LA DERNIÈRE ÉNIGME AGATHA CHRISTIE

— Oh ! d’après votre annonce, je m’étais imaginé…

Son regard intrigué alla de Gwenda à Giles.

— Pourquoi, au fait, avez-vous fait paraître cette annonce ?

— Nous souhaitions entrer en relations…

— Avec quelqu’un dont il ne vous reste à peu près aucun souvenir ? s’étonna Kennedy.

— Je pensais que si je pouvais la retrouver, elle me parlerait de mon père.

— Hum ! Oui, je comprends. Et je suis sincèrement désolé de ne pouvoir vous être d’aucune aide. Tout cela est si lointain, et ma mémoire…

— Vous devez tout de même savoir, intervint Giles, dans quel genre de maison de repos était entré le major Halliday. Était-ce un sanatorium pour tuberculeux ?

Le visage du docteur se ferma de nouveau.

— Heu… oui, je crois.

— Dans ce cas, nous devrions le retrouver sans difficulté. Je vous remercie, docteur, pour tout ce que vous nous avez appris.

Giles se leva, aussitôt imité par sa femme.

— Merci beaucoup, dit à son tour Gwenda. Et j’espère que vous viendrez nous voir à Hillside.

Au moment où elle franchissait le seuil, elle tourna la tête et aperçut une dernière fois le Dr Kennedy, debout près de la cheminée. Il tiraillait nerveusement sa moustache grisonnante et paraissait soucieux.

— Il sait quelque chose dont il n’a pas voulu nous faire part, dit la jeune femme en prenant place dans la voiture aux côtés de son mari. Oui, il y a quelque chose, Giles. Et je souhaiterais à présent n’avoir jamais mis le nez dans cette vieille histoire.

Les deux jeunes gens se regardèrent pendant un instant et, dans l’esprit de chacun d’eux, une sorte de crainte commençait à s’insinuer.

— Miss Marple avait raison, continua Gwenda, nous aurions dû laisser dormir le passé.

— Nous ne sommes pas obligés de poursuivre, fit observer Giles d’une voix mal assurée. Peut-être ferions-nous aussi bien d’abandonner, chérie.

Gwenda secoua la tête.

— Non, Giles. Nous ne pouvons pas nous arrêter maintenant. Nous nous poserions toujours des questions qui resteraient sans réponses, nous imaginerions des tas de choses… Il nous faut continuer, nous n’avons pas le choix. Il est certain que le Dr Kennedy nous a caché certains détails, sans doute par pure bonté d’âme. Seulement, nous n’avons que faire de ce genre de bonté. Il nous faut absolument découvrir ce qui s’est réellement passé. Même si… même si c’est mon père qui a…

Sa voix se brisa, et elle se tut.

CHAPITRE VIII

Les hallucinations de Kelvin Halliday

Le lendemain matin, Giles et Gwenda étaient dans le jardin lorsque Mrs. Cocker apparut sur le seuil de la porte-fenêtre.

— Excusez-moi, monsieur, un certain Dr Kennedy vous demande au téléphone.

Laissant Gwenda en conversation avec le vieux Foster, Giles rentra dans la maison et saisit le combiné.

— Ici Giles Reed.

— Kennedy à l’appareil. J’ai réfléchi à notre conversation d’hier, Mr. Reed, et je suis parvenu à la conclusion que certains faits que j’ai pas cru bon de mentionner devraient cependant être connus de vous et de votre femme. Pourrais-je vous rendre visite cet après-midi ?

— Naturellement. Vers quelle heure ?

— Disons trois heures. Est-ce que cela vous conviendrait ?

— À merveille.

Au même moment, le jardinier demandait à Gwenda :

— Est-ce que ce Dr Kennedy est celui qui habitait autrefois ici, à West Cliff ?

— Je le suppose. Vous le connaissiez ?

— Comme ci, comme ça. Les gens prétendent que c’était un excellent médecin ; mais le Dr Lazenby était plus populaire, c’est sûr. Il avait toujours un mot aimable ou une bonne plaisanterie. Le Dr Kennedy, lui, était plutôt sec ; mais il connaissait son affaire.

— Quand a-t-il abandonné sa clientèle ?

— Oh ! ça fait longtemps. Une bonne quinzaine d’années, rapport à sa santé, qu’on dit…

Giles, qui venait de disparaître, répondit aussitôt au regard interrogateur de sa femme.

— Il doit venir cet après-midi.

— Oh !

Gwenda se tourna à nouveau vers le jardinier.

— Avez-vous connu la sœur du Dr Kennedy ?

— Sa sœur ? Je crois pas. L’était qu’une gamine qui allait encore à l’école. Ensuite, l’est partie à l’étranger, mais il me semble qu’elle est revenue ici après son mariage. Et puis, l’a filé avec un autre gars. L’avait toujours été un peu folle, la petite Kennedy. Mais je me demande si je l’ai jamais vue moi-même, parce que je travaillais alors à Plymouth.

Gwenda s’éloigna en compagnie de son mari.

— Pourquoi vient-il ? demanda-t-elle.

— Nous le saurons bientôt.

Le Dr Kennedy arriva à trois heures précises.

— Ça me fait tout drôle de me retrouver ici, dit-il en parcourant des yeux le salon où on venait de le faire entrer.

Puis, sans autre préambule, il en vint au but de sa visite.

— J’ai compris que vous étiez résolus à trouver la maison de repos où est mort Kelvin Halliday et que vous désiriez également en savoir davantage sur sa maladie et sur ses derniers jours.

— Absolument, dit Gwenda.

— Vous pouvez évidemment y parvenir sans difficulté. C’est pourquoi il me semble que le choc sera moins rude si je vous mets moi-même au courant des faits que j’ai passés sous silence hier. Je suis désolé d’avoir à vous l’apprendre, car cela risque de vous causer de la peine, Gwennie, mais votre père n’était pas atteint de tuberculose. Il est mort dans une clinique psychiatrique.

— Une clinique… psychiatrique ? Avait-il donc… perdu la raison ?

Le visage de la jeune femme était devenu d’une pâleur de cire.

— Officiellement, il n’a jamais été déclaré atteint de maladie mentale. Et, à mon avis, il n’était pas fou au sens que l’on donne généralement à ce terme. Il avait eu une très grave dépression nerveuse, et il souffrait d’hallucinations obsessionnelles. Il est entré dans cet établissement de son propre gré, et il aurait pu le quitter à n’importe quel moment s’il l’avait désiré. Néanmoins, son état ne s’améliora pas, et il y mourut.

— Des hallucinations obsessionnelles ? répéta Giles. Quel genre d’hallucinations ?

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