LA DERNIÈRE ÉNIGME AGATHA CHRISTIE

Après un instant de silence, le jardinier continua :

— À cette époque, y avait pas aucune de ces maisons tout le long de la colline. On était véritablement à la campagne. Pas de cinéma, et pas tous ces magasins neufs. L’esplanade non plus n’existait pas.

Son ton laissait apparaître la désapprobation qu’éprouvent les personnes âgées envers toute innovation.

— Des changements, ajouta-t-il avec un petit ricanement de mépris. Rien que ça.

— Les changements sont inévitables, fit doucement remarquer Gwenda. Après tout, il y a aujourd’hui des quantités d’améliorations, ne croyez-vous pas ?

— C’est ce qu’on dit. Seulement, moi, je les ai pas remarquées. Des changements, peuh !

Foster esquissa un geste en direction de la haie de macrocnèmes à travers laquelle on apercevait, sur la gauche, un bâtiment qui brillait au soleil.

— C’était autrefois le Cottage Hospital. Très bien et très pratique. Et puis, on est allé construire un autre hôpital, plus grand, à près d’un mille de la ville. Si vous voulez aller rendre visite à quelqu’un, vous en avez pour vingt minutes à pied ; et vingt pour le retour. Ou alors, il vous faut payer le bus.

Nouveau geste en direction de la haie.

— À présent, c’est une école de filles. Depuis dix ans. Toujours des changements, que je vous dis. Des changements partout. Tenez, encore autre chose : aujourd’hui, les gens s’installent dans une maison, ils y restent dix ou douze ans, et puis ils s’en vont ailleurs. Ils tiennent pas en place, quoi ! Qu’est-ce qu’il y a de bon dans tout ça, voulez me le dire ? On peut rien planter convenablement si on regarde pas loin devant soi, Miss.

Gwenda considéra le magnolia avec amour.

— Comme Mrs. Findeyson, n’est-ce pas ?

— Ah ! celle-là, c’était quelqu’un ! Elle était toute jeune quand elle est venue ici, juste après son mariage. Elle a élevé ses enfants, les a casés, a enterré son mari… Tous les étés, elle gardait ses petits-enfants. Et elle avait près de quatre-vingts ans quand elle s’en est allée.

Le ton de Foster, cette fois, reflétait une admiration sans réserve.

Gwenda regagna la maison, le sourire aux lèvres. Après avoir jeté un coup d’œil aux ouvriers, elle alla s’installer au petit bureau du salon pour écrire des lettres. Dans le courrier attendant une réponse, il y avait une missive des West : des cousins de Giles, qui habitaient Londres. Ils l’invitaient à venir les voir dans leur maison de Chelsea, dans le cas où elle se rendrait à la capitale.

Raymond West était un romancier bien connu, sinon populaire, et sa femme Joan était peintre. Gwenda se dit que ce serait peut-être amusant d’aller les voir, mais sans doute la prendraient-ils pour une philistine, car ni Giles ni elle n’étaient vraiment des intellectuels.

Un coup de gong sonore résonna majestueusement dans le hall, accompagné par un craquement de bois torturé. Cet antique instrument avait fait partie des possessions de la vieille tante, et Mrs. Cocker semblait éprouver un immense plaisir à le faire tonner, car elle faisait toujours bonne mesure. Gwenda porta les mains à ses oreilles et se leva.

Elle traversa rapidement le salon en direction du mur opposé, et puis s’arrêta net en poussant une exclamation de contrariété. C’était la troisième fois que cela lui arrivait. On eût dit qu’elle s’attendait à pouvoir passer à travers ce mur pour gagner la salle à manger.

Faisant demi-tour, elle sortit dans le hall et contourna l’angle du mur du salon pour se rendre à la salle à manger. Cela faisait un assez long détour, et elle se dit que ce serait plutôt ennuyeux durant l’hiver, car ce hall était plein de courants d’air, et le chauffage central n’était installé, au rez-de-chaussée, que dans le salon et la salle à manger.

La jeune femme prit place à la ravissante table Sheraton, qu’elle avait achetée récemment pour remplacer la massive table d’acajou.

Je ne vois pas, songeait-elle, pourquoi on ne pourrait pas percer une porte qui ferait communiquer les deux pièces. J’en parlerai à Mr. Sims dès demain matin.

Mr. Sims, entrepreneur et décorateur, était un homme d’un certain âge, à la voix sourde et rauque, qui se promenait sans cesse avec dans sa main un petit carnet dans lequel il s’empressait de noter toutes les idées coûteuses qui pouvaient traverser l’esprit de ses clients. Consulté sur la question de la porte, il approuva sans réserve la suggestion de Gwenda.

— C’est la chose la plus simple du monde, Mrs. Reed. Et ce serait effectivement une amélioration appréciable.

— Est-ce que cela coûterait très cher ?

La jeune femme avait appris à se méfier des affirmations et aussi de l’enthousiasme de Mr. Sims, car elle avait déjà éprouvé quelques surprises par suite de divers à-côtés qui ne figuraient pas sur le devis primitif.

— Une bagatelle, répondit l’entrepreneur d’un ton qu’il voulait rassurant.

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