LA DERNIÈRE ÉNIGME AGATHA CHRISTIE

— Ça risque de leur valoir bien du malheur, et ils peuvent regretter amèrement de s’être mêlés de cette vieille affaire. Mieux vaut laisser dormir les secrets de famille. Malgré tout, je comprends le point de vue du jeune Giles. Et moi-même, je crois bien que, dans ces circonstances, j’aurais réagi de la même manière. En ce moment même, je suis curieux de…

Il s’interrompit pour considérer Miss Marple d’un air grave.

— C’est donc pour ça que vous tenez tellement à aller à Dillmouth. Pour vous immiscer dans une affaire qui ne vous concerne en rien.

— Pas du tout, docteur. Je me fais seulement du souci pour ces deux jeunes gens. Ils ont si peu d’expérience, et ils sont tellement confiants, tellement crédules… Il me semble qu’il est de mon devoir de veiller sur eux.

— Hum ! Veiller sur eux…

Miss Marple lui adressa un sourire un peu pincé.

— Vous êtes bien d’avis que quelques semaines à Dillmouth me seraient bénéfiques sur le plan de la santé, n’est-il pas vrai ?

— Cette folle équipée pourrait aussi mettre fin à vos jours. Mais comme je sais que vous ne suivrez pas mes conseils…

3

Miss Marple se rendait chez ses amis les Bantry lorsqu’elle rencontra le colonel, son fusil à la main et son épagneul sur les talons.

— Ravi de vous revoir ! dit le vieux militaire d’un ton cordial. Comme va Londres ?

Miss Marple déclara que Londres se portait très bien et que son neveu l’avait emmenée voir plusieurs pièces de théâtre.

— Des trucs pour intellectuels, j’imagine. Moi, je n’aime que les comédies musicales.

— J’ai vu, en particulier, une pièce russe fort intéressante, bien qu’un peu trop longue pour mon goût.

— Les Russes ! explosa le colonel.

Il se rappelait un roman de Dostoïevski, qu’on lui avait donné à lire autrefois dans une clinique.

Il ajouta que Miss Marple trouverait Dolly dans le jardin :

C’était en effet l’endroit où l’on était à peu près sûr de rencontrer Mrs. Bantry, qui avait la passion du jardinage. Sa littérature favorite, c’était les catalogues de bulbes ou d’arbustes, et sa conversation roulait surtout sur les primevères, les oignons, les plantes en tout genre.

Miss Marple aperçut d’abord un postérieur plantureux vêtu de tweed fané ; mais, au bruit de ses pas sur le gravier de l’allée, Mrs. Bantry se redressa en faisant une grimace de douleur et en essuyant son front en sueur avec une main maculée de terre.

— J’ai appris que vous étiez de retour, Jane, dit-elle d’un ton joyeux. Que pensez-vous de mes delphiniums ? Est-ce qu’ils ne se portent pas bien ? Et avez-vous vu ces nouvelles petites gentianes ? Elles m’ont donné du mal, mais je crois qu’elles sont bien parties, maintenant. Ce qu’il nous faudrait, c’est de la pluie. Le sol est affreusement sec.

Puis, changeant brusquement de sujet :

— Esther m’avait dit que vous étiez malade.

Esther remplissait chez Mrs. Bantry les fonctions de cuisinière et d’agent de liaison avec le village.

— Je suis heureuse de constater qu’il n’en est rien.

— Je suis seulement un peu surmenée. Le Dr Haydock est d’avis que j’ai besoin de l’air de la mer. Et je crois qu’il a raison : je me sens épuisée.

— Mais vous ne pouvez pas partir en ce moment, voyons ! C’est la meilleure période de l’année pour le jardin. Vos plates-bandes doivent juste commencer à fleurir.

— Le docteur affirme qu’un changement d’air m’est absolument indispensable.

— Je veux bien admettre que Haydock n’est pas aussi stupide que certains autres médecins, reconnut Mrs. Bantry un peu à contrecœur.

— Dites-moi, Dolly, je pensais tout à l’heure à cette cuisinière que vous aviez…

— Vous avez besoin d’une cuisinière ? Vous ne voulez pas parler de celle qui buvait, n’est-ce pas ?

— Non, non. Je songeais à celle qui faisait de si bonne cuisine et dont le mari était valet de chambre.

— Ah ! Celle qui avait une voix grave et triste, comme si elle était tout le temps sur le point de fondre en larmes. C’était une bonne cuisinière, en effet ; mais son mari n’était qu’un gros fainéant absolument bon à rien. Il est fort regrettable que dans un ménage de domestiques, il y en ait toujours un qui laisse à désirer. Ceux-là nous ont quittés parce qu’ils avaient fait un héritage, et ils sont allés ouvrir une pension de famille sur la côte sud.

— C’est bien ce qu’il me semblait. Ne sont-ils pas à Dillmouth ?

— Mais oui. Ils habitent sur le boulevard de la Plage. Au numéro 14, je crois.

— Le docteur m’ayant ordonné l’air de la mer, j’ai pensé que je pourrais peut-être aller à… Ne s’appelaient-ils pas Saunders ?

— Si. Je trouve que c’est là une excellente idée, Jane. Vous, ne sauriez mieux tomber. Mrs. Saunders s’occupera bien de vous et, hors saison, elle vous consentira des prix raisonnables. Avec une bonne table et l’air de la mer, vous ne tarderez pas à retrouver toutes vos forces…

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