LA DERNIÈRE ÉNIGME AGATHA CHRISTIE

Kennedy esquissa un sourire sceptique.

— Je ne pense pas que ses sentiments aient été bien profonds. De toute façon, ainsi que je viens de le dire, il a quitté la ville.

— À quel genre d’ennuis faites-vous allusion ?

— Oh, rien de criminel. Seulement certaines petites indiscrétions concernant les affaires de son employeur.

— Et son employeur était Mr. Fane, n’est-ce pas ?

Kennedy parut un peu surpris.

— Oui, en effet. Maintenant que vous en parlez, je me rappelle, en effet, qu’il travaillait chez Fane et Watchmann. Comme simple clerc, d’ailleurs.

Un simple clerc ? se demandait Miss Marple en se penchant à nouveau sur les liserons après le départ du docteur.

CHAPITRE XIX

Mr. Kimble parle

— Je me demande ce que ça signifie, murmura Mrs. Kimble.

Son mari avança sa tasse en marmonnant :

— À quoi penses-tu donc, Lily ? Pas de sucre, voyons !

Mrs. Kimble rectifia aussitôt l’erreur et reprit le sujet qui l’intéressait.

— Je pense à cette annonce. « Lily Abbott, autrefois femme de chambre Villa Sainte-Catherine à Dillmouth. » C’est assez clair, non ? Il s’agit de moi.

— Hem ! grogna Mr. Kimble.

— Après tout ce temps, tu dois reconnaître que c’est bizarre.

— Hem !

— Qu’est-ce que je vais faire, Jim ?

— Laisse tomber.

— Et s’il y avait de l’argent à gagner ?

Faisant entendre une sorte de glouglou, Mr. Kimble aspira quelques gorgées de thé pour se donner le courage de s’embarquer dans un long discours.

— Tu m’as autrefois raconté tout un tas de trucs sur ce qui s’est passé, mais je n’y ai pas prêté beaucoup d’attention. Je prenais ça pour des bêtises, des bavardages de femme. Peut-être que je me trompais, après tout. Mais, dans ce cas, c’est le boulot de la police ; pas le tien.

Et tu n’as pas à t’en mêler. Et puis, c’est du passé. Laisse tomber, ma fille.

— Tout ça, c’est très bien. Mais on a pu me laisser de l’argent par testament. Mrs. Halliday était peut-être vivante jusqu’à présent ; et si elle vient de mourir, elle a pu me léguer quelque chose.

— Tu rigoles, non ? Et pourquoi qu’elle t’aurait laissé quelque chose ?

— Même si c’est la police… Tu sais, Jim, il y a quelquefois une grosse récompense pour ceux qui peuvent donner des renseignements sur un assassin.

— Et qu’est-ce que tu pourrais dire ? Tout ce qui est dans ta tête, c’est toi qui l’y as fourré. Des inventions, pas moins.

— C’est toi qui le dis. Mais j’ai réfléchi…

— Hem ! fit Kimble d’un air désapprobateur.

— C’est pourtant vrai. Depuis que j’ai lu cette première annonce dans le journal. J’ai peut-être pas vu les choses comme il fallait les voir. Cette Léonie était un peu idiote, comme tous les étrangers. Elle ne comprenait même pas exactement ce qu’on lui disait, et son anglais était quelque chose d’affreux. Suppose que j’aie mal compris ce qu’elle m’a raconté… J’ai essayé de me rappeler le nom de cet homme… Car c’est lui qu’elle avait vu… Tu te rappelles ce film dont je t’ai parlé ? Amant secret, que ça s’appelait. C’était formidable. On avait fini par attraper le gars grâce à sa voiture. Il avait refilé cinquante dollars à l’employé du garage pour qu’il oublie qu’il lui avait fait le plein d’essence cette nuit-là. Je sais pas trop ce que ça peut faire en livres… Et l’autre était là, aussi… Et le mari fou de jalousie… Ils étaient tous les deux toqués de la fille. Et finalement…

Mr. Kimble repoussa sa chaise, qui grinça sur le plancher. Puis il se leva lentement, avec un air digne et autoritaire. Sur le point de sortir de la cuisine, il lança son ultimatum.

— Tu vas laisser tomber tout ça, petite. Sinon, tu pourrais bien le regretter.

Il passa dans l’arrière-cuisine, mit ses chaussures et s’en alla sans ajouter un mot.

Lily resta assise pendant un long moment, plongée dans ses pensées. Bien sûr, elle ne pouvait pas aller exactement contre la volonté de son mari, mais tout de même… Jim était tellement terre-à-terre, et il avait des vues si étroites ! Elle aurait voulu pouvoir demander conseil à quelqu’un d’autre. À quelqu’un qui aurait pu lui parler de la récompense possible, de la police et de tout ce que cela signifiait. Quel dommage de laisser échapper une chance de ramasser de l’argent !

Et elle poursuivait son rêve… Qu’avait donc dit Léonie, autrefois ?

Finalement, il lui vint une idée. Elle se leva pour aller chercher un bloc de papier à lettres et un stylo.

Je sais ce que je vais faire, se dit-elle. Je vais écrire au docteur, au frère de Mrs. Halliday. Il me dira ce qu’il faut faire… si toutefois il est encore en vie. D’ailleurs, j’ai ça sur la conscience, au fond. Car je ne lui ai pas parlé de Léonie, à l’époque. Ni de la voiture.

On n’entendait maintenant dans la pièce que le grattement laborieux du stylo de Lily sur le papier. Il était assez rare qu’elle eût à écrire, et cette lettre exigeait d’elle un effort considérable.

Sa missive achevée, elle glissa la feuille dans une enveloppe qu’elle cacheta soigneusement. Pourtant, elle ne se sentait pas aussi satisfaite qu’elle avait espéré l’être. Il y avait neuf chances sur dix pour que le docteur fût mort ou qu’il eût quitté Dillmouth.

Y avait-il quelqu’un d’autre ?

Quel était donc le nom de ce type ? Si seulement elle pouvait s’en souvenir…

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