Madame Chrysanthème

XXX

 

12août.

Les époux Y*** et Sikou-San ont divorcé hier.– Le ménage Charles N*** et Campanule marche assez mal. Ils ont eudes difficultés avec ces petits bonshommes en complet de coutilgris, fureteurs, pressurants, insupportables, qui sont les agentsde la police ; on les a fait chasser de leur maison, enintimidant leur propriétaire (sous l’amabilité obséquieuse de cepeuple, il y a un vieux fond de haine contre nous qui venonsd’Europe) ; les voilà donc obligés d’accepter l’hospitalité deleur belle-mère, situation bien pénible. – Et puis Charles N*** secroit trompé. Il n’y a pas d’illusion à se faire du reste :ces partis, que nous a procurés M. Kangourou, sont desdemi-jeunes filles, si l’on peut dire, des petitespersonnes ayant déjà eu dans leur vie un léger roman, ou même deux.Alors, il est bien naturel de se méfier un peu…

Le ménage Z*** et Touki-San va cahin-caha,avec des disputes.

Le mien conserve plus de dignité, non moinsd’ennui. L’idée de divorcer m’est bien venue ; mais je ne voisguère de raison valable pour faire cet affront à Chrysanthème, etpuis une chose surtout m’a arrêté : j’ai eu des difficultés,moi aussi, avec les autorités civiles.

Avant-hier, M. Sucre très ému, madamePrune en pâmoison, mademoiselle Oyouki tout en larmes sont montéschez moi comme un ouragan. Les agents de la police nipponne étaientvenus leur faire de grosses menaces, pour loger ainsi, en dehors dela concession européenne, un Français morganatiquement marié à uneJaponaise, – et la terreur les prenait d’être poursuivis ;humblement avec mille formes affables, ils me priaient departir.

Le lendemain donc, accompagné de l’amid’une invraisemblable hauteur qui s’exprime mieux que moi, jeme suis rendu au bureau de l’état civil, dans le but d’y faire unescène affreuse.

Dans la langue de ce peuple poli, les injuresmanquent complètement ; quand on est très en colère, il fautse contenter d’employer le tutoiement d’infériorité et laconjugaison familière qui est à l’usage des gens de rien.Assis sur la table des mariages, au milieu de tous les petitsfonctionnaires ahuris, je débute en ces termes.

– Pour que tu me laisses en paix dans lefaubourg que j’habite, quel pourboire faut-il t’offrir, réunion depetits êtres plus vils que les portefaix des rues ?

Grand scandale muet, consternationsilencieuse, révérences estomaquées.

– Certainement, disent-ils enfin, on laisseraen paix mon honorable personne ; on ne demande pas mieux, mêmeSeulement, pour me soumettre aux lois du pays, j’aurais dû venirici déclarer mon nom et celui de la jeune personne que… aveclaquelle…

– Oh ! c’est trop fort, parexemple ! Mais je suis venu exprès, troupe méprisable, il n’ya pas trois semaines !

Alors je prends moi-même le registre de l’étatcivil : en feuilletant, je retrouve la page, ma signature et,à côté, le petit grimoire qu’a dessiné Chrysanthème :

– Tiens, assemblée d’imbéciles,regarde !

Survient un très haut chef – petit vieuxgrotesque en redingote noire – qui de son bureau écoutait lascène :

– Qu’est-ce qu’il y a ? que sepasse-t-il ? quelle avanie a-t-on faite aux officiersfrançais ?

Je conte plus poliment mon cas à ce personnagequi se confond en promesses et en excuses. Tous les petits agentsse prosternent à quatre pattes, rentrent sous terre, et noussortons, dignes et froids, sans rendre les saluts.

M. Sucre et madame Prune peuvent êtretranquilles, on ne les inquiétera plus.

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