XXI
En continuant de suivre le chemin qui monte etpasse devant chez nous, on trouve une dizaine de vieillesmaisonnettes encore, quelques murs de jardins, – puis, plus rienque la montagne solitaire, les petits sentiers qui s’en vont versles cimes à travers les plantations de thé, les buissons decamélias, les broussailles et les roches. Et ces montagnes toutautour de Nagasaki sont pleines de cimetières ; depuis dessiècles et des siècles, on monte là des morts.
Mais ces sépultures japonaises n’ont pas detristesse, pas d’horreur ; il semble que, chez ce peupleenfantin et léger, la mort même ne se prenne pas sérieusement. Lestombes sont des Bouddhas de granit, assis dans des lotus, ou desbornes funéraires avec des inscriptions d’or ; elles setiennent groupées dans de petits enclos au milieu des bois, ou surdes terrasses naturelles agréablement situées ; on y arrivegénéralement par de longs escaliers de pierre tapissés de mousse,en passant de temps en temps sous quelqu’un de ces portiques sacrésdont la forme, toujours la même, est rude et simple, et qui sontune réduction de ceux des temples.
Au-dessus de chez nous, les tombes de lamontagne sont si antiques qu’elles n’effraient pas, même la nuit.C’est une région de cimetières abandonnés. Les morts qu’on avaitcachés là-dessous se sont fondus dans la terre. Ces milliers depetites bornes grises, ces multitudes de vieux petits bouddhasrongés par le lichen, semblent ne plus être que l’attestation deséries d’existences antérieures aux nôtres et tout à fait perduesdans le recul mystérieux des temps.