Madame Chrysanthème

XX

 

J’arrivais à Diou-djen-dji à l’improviste,aujourd’hui, par un midi brûlant. Au pied de notre escaliertraînaient les socques de bois de Chrysanthème et ses sandales decuir verni.

Chez nous, en haut, tout était ouvert, avecdes stores en bambou abaissés du côté du soleil ; à traversleur tissu clair entraient l’air chaud et la lumière d’or. Cettefois, c’étaient des lotus que Chrysanthème avait mis dans nos vasesde bronze, et mes yeux tombèrent, dès l’entrée, sur ces grandscalices roses.

Elle dormait, elle, étendue par terre, suivantl’habitude de son sommeil de sieste.

… Quelle forme à part ils ont toujours, cesbouquets arrangés par Chrysanthème : quelque chose dedifficile à définir, une sveltesse japonaise, une grâce apprêtéeque nous ne saurions pas leur donner.

… Elle dormait à plat ventre sur les nattes,sa haute coiffure et ses épingles d’écaille faisant une saillie surl’ensemble de son corps couché. La petite traîne de sa tuniqueprolongeait en queue sa personne délicate. Ses bras étaient étendusen croix, ses manches déployées comme des ailes – et sa longueguitare gisait à son côté.

Elle avait un air de fée morte. Ou bien encoreelle ressemblait à quelque grande libellule bleue qui se seraitabattue là et qu’on y aurait clouée.

Madame Prune, qui était montée derrière moi,toujours empressée, officieuse, manifesta par gestes des sentimentsindignés, en voyant cette réception insouciante de Chrysanthème àson seigneur et maître, – et s’avança pour la réveiller.

– Gardez-vous-en bien, bonne madamePrune ! Si vous saviez comme elle me plaît mieuxainsi !

J’avais laissé mes chaussures en bas, suivantl’usage, à côté des petits socques et des petites sandales ;et j’entrai sur la pointe du pied, tout doucement, pour allerm’asseoir sous la véranda.

Quel dommage que cette petite Chrysanthème nepuisse pas toujours dormir : elle est très décorative,présentée de cette manière, – et puis, au moins, elle ne m’ennuiepas. – Peut-être, qui sait ? si j’avais le moyen de mieuxcomprendre ce qui se passe dans sa tête et dans son cœur… Mais,c’est curieux, depuis que j’habite avec elle, au lieu de pousserplus loin l’étude de cette langue japonaise, je l’ai négligée, tantj’ai senti l’impossibilité de m’y intéresser jamais…

Assis sous ma véranda, je regardai à mes piedsles temples et les cimetières, et les bois, et les vertesmontagnes, tout Nagasaki baigné de soleil. Les cigales faisaientleur bruit le plus strident, qui tremblait comme une fièvre del’air. Tout cela était calme, lumineux et chaud…

Eh bien, pourtant, pas assez, à mon gré !Qu’y a-t-il donc de changé sur terre ? Les midis brûlantsd’été, ceux que je retrouve dans mes souvenirs lointains, avaient-encore plus d’éclat, encore plus de soleil ; le Baalautrefois me semblait plus puissant, et plus terrible. On diraitque tout ceci n’est qu’une copie pâle de ce que j’ai connu dans mespremières années, une copie à laquelle quelque chose manque. Ettristement je me demande à moi-même : la splendeur des étés,est-ce que vraiment ce n’est que cela, – n’était-ce quecela ? ou bien y a-t-il une erreur de mes yeux et, avec letemps, verrai-je ces choses pâlir encore ?…

… Derrière moi, une petite musique triste,triste à faire frissonner, – et grêle, grêle autant que le chantdes cigales, – commença de se faire en sourdine, puis s’éleva,gémissante, comme la plainte mièvre de quelque âme japonaise enpeine et en angoisse dans l’air silencieux de midi :Chrysanthème et sa guitare, qui s’éveillaient ensemble…

Et il me plut que cette idée lui fût venue, deme faire de la musique, me voyant là, au lieu de s’empresser à medire bonjour. (À aucun moment je ne me suis imposé la contrainted’avoir l’air un peu épris d’elle ; mais nos rapportsdeviennent froids de plus en plus, surtout quand nous sommesseuls.) – Aujourd’hui pourtant je me retournai pour lui sourire et,de la main, je lui fis signe : « Allons, joue encore.Cela m’amuse d’écouter ta petite improvisation étrange. » –C’est singulier que la musique de ce peuple rieur puisse être siplaintive. Mais, décidément, celle que fait Chrysanthème mérited’être entendue… Où donc a-t-elle pris cela ? Quels indiciblesrêves, à jamais mystérieux pour moi, passent dans sa cervellejaune, quand elle joue ou chante de cette manière ?…

… Tout à coup : Pan, pan, pan ! onfrappe trois fois, d’un doigt sec, sur une marche de notre escalieret, dans l’ouverture de notre porte, apparaît un imbécile encomplet de drap gris qui nous fait la révérence.

– Entrez, entrez, monsieur Kangourou ! –Oh ! comme vous arrivez à point, au moment où j’allais presqueme monter l’imagination pour des choses japonaises !…

C’était une petite note de blanchissage, queM. Kangourou désirait nous présenter respectueusement, avec unplongeon du haut du corps, une pose correcte des mains sur lesgenoux, et un long sifflement de couleuvre.

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