Madame Chrysanthème

XXVIII

 

Chrysanthème a apporté peu de bagage avecelle, sachant bien que notre mariage ne durera pas.

Elle a placé ses robes et ses belles ceinturesdans des petites niches fermées qui se dissimulent contre une desmurailles de notre appartement (la muraille du nord, la seule desquatre qui ne soit pas démontable). Les portes de ces niches sontdes panneaux de papier blanc ; les étagères, les compartimentsintérieurs, en bois finement menuisé, sont disposés d’une manièretrop cherchée, trop ingénieuse, qui éveille des craintes de doublesfonds, de trucs pour jouer des farces. On dépose là les objets sansconfiance, avec le vague sentiment que ces armoires pourraientbien, d’elles-mêmes, vous les escamoter.

Parmi les affaires de Chrysanthème, ce quim’amuse à regarder, c’est la boîte consacrée aux lettres et auxsouvenirs : elle est en fer-blanc, de fabrication anglaise, etporte sur son couvercle l’image coloriée d’une usine des environsde Londres. – Naturellement c’est comme chose d’art exotique, commebibelot, que Chrysanthème la préfère à d’autres mignonnesboîtes, en laque ou en marqueterie, qu’elle possède.

– On y trouve tout ce qu’il faut pour lacorrespondance d’une mousmé : de l’encre de Chine ; unpinceau ; du papier de couleur grise, très mince, taillé enlongues bandes étroites ; de bizarres enveloppes, où l’onintroduit ce papier (après l’avoir replié sur lui-même unetrentaine de fois), et qui sont ornées de paysages, de poissons, decrabes ou d’oiseaux.

Sur des lettres anciennes, qui sont là, à elleadressées, je sais reconnaître les deux caractères qui signifientson nom : « Kikou-San » (Chrysanthème madame). Etquand je l’interroge, elle me répond en japonais, avec un air defemme sérieuse :

– Mon cher, ce sont des lettres de mesamies.

Oh ! ces amies de Chrysanthème, quelsminois elles ont ! Il y a leurs portraits, dans cette mêmeboîte ; leurs photographies, collées sur des cartes devisite qui portent au dos le nom d’Uyeno, le bon faiseur deNagasaki : des petites personnes qui étaient faites pourfigurer gentiment dans des paysages d’éventail et qui se sontefforcées d’avoir un bon maintien quand on leur a pris la nuquedans l’appuie-tête en leur disant : « Ne bougeonsplus. »

Cela m’amuserait bien de lire ces lettresd’amies, – et surtout les réponses que leur fait ma mousmé…

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