Madame Chrysanthème

XLII

 

4septembre.

J’ai rencontré aujourd’hui, dans un vieuxquartier mort, une mousmé tout à fait exquise, délicieusementcostumée, fraîche sur le fond sombre des ruines.

C’était tout au bout de Nagasaki, dans lapartie très ancienne de la ville. Il y a dans cette région desarbres centenaires, des vieux temples de Bouddha, ou d’Amiddah, oude Benten, ou de Kwanon, à hautes toitures pompeuses ; desmonstres de granit assis dans des cours pleines de silence oùl’herbe pousse entre les dalles. Ce quartier désert est traversépar un torrent étroit au lit profond, sur lequel sont jetés despetits ponts courbes aux balustres de granit rongés par le lichen.Toutes les choses qui sont là s’arrangent et grimacent bizarrementcomme dans les plus antiques peintures nipponnes.

Je passais à l’heure brûlante de midi, et jene voyais personne, – si ce n’est dans les bonzeries, par desfenêtres ouvertes, quelques rares prêtres, gardiens de sanctuairesou de tombeaux, faisant la sieste sous leurs tendelets en gazebleu-nuit.

Tout à coup, cette petite mousmé m’apparut, unpeu au-dessus de moi, au sommet de la courbure, sur un de ces pontstapissés de mousses grises ; en pleine lumière, en pleinsoleil, se détachant à la manière des fées éblouissantes sur unfond de vieux temples noirs et d’ombres. Elle retenait sa robed’une main et la faisant plaquer au bas de ses jambes, pour sedonner l’air plus svelte. Autour de sa petite tête étrange, sonombrelle ronde à mille plissures, éclairée par transparence,faisait une grande auréole bleue et rouge bordée de noir ; etun laurier rose chargé de fleurs, poussé entre les pierres de cepont, s’étalait à côté d’elle, baigné lui aussi de soleil. Derrièrecette jeune fille et ce laurier fleuri, tout était repoussoirobscur.

Sur la jolie ombrelle rouge et bleue, degrandes lettres blanches formaient cette inscription, qui est enusage pour les mousmés et qu’on m’a appris à connaître :Nuages, arrêtez-vous, pour la regarder passer. Et il envalait la peine, en effet, de s’arrêter pour cette précieuse petitepersonne, d’une japonerie si idéale.

Cependant, il n’eût pas fallu s’arrêter troplongtemps et se laisser prendre ; c’eût été encore un leurre.Poupée comme les autres évidemment, poupée d’étagère et rien deplus. En la regardant, je me disais même que Chrysanthème,apparaissant à cette même place, avec cette robe, cet éclairage etce nimbe de soleil, eût produit un effet aussi charmant.

Car elle est gentille, Chrysanthème, ce n’estplus contestable… Hier au soir, je me rappelle, je l’ai admirée.C’était la nuit ; nous revenions, avec l’escorte des petitsménages pareils au nôtre, de la tournée habituelle dans les maisonsde thé et les bazars. Tandis que les autres mousmés marchaient ense donnant la main, parées de pompons d’argent tout neufs qu’ellesvenaient de se faire offrir, et s’amusant avec des jouets, elle,soi-disant fatiguée, suivait à demi étendue dans une voiture dedjin. Nous avions mis à ses côtés de gros bouquets en gerbes,destinés à remplir aujourd’hui nos vases, – des iris tardifs et deslotus à longue tige, les derniers de la saison, qui déjà sentaientl’automne. – Et c’était joli, cette Japonaise dans son petit char,nonchalante, au milieu de ces fleurs d’eau, éclairée en couleurschangeantes, au hasard des lanternes qui nous croisaient. La veillede mon arrivée au Japon, si on me l’eût montrée en me disant :« Ta mousmé sera celle qui passe », j’en aurais étécharmé sans aucun doute. – Dans la réalité, non, cependant, je nele suis pas : ce n’est que Chrysanthème, toujours elle, rienqu’elle, la petite créature pour rire, mièvre de formes et depensées, que l’agence Kangourou m’a fournie…

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