Barnabé Rudge – Tome II

Chapitre 21

 

Pendant le cours de cette journée, tous lesrégiments de Londres ou des environs furent de service dans quelquequartier de la ville. Les troupes régulières et la milice,dispersées en province, reçurent l’ordre, dans chaque caserne etdans chaque poste à vingt-quatre heures de marche, de commencer àse diriger sur la capitale. Mais les troubles avaient pris uneproportion si formidable, et, grâce à l’impunité, l’émeute étaitdevenue si audacieuse, que la vue de ces forces considérables,continuellement accrues par de nouveaux renforts, au lieu dedécourager les perturbateurs, leur donna l’idée de frapper un coupplus violent et plus hardi que tous les attentats des joursprécédents, et ne servit qu’à allumer dans Londres une ardeur derévolte qu’on n’y avait jamais vue, même dans les anciens temps dela révolution.

Toute la veille et tout ce jour-là, lecommandant en chef essaya de réveiller chez les magistrats lesentiment de leur devoir, et, en particulier chez le lord-maire, leplus poltron et le plus lâche de tous. À plusieurs reprises, ondétacha, dans ce but, des corps nombreux de soldats versMansion-House pour attendre ses ordres. Mais, comme ni menaces niconseils ne faisaient rien sur lui, et que la troupe restait là enpleine rue, sans rien faire de bon, exposée plutôt à de mauvaisesconversations, ces tentatives louables firent plus de mal que debien. Car la populace, qui n’avait pas tardé à deviner lesdispositions du lord-maire, ne manquait pas non plus d’en tireravantage pour dire que les autorités civiles elles-mêmes étaientopposées aux papistes, et n’auraient pas le cœur de tourmenter desgens qui n’avaient pas d’autre tort que de penser comme elles. Bienentendu que c’était surtout aux oreilles des soldats qu’on faisaitrésonner ces espérances, et les soldats, qui, de leur côté,naturellement, n’ont pas de goût pour se battre contre le peuple,recevaient ces avances avec assez de bienveillance, répondant àceux qui leur demandaient s’ils iraient volontiers tirer sur leurscompatriotes : « Non ! de par tous lesdiables ! » montrant enfin des dispositions pleines debonté et d’indulgence. On fut donc bientôt persuadé que lesmilitaires n’étaient pas des soldats du pape, etn’attendaient que le moment de désobéir aux ordres de leurs chefspour se joindre à l’émeute. Le bruit de leur répugnance pour lacause qu’ils avaient à défendre, et de leur inclination pour celledu peuple, se répandit de bouche en bouche avec une étonnanterapidité, et, toutes les fois qu’il y avait quelque militaireécarté à flâner dans les rues ou sur les places, il se formaitaussitôt un rassemblement autour de lui : on lui faisait fête,on lui donnait des poignées de main, on lui prodiguait toutes lesmarques possibles de confiance et d’affection.

Cependant la foule était partout. Plus dedéguisement, plus de dissimulation ; l’émeute allait têtelevée dans toute la ville. Un des insurgés voulait-il de l’argent,il n’avait qu’à frapper à la porte de la première maison venue, ouà entrer dans une boutique, pour en demander au nom del’Émeute : il était sûr de voir sa demande sur-le-champsatisfaite. Les citoyens paisibles ayant peur de leur mettre lamain sur le collet quand ils marchaient seuls et isolés, il n’yavait pas de danger qu’on allât leur chercher querelle quand ilsétaient en corps nombreux. Ils se rassemblaient dans les rues, lestraversaient selon leur bon plaisir, et concertaient publiquementleurs plans. Le commerce était arrêté, presque toutes les boutiquesfermées. Presque sur toutes les maisons était déployé un drapeaubleu, en gage d’adhésion à la cause populaire. Il n’y avait pasjusqu’aux juifs de Houndsditch, dans le quartier de Whitechapel,qui écrivaient sur leurs portes et leurs volets : « C’estici la maison d’un vrai et fidèle protestant. » La foulefaisait loi, et jamais loi ne fut acceptée avec plus de crainte etd’obéissance.

Il était à peu près six heures du soir quandun vaste attroupement se précipita dans Lincoln’s-Inn-Fields partoutes les avenues, et là se divisa, évidemment d’après un planpréconçu, en diverses branches. Ce n’est pas que l’arrangementprémédité fut connu de toute la foule : c’était le secret dequelques meneurs qui, venant se mêler aux autres, à mesure qu’ilsarrivaient sur les lieux, et les distribuant dans tel ou teldétachement, exécutaient le mouvement avec autant du rapidité quesi c’eût été une manœuvre faite au commandement, et que chacun eûteu son poste assigné d’avance.

Tout le monde savait, du reste, que la bandela plus considérable, comprenant à peu près les deux tiers de lamasse, était désignée pour l’attaque du Newgate. Elle se formait detous les perturbateurs qui s’étaient distingués dans les premierstroubles ; de tous ceux que la rumeur publique signalait commedes gens de résolution et d’audace, des hommes d’action ; detous ceux qui avaient eu des camarades arrêtés dans les affairesdes jours précédents, enfin d’un grand nombre de parents ou d’amisde criminels détenus dans la prison. Cette dernière classe de hérosne renfermait pas seulement les bandits les plus désespérés et lesplus redoutables de Londres ; on y voyait aussi quelquespersonnes comparativement honnêtes. Plus d’une femme s’étaithabillée en homme pour aller aider à la délivrance d’un fils oud’un frère. Il y avait les deux fils d’un condamné à mort, dont lasentence devait être exécutée le surlendemain, en compagnie detrois autres criminels. Combien de mauvais sujets dont lescamarades avaient été emprisonnés pour filouterie ! Et aussique de misérables femmes, parias du genre humain, qui allaient làpour faire relâcher quelque autre créature de bas étage commeelles, ou peut-être entraînées, Dieu seul pourrait le dire, par unsentiment général de sympathie qui les intéressait à tous lesmalheureux sans espoir !

De vieux sabres, et de vieux pistolets sanspoudre ni balles ; des marteaux de forge, des couteaux, desscies, des haches, des armes pillées dans des étals deboucherie ; une véritable forêt de barres de fer et de massuesde bois ; des échelles longues, pour escalader les murs,portées par une douzaine d’hommes ; des torches allumées, desétoupes enduites de poix, de soufre, de goudron, des pieux arrachésà des palissades ou à des haies ; jusqu’à des béquillesenlevées à des mendiants estropiés dans les rues : voilàquelles étaient leurs armes. Quand tout fut prêt, Hugh et Dennis,aux côtés de Simon Tappertit, prirent la tête ; et derrièreeux se pressa la foule, mouvante et grondante comme une mer quimarche.

Au lieu de descendre tout droit d’Holborn à laprison, comme tout le monde s’y attendait, les chefs de la troupeprirent par Clerkenvall, et se répandant dans une rue paisible,s’arrêtèrent devant une boutique de serrurier… À la clefd’or.

« Tapez à la porte, cria Hugh aux gensqui étaient près de lui. Il nous faut ce soir un homme du métier.Enfoncez plutôt la porte, si on ne vous répond pas. »

La boutique était fermée. La porte et lesvolets étaient de force et de taille ; on avait beau taper,rien ne bougeait. Mais quand la foule impatiente se fut avisée decrier : « Mettons le feu à la maison, » et que lestorches s’avancèrent pour mettre la menace à exécution, la croiséedu premier s’ouvrit toute grande, et le brave vieux serrurier sedressant à la fenêtre :

« Eh bien ! canaille, dit-il,qu’est-ce que vous me voulez ? Venez-vous me rendre mafille ?

– Pas de questions, mon vieux, réponditHugh en faisant signe de la main à ses camarades de le laisserparler. Pas de questions ; mais dépêchez-vous de descendreavec les outils de votre état. Nous avons besoin de vous.

– Besoin de moi ! cria le serrurierjetant un coup d’œil sur l’uniforme qu’il portait. Eh bien !si bien des gens de ma connaissance n’étaient pas des cœurs depoulets, il y a déjà quelque temps que vous n’auriez plus besoin demoi. Faites bien attention à ce que je vais vous dire, mon garçon,et vous aussi, les autres. Vous avez là parmi vous une vingtaine degens que je vois et que je connais bien, et que je regarde, àpartir de ce moment, comme des hommes morts. Tenez ! filez,vous avez encore le temps de faire l’économie d’unenterrement ; sans cela, avant qu’il soit longtemps, vousn’aurez plus qu’à commander vos cercueils.

– Voulez-vous descendre ? criaHugh.

– Voulez-vous me rendre ma fille,brigand ? cria le serrurier.

– Je ne sais pas ce que vous voulez dire,répliqua Hugh. Allons ! camarades, mettons le feu à laporte.

– Arrêtez ! cria le serrurier d’unevoix qui les fit trembler, en leur présentant la gueule de sonfusil. Faites plutôt faire la besogne par un vieux ; ce seraitdommage de tuer cet innocent. »

Le jeune gars qui tenait la torche, et quis’était accroupi devant la porte pour y mettre le feu, se hâta dese lever à ces mots et recula de quelques pas. Le serrurier promenases yeux sur les visages qui lui faisaient face, en abaissant sonarme dirigée sur le pas de sa porte. La crosse de son fusil fixéecontre son épaule n’avait pas besoin d’autre appui, elle étaitferme comme un roc.

« Je préviens l’individu qui va faire çade commencer par dire son In manus, ajouta-t-il d’une voixsûre ; je ne le prends pas en traître. »

Arrachant à un de ses voisins la torche qu’ilportait, Hugh s’avançait en jurant comme un possédé, quand il futarrêté par un cri vif et perçant, et en levant les yeux il vit unvêtement flottant au haut de la maison.

Alors on entendit encore un cri, puis unautre ; puis une voix perçante s’écria : « Simonest-il en bas ? » En même temps un grand col maigres’allongea sur la fenêtre de la mansarde, et Mlle Miggs, dontla forme indistincte commençait à être moins manifeste sousl’influence du crépuscule se mit à crier avec frénésie :

« Ah ! mes chers messieurs,laissez-moi, laissez-moi entendre Simon me répondre de ses propreslèvres. Parlez-moi, Simon ; parlez-moi donc ! »

M. Tappertit, qui n’était pas autrementflatté de cette faveur, leva les yeux pour la prier de se taire etlui donner l’ordre de descendre ouvrir la porte, parce qu’ilsavaient besoin de son maître, et qu’il ne ferait pas bon leurdésobéir.

« Ô mes bons messieurs, criaMlle Miggs. Ô mon précieux, précieux Simon !

– Dites donc, avez-vous bientôt fini vosbêtises ? répliqua M. Tappertit. Descendez donc plutôtnous ouvrir la porte… Gabriel Varden, relevez votre fusil, ou vousn’en serez pas le bon marchand.

– Ne vous inquiétez pas de son fusil,cria Miggs, Simon et messieurs, j’ai versé dans le canon une chopede petite bière. »

La foule poussa un grand cri de joie, qui futbientôt suivi d’un grand éclat de rire. « N’ayez pas peurqu’il parte, quand il serait chargé jusqu’à la gueule, continuaMiggs, Simon et messieurs, je suis enfermée dans la mansarde, lapetite porte à droite, quand vous croirez être tout en haut de lamaison ; et, par parenthèse, prenez garde, en montant lesdernières marches du coin, de ne pas vous cogner la tête contre lespoutres et de ne pas marcher sur le côté : vous tomberiez àtravers le plafond dans la chambre à deux lits du premier étage,car le plafond est mince, je vous en préviens. Simon et messieurs,je suis enfermée ici pour plus du sûreté ; mais ils aurontbeau faire, mon intention a toujours été et sera toujours demarcher dans la bonne cause, la sainte cause… Je renonce au pape deBabylone, et à toutes ses œuvres intérieures et extérieures. Foindu païen !… Je sais bien que mon opinion n’est pas grand’chose(et ici sa voix devenait de plus en plus criarde et perçante),puisque je ne suis qu’une pauvre domestique, et par conséquent unobjet d’humiliation ; mais ça ne m’empêchera pas de dire ceque je pense, et de me confier dans l’appui de ceux qui pensentcomme moi. »

Une fois que Miggs eut déclaré que le fusilétait hors de service, personne ne s’avisa plus de s’amuser àl’écouter, et on la laissa bavarder à son aise. Les assiégeantsdressèrent une échelle contre la fenêtre où se tenait le serrurier,et, malgré la résistance de son courage obstiné, on eut bientôtforcé l’entrée en cassant un carreau et en mettant le châssis enpièces. Après avoir distribué quelques bons coups autour de lui, ilse trouva sans défense au milieu d’une populace furieuse quiinondait la chambre et ne présentait plus partout qu’une masseconfuse de figures inconnues, à la fenêtre et à la porte.

On était très irrité contre lui, car il avaitblessé deux hommes grièvement, et on invitait d’en bas ceux quiétaient montés à l’apporter pour le pendre à un réverbère. MaisGabriel restait indomptable, et, regardant tour à tour Hugh etDennis qui lui tenaient chacun un bras, et Simon Tappertit qui luifaisait face :

« Vous m’avez déjà volé ma fille,disait-il, ma fille qui m’est plus chère que la vie ; vouspouvez bien me prendre aussi la vie, si vous voulez. Je remercieDieu d’avoir permis que j’aie pu dérober ma femme à cette scène, etde m’avoir donné un cœur qui ne demandera pas quartier à des genscomme vous.

– Oui, oui, disait M. Dennis, vousavez raison. Vous êtes un brave homme, et vous ne pouvez pasmontrer plus de cœur pour votre âge. Bah ! qu’est-ce que çavous fait, un réverbère ce soir, ou un lit de plume dans dix ansd’ici ? Voilà-t-il pas une belle affaire ! »

Le serrurier lui lança un regard dédaigneuxsans lui rien répondre.

« Pour ma part, dit le bourreau, quitrouvait particulièrement de son goût l’idée du réverbère, j’honorevos principes et je les partage. Quand je rencontre des gens aussibien pensants (et ici il colora son discours par un bon grosjuron), je suis tout prêt à leur épargner, comme à vous, la moitiédu chemin… N’avez-vous pas quelque part par là un bon bout decorde ? Si vous n’en avez pas, ne vous inquiétez pas ; unmouchoir fera l’affaire tout de même.

– Pas de bêtises, maître ! murmuraHugh en saisissant rudement Varden par l’épaule. Faites ce qu’onvous dit. Vous saurez bientôt ce qu’on vous demande. Allons !faites.

– Je ne ferai rien du tout de ce que vousme demanderez ni vous, ni tout autre coquin de la bande, réponditle serrurier. Si vous vous attendez à obtenir de moi quelqueservice, vous pouvez vous épargner la peine de me dire ce quec’est. Je vous en préviens d’avance, je ne ferai rien pourvous.

M. Dennis fut si touché de la constancedu vieux grognard, qu’il protesta, presque la larme à l’œil, qu’ily aurait de la cruauté à faire violence à ses inclinations et que,pour sa part, il ne voudrait pas avoir pareil tort sur laconscience. Ce gentleman, disait-il, avait déjà déclaré à plusieursreprises qu’il lui était égal qu’on l’exécutât ; enconséquence, il regardait comme un devoir pour eux, en leur qualitéde populace civilisée et éclairée, de l’exécuter en effet. Onn’avait pas, comme il le faisait observer, on n’avait pas tous lesjours la bonne fortune de pouvoir s’accommoder aux vœux des gensdont on était assez malheureux pour ne pas partager la manière devoir. Mais, puisqu’ils étaient justement tombés sur un individu quiexprimait un désir auquel ils pouvaient raisonnablement satisfaire(et, pour sa part, il ne demandait pas mieux que d’avouer que, dansson opinion, ce désir faisait honneur à ses sentiments), ilespérait bien qu’on se déciderait à lui passer sa fantaisie avantd’aller plus loin. C’était un exercice qui, avec un peu d’habiletéet de dextérité, ne demandait pas plus de cinq minutes pours’accomplir à l’entière satisfaction des deux parties ; et,quoique sa modestie l’empêchât de faire lui-même son propre éloge,il demandait la permission de dire qu’il avait dans ces matièresdes connaissances pratiques assez connues, et que comme il était enmême temps d’un caractère obligeant et serviable, il se ferait unvéritable plaisir d’exécuter le gentleman.

Ces observations, débitées à la foule quil’entourait, au milieu d’un tapage et d’un brouhaha effroyables,furent reçues avec grande faveur, peut-être moins à cause del’éloquence du bourreau que de l’entêtement obstiné du serrurier.Gabriel était dans un péril imminent, et il le savait bien ;mais il gardait un silence constant, et n’aurait pas ouvertdavantage la bouche, quand on aurait débattu devant lui la questionde savoir si on ne le ferait pas rôtir à petit feu.

Pendant que le bourreau parlait, il y eutquelque agitation et quelque confusion sur l’échelle, et aussitôtqu’il eut cessé, au grand désappointement de la foule qui était enbas et qui n’avait pas eu le temps d’apprendre ce qu’il venait dedire, ni d’y répondre par ses acclamations, quelqu’un cria par lafenêtre :

« Il a les cheveux gris, il estvieux ; ne lui faites pas de mal. »

Le serrurier se retourna vivement du côté d’oùvenaient ces paroles de pitié, et fixant un regard assuré sur ceuxqui étaient là le long de l’échelle sans rien faire, accrochés lesuns aux autres.

« Tu n’as que faire de respecter mescheveux gris, jeune homme, se mit-il à dire, répondant au timbre dela voix qu’il avait entendue, plutôt qu’à la personne même qu’iln’avait pas vue. Je ne vous demande pas de grâce. Si j’ai lescheveux gris, j’ai le cœur encore assez vert pour vous mépriser etvous braver tous, tas de brigands que vous êtes. »

Ce discours imprudent n’était pas fait, commeon pense, pour apaiser la férocité des assaillants. Ilsrecommencèrent à demander à grands cris qu’on le leur descendît, etl’honnête serrurier allait passer un mauvais quart d’heure si Hughne leur avait pas rappelé, dans la réponse qu’il leur adressa,qu’ils avaient besoin de ses services, et qu’il fallait le garderpour ça.

« Voyons, dit-il à Simon Tappertit,dépêchez-vous donc de lui faire savoir ce que nous lui demandons.Et vous, brave homme, ouvrez vos oreilles toutes grandes, si vousvoulez qu’on vous les laisse. »

Gabriel croisa ses bras maintenant libres, etconsidéra en silence son ancien apprenti.

« Voyez-vous, Varden, dit Simon, c’estque nous allons à Newgate de ce pas.

– Certainement que vous y allez, je levois bien, répliqua le serrurier, vous n’avez jamais dit plusgrande vérité.

– Un instant, reprit Simon, ce n’est pascomme ça que je l’entends. Nous allons le réduire en cendres,forcer les portes et mettre les prisonniers en liberté. C’est vousqui avez aidé dans le temps à faire la serrure de la grandeporte.

– Oui, oui, dit le serrurier, et vousverrez, avant peu, quand vous y serez, que vous ne me devez pasd’obligation pour cela.

– C’est possible, mais en attendant, ilfaut que vous nous montriez le moyen de la forcer.

– Ah vraiment !

– Sans doute, parce qu’il n’y a que vousqui le sachiez ; moi, je n’en sais rien. Ainsi, venez avecnous pour la briser de vos propres mains.

– Quand vous me verrez faire ça, dit touttranquillement le serrurier, c’est que mes mains me tomberont desbras ; et vous ferez bien de les ramasser, Simon Tappertit,pour vous en faire des épaulettes, mon garçon.

– C’est bon, on verra ça, cria Hugh quiintervint en ce moment parce qu’il voyait l’indignation de la foules’échauffer bien fort. Allons ! remplissez-lui un panier desoutils dont il va avoir besoin pendant que moi, je vais vous fairedescendre l’homme. Ouvrez les portes en bas, vous autres, pendantqu’il y en aura qui vont éclairer le grand capitaine. Tudieu, mesgars, à vous voir là à ne rien faire que de grommeler les brascroisés, ne dirait-on pas que nous n’avons plus debesogne !

Ils se regardèrent les uns les autres, et sedispersant aussitôt, montèrent à l’escalade sur la maison, pillanttout, cassant tout, selon leur habitude, et emportant tous lesarticles de quelque valeur qui venaient à les tenter. ils n’eurentpas du reste grand temps à perdre dans cette expédition, car lepanier d’outils fut bientôt prêt et suspendu aux épaules d’un hommede bonne volonté. Les préparatifs étant donc achevés, et toutdisposés pour l’attaque, ceux qui étaient occupés à des œuvres depillage et de destruction dans les autres pièces furent rappelés enbas dans l’atelier. Enfin ils allaient tous sortir lorsque celuiqui venait de descendre le dernier du haut de la maison, s’avançapour demander s’il fallait relâcher la jeune femme qui était dansle grenier où elle faisait, dit-il un tapage terrible, sansdiscontinuer.

En ce qui le concernait, Simon Tappertitn’aurait pas manqué de se prononcer pour la négative ; mais lamasse des frères et amis, se rappelant le bon office qu’elle leuravait rendu en abreuvant le canon de fusil du serrurier, semontrant d’un avis contraire, le capitaine se vit bien obligé derépondre qu’il fallait la mettre en liberté. L’homme alors retournaà son secours, et reparut bientôt avec miss Miggs pliée en deux ettoute mouillée de ses larmes.

Comme cette jeune demoiselle s’était laisséemporter tout le long de l’escalier sans donner signe de vie, sonlibérateur la déclara morte ou mourante, et ne sachant trop quefaire d’elle, il cherchait déjà des yeux quelque banc ou quelquetas de cendres commode pour déposer dessus la belle insensible,lorsque tout à coup elle se dressa sur ses pieds par je ne saisquel mécanisme mystérieux, rejeta ses cheveux en arrière, regardaM. Tappertit d’un air égaré en criant « la vie de monSimmun est sauve ! » et à l’instant elle se jeta dans lesbras du héros avec tant de promptitude qu’il en perdit l’équilibreet recula de quelques pas sous le choc de son aimable fardeau.

« Ah ! que c’est embêtant ! ditM. Tappertit. Voyons ! des hommes ici ! qu’onl’empoigne, et qu’on la remette sous les verrous ; on n’auraitjamais dû lui ouvrir.

– Mon Simmun ! criaitMlle Miggs en larmes et défaillante ; mon cher, mon béni,mon adoré à toujours Simmun !

– Voyons ! allez-vous vous tenir,hein ? disait M. Tappertit d’un ton tout différent, oubien je vais vous laisser tomber par terre. Que diable avez-vousdonc à glisser comme ça vos pieds le long du plancher au lieu devous redresser ?

– Mon bon ange Simmun ! murmuraitMiggs… Il m’a promis…

– Promis ! Ah ! c’est vrai,répondit Simon d’un ton bourru. N’ayez pas peur, je vous tiendraima promesse. Je vous ai dit que je vous pourvoirais, et vous pouvezy compter. Allons ! mais tenez-vous donc !

– Où voulez-vous que j’aille àprésent ? Qu’est-ce que je vais devenir après ce que j’ai faitce soir ? cria Miggs. Je n’ai plus d’autre lieu de repos àespérer que le silence de la tombe.

– Plût à Dieu que vous y fussiez déjà,dans le silence de la tombe, répliqua M. Tappertit, et d’unebonne tombe encore, et bien serrée… Venez ici, cria-t-il à l’un descamarades ; puis il lui donna le mot d’ordre à voix basse dansle tuyau de l’oreille. Emmenez-la avec vous. Vous savezoù ? »

L’autre fit signe qu’il le savait ; et laprenant dans ses bras, malgré ses protestations, ses sanglots et sarésistance, y compris les égratignures, qui ne laissaient pas derendre la lutte peu agréable, il enleva son Hélène. Tous ceux quiétaient restés jusque-là dans la maison sortirent dans la rue. Leserrurier fut mis en tête de la bande et forcé de marcher entredeux conducteurs. Toute la troupe se mit aussitôt enmouvement ; et sans cri, sans tumulte, ils allèrent droit àNewgate, et firent halte au milieu d’une masse énorme d’insurgésdéjà réunis devant la porte de la prison.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer