh, frappant encore du pied avec plusd’impatience. Allez-vous nous faire attendre ici qu’on ait sonnél’alarme à dix milles à la ronde, et qu’on vienne nous dérangerdans notre besogne ?

– C’est bon à dire, camarade, réponditDennis en faisant un pas vers lui, mais à moins… (et ici il luiparla tout bas)… à moins de l’accrocher à la porte, je ne vois riende propice pour ça dans toute la chambre.

– De propice pour quoi ?

– De propice pour quoi ! repritDennis ; vous savez bien ce qu’on veut faire du bonhomme.

– Quoi ! n’alliez-vous pas lependre ? cria Hugh.

– Eh bien ! il ne faut doncpas ? répliqua le bourreau étonné. Alors, qu’est-ce qu’il fautfaire ? »

Hugh ne répondit rien ; mais, arrachantla corde des mains de son camarade, il se mit en devoir de lier lepère John lui-même. Seulement il s’y prit d’une manière si gaucheet si maladroite, que M. Dennis le supplia, presque la larme àl’œil, de lui laisser faire son métier. Hugh y consentit, et lebourreau eut bientôt fait.

« Là ! dit-il, regardant tristementJohn Willet, qui ne montrait pas plus d’émotion dans ses liens quetout à l’heure, quand il était libre, voilà ce qui s’appelle de labonne ouvrage, et proprement faite. On le dirait empaillé !…mais dites donc, camarade, je voudrais vous dire un mot ; àprésent que le voilà troussé comme une volaille, et tout préparépour la chose, ne vaudrait-il pas mieux, pour tout le monde, ledépêcher sans plus tarder ? Ah ! que ça ferait bien dansle journal ! Le public en aurait bien plus de considérationpour nous. »

Hugh, comprenant l’intention de son camarade,mieux encore par ses gestes que par sa manière de s’exprimer un peutechnique, pour quelqu’un qui n’en avait pas l’habitude, rejetaderechef cette proposition, et prononça le commandement :« En avant ! » qui fut répété au dehors par centvoix en chœur.

« À la Garenne ! cria Dennis, encourant, suivi de tous ceux qui étaient encore dans la maison. À lamaison du témoin, camarades ! »

Un cri de rage répondit à cet appel, et lafoule tout entière courut, animée par l’amour de la destruction etdu pillage. Hugh resta quelques moments encore en arrière pourprendre quelque nouveau stimulant et pour ouvrir toutes lescannelles, qui pouvaient avoir été épargnées ; puis, jetant undernier coup d’œil sur cette chambre pillée et dévastée, où lesémeutiers avaient jeté le Mai lui-même par la fenêtre, car ilsl’avaient scié en morceaux, il alluma sa torche, donna une tape surle dos de John Willet muet et immobile, il balança son luminairesur sa tête, poussa un cri furieux, et se dépêcha de courir aprèsses compagnons.

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