Madame Chrysanthème

XXV

 

Je continue, malgré la distance plus grande,d’aller chaque jour à Diou-djen-dji. La nuit tombée, quand lesquatre ménages amis du mien sont venus nous rejoindre, Yves aussi,et l’ami d’une surprenante hauteur, nous redescendons enbande vers la ville, dégringolant aux lanternes par les escalierset les rampes du vieux faubourg.

Toujours pareille, cette promenade nocturne,avec des amusements semblables : mêmes stations devant lesétalages baroques, mêmes boissons sucrées servies dans les mêmesjardinets. Mais notre bande est souvent très augmentée ;d’abord, nous emmenons Oyouki, que ses parents nous confient ;puis deux cousines de ma femme qui sont fort mignonnes, et enfindes amies, des petites invitées de dix ou douze ans quelquefois,fillettes de notre quartier envers lesquelles nos mousmés ontdésiré se montrer polies.

Oh ! l’étonnante petite compagnie quenous traînons à notre suite, dans les maisons de thé, lesoir ! Les impayables minois, les piquets de fleurs drôlementplantés sur des têtes enfantines et comiques ! – On diraitd’un vrai pensionnat de mousmés en récréation de nuit sous notresurveillance.

Yves nous raccompagne lorsqu’il s’agit ensuitede remonter chez nous, – Chrysanthème poussant de gros soupirsd’enfant fatigué, s’arrêtant à chaque marche, s’appuyant à nosbras.

Quand nous sommes en haut, il nous dit adieu,touche la main de Chrysanthème, puis redescend encore une fois, parle versant qui mène aux quais, aux navires, et traverse la radedans un sampan pour regagner la Triomphante.

Nous, à l’aide d’une sorte d’anneau à secret,nous ouvrons la porte de notre jardin, où les pots de fleurs demadame Prune, alignés dans l’obscurité, répandent leur bonne odeursuave du soir. Nous traversons ce jardin, au clair de lune ou desétoiles, et nous montons chez nous.

S’il est très tard, – ce qui arrivequelquefois, – nous trouvons en rentrant tous nos panneaux de boistirés et fermés par les soins de M. Sucre (précaution contreles voleurs), notre appartement clos comme une vraie chambreeuropéenne.

Il y a, dans cette maison ainsi calfeutrée,une étrange odeur mêlée à celle du musc et des lotus ; uneintime odeur de Japon, de race jaune, qui est montée du sol ou quiest sortie des boiseries antiques ; – presque une fétidité defauve. Le tendelet de gaze bleu-nuit, disposé pour notre coucher,descend du plafond avec un air de vélum mystérieux. Le Bouddha dorésourit toujours devant ses veilleuses qui brûlent ; quelquephalène habituée du logis, qui dormait dans le jour collée à notreplafond, tournoie maintenant sous le nez du dieu, autour des deuxpetites flammes grêles. Et sur le mur, plaquée, les pattes enétoile, sommeille quelque grosse araignée des jardins, – qu’il nefaut pas tuer parce que c’est le soir. – « Hou ! »fait Chrysanthème, indignée, en me la désignant du bout de sondoigt. – Vite, l’éventail consacré aux bêtes, pour la chasserdehors…

Autour de nous règne un silence qui serrepresque le cœur, après tous ces tapages joyeux de la ville et tousces rires de mousmés qui viennent de finir ; – un silence decampagne, un silence de village endormi.

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