LA DERNIÈRE ÉNIGME AGATHA CHRISTIE

2

— Ça me paraît sans espoir, déclara Giles. Mais on ne sait jamais.

Calcutta Lodge s’élevait au milieu d’un très beau jardin, et le salon dans lequel furent introduits les deux jeunes gens était, lui aussi, remarquablement tenu, bien que peut-être un peu trop surchargé de meubles.

Une femme d’âge moyen, l’air vaguement soupçonneux, fit bientôt son entrée. Giles lui ayant expliqué le but de leur visite, le visage de Miss Galbraith se détendit. Elle était un peu rassurée : on n’allait pas essayer de lui vendre un aspirateur.

— Je suis navrée, répondit-elle, mais je ne pense pas pouvoir vous aider. Cela remonte déjà à bien des années.

— Il arrive cependant que l’on se rappelle certains détails, insista Gwenda.

— En ce qui me concerne, je ne peux pas savoir grand-chose, car je ne me suis jamais occupée de l’agence. Un major Halliday, dites-vous ? Je ne me souviens pas d’avoir jamais entendu ce nom à Dillmouth.

— Votre père pourrait peut-être se souvenir, suggéra Gwenda.

Miss Galbraith hocha la tête.

— Il ne s’intéresse plus à grand-chose, maintenant, et sa mémoire est devenue très capricieuse.

Les yeux de Gwenda se posèrent sur un petit guéridon de cuivre de Bénarès, puis sur une série d’éléphants d’ébène alignés sur la cheminée.

— J’avais dans l’idée qu’il pourrait se rappeler, dit-elle, parce que mon père venait justement des Indes. Et comme votre villa s’appelle Calcutta Lodge…

— Oui, mon père a séjourné un certain temps à Calcutta pour ses affaires. Ensuite, il aurait aimé y retourner, mais ma mère n’a pas voulu s’expatrier.

Évidemment, on ne peut pas dire que le climat soit des plus sains, dans ces régions. Ma foi, si vous voulez tout de même essayer de lui parler… J’ignore s’il est dans un de ses bons jours.

Elle conduisit ses visiteurs jusqu’à un petit bureau situé sur le derrière de la maison. Là, assis dans un grand fauteuil de cuir un peu râpé, se tenait un vieux monsieur, le visage tiré de côté, la lèvre ornée d’une moustache blanche à la gauloise. Il considéra Gwenda d’un air approbateur, et sa fille fit les présentations.

— Ma mémoire n’est plus ce qu’elle a été, murmura-t-il d’une voix sourde.

Son élocution manquait un peu de clarté.

— Halliday, dites-vous ? Non, je ne me rappelle pas ce nom. Je connaissais bien, au lycée, un garçon qui portait son nom ; mais ça remonte à quelque soixante-dix ans.

— Nous pensons que le major Halliday avait pu louer Hillside.

— Hillside ? Est-ce que la maison portait déjà ce nom ? C’était une certaine Mrs. Findeyson, qui habitait là. Une femme remarquable, d’ailleurs.

— Il se peut que mon père ait loué la maison en meublé. Il revenait des Indes à ce moment-là.

— Des Indes ? Je me rappelle quelqu’un… Un militaire… Il connaissait ce vieux bandit de Mohammed Hassan, à qui j’avais acheté des tapis et qui m’avait roulé… Un militaire, oui… Il avait une jeune femme et un bébé… Une petite fille.

— C’était moi, dit Gwenda.

— Pas possible ! Mon Dieu, comme le temps passe ! Voyons, comment s’appelait-il donc ? Il cherchait une maison en meublé. Mrs. Findeyson était partie pour l’Égypte, je crois, où elle devait passer l’hiver. Pour sa santé, soi-disant… Tout ça, c’est des niaiseries. Mais quel était donc son nom ?

— Halliday, répéta Gwenda.

— C’est juste, Halliday. Le major Halliday. Un chic type. Il avait une très jolie femme… toute jeune… les cheveux blonds… Elle tenait à ne pas être trop éloignée de ses parents, me semble-t-il. Oui, très jolie…

— Qui étaient ses parents ?

— Aucune idée. Non, pas la moindre idée. Mais… vous, ne lui ressemblez pas du tout.

Gwenda fut sur le point de lui apprendre qu’il ne s’agissait que de sa belle-mère, mais elle se dit qu’il était inutile de compliquer un peu plus la situation.

— Comment était-elle ?

La réponse de Mr. Galbraith fut assez surprenante.

— Elle paraissait inquiète… Oui, c’est bien ça… Inquiète. Un garçon sympathique, ce major Halliday. Je me rappelle qu’il était ravi de savoir que j’avais été à Calcutta. Il ne ressemblait pas du tout à ces hommes qui ne sont jamais sortis d’Angleterre. Bornés, voilà ce qu’ils sont. Moi, j’ai vu le monde. Quel était donc le nom de ce militaire… qui voulait louer une maison en meublé ?…

Cela faisait maintenant penser à un très vieux phonographe répétant un disque usé.

— Saint-Catherine. C’est ça. Il a loué Sainte-Catherine pour huit livres par semaine… pendant que Mrs. Findeyson était en Égypte. Elle est d’ailleurs morte là-bas, la pauvre femme, et, par la suite, la maison fut mise aux enchères. Qui donc l’a achetée ?… Ah oui ! les demoiselles Elworthy. Quatre vieilles filles. Mais elles ont changé le nom de la propriété, parce que ça faisait trop papiste pour leur goût. Elles passaient leur temps à distribuer des tracts… Bien laides, toutes les quatre. Elles s’intéressaient aux peuplades noires, envoyaient des vêtements, des bibles… Elles étaient enragées pour essayer de convertir les païens…

Il poussa un soupir et se renversa dans son fauteuil.

— Il y a si longtemps, dit-il d’un air las, que je ne me rappelle plus les noms. Un type qui venait des Indes… Un brave garçon… Un militaire, je crois… Une jolie femme… Une petite fille… Je suis fatigué, Gladys… Je voudrais une tasse de thé…

Giles et Gwenda le remercièrent, remercièrent sa fille et se retirèrent.

— Voilà qui est donc prouvé, dit Gwenda en remontant en voiture. Mon père et moi avons véritablement séjourné à Hillside. Qu’allons-nous faire à présent ?

— J’ai été stupide ! s’écria soudain le jeune homme. Somerset House, bien sûr.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un bureau où l’on peut retrouver le double de tous les actes de mariage. Je vais m’y rendre pour consulter celui du mariage de ton père. D’après ta tante, il a épousé sa seconde femme dès son retour en Angleterre. Ne comprends-tu pas que nous aurions dû y penser plus tôt ? Il est parfaitement possible que cette « Hélène » ait été une parente de ta belle-mère ; peut-être une jeune sœur. De toute façon, une fois que nous connaîtrons son nom de famille, nous risquons de découvrir quelqu’un susceptible de nous fournir des renseignements sur elle. Rappelle-toi, le vieux Galbraith a prétendu que ta belle-mère voulait être près de ses parents. Si ceux-ci vivent encore, nous pourrons enfin apprendre quelque chose.

— Giles, murmura Gwenda, tu es vraiment épatant !

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