Madame Chrysanthème

XXIII

 

2août.

En bas, dans la ville, à un carrefour, unechanteuse des rues s’était installée ; on s’assemblait pourl’entendre, et nous nous étions arrêtés comme les autres, noustrois qui passions, Yves, Chrysanthème et moi.

Toute jeune, un peu grasse, assez jolie, elleraclait sa guitare et chantait, en roulant les yeux d’une manièreféroce comme un virtuose exécutant des difficultés. Elle baissaitla tête, se rentrait le menton dans le cou pour tirer des notesplus creuses du fin fond de son corps ; elle arrivait à sefaire une grosse voix rauque, une voix de vieux crapaud, une voixde ventriloque sortie je ne sais d’où (ce qui est la grande manièrethéâtrale, le dernier mot de l’art pour interprétation des morceauxtragiques).

Yves lui jeta un regard indigné :

– Oh ! par exemple ! dit-il, – maisc’est la voix d’une… (dans son étonnement, les mots lui manquaient)– c’est la voix d’un… d’un monstre !…

Et il me regarda, presque épouvanté par cettepetite, anxieux de savoir ce que j’en pensais.

D’ailleurs il était de mauvaise humeuraujourd’hui, mon pauvre Yves, parce que je l’avais obligé à sortircoiffé de certain chapeau de paille, à bords très relevés, qui nelui plaît pas.

– Il te va très bien, Yves, je t’assure.

– Oui ? Vous le dites, vous… Il ressembleà un nid de pie, moi je trouve !

Comme diversion à cette chanteuse et à cechapeau, voici maintenant un cortège, qui nous arrive du bout de larue là-bas, quelque chose comme un enterrement. Des bonzes marchenten tête, vêtus de robes en gaze noire, – un air de prêtrescatholiques ; le principal personnage du défilé, le mort,vient par-derrière, assis dans une sorte de petit palanquin fermé,tout à fait gentil. Suivent une bande de mousmés, cachant leurfigure rieuse sous un semblant de voile et portant, dans des vasesde forme sacrée, les lotus artificiels à pétales d’argent qui sontde rigueur pour les funérailles ; puis de belles damesmarchent après, minaudières, étouffant des envies de rire, sous desparasols où sont peints en couleurs gaies des papillons et descigognes…

Les voici tout près de nous, il faut nousranger pour leur faire place. – Et Chrysanthème tout à coup prendun air de circonstance ; Yves se découvre, ôte son nid depie…

C’est pourtant vrai, que c’est la mort quipasse ! Moi qui oubliais… cela en avait si peu l’air…

Le cortège va grimper bien haut, bien haut,au-dessus de Nagasaki, dans la verte montagne toute peuplée detombes. Là, on déposera dans la terre cet infortuné bonhomme, sonpalanquin par-dessus lui, et ses vases, et ses fleurs en papierargenté. Enfin !… au moins il sera dans un lieu agréable, cepauvre mort, et jouira d’une vue charmante…

On s’en reviendra, moitié riant, moitiépleurnichant.

Demain, on n’y pensera plus.

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