V
10juillet 1885.
C’est un fait accompli depuis trois jours.
En bas, au milieu d’un de ces quartiersnouveaux, d’aspect cosmopolite, dans une laide bâtisse prétentieusequi est une espèce de bureau d’état civil, la chose a été signée etcontresignée, en lettres étonnantes, sur un registre, en présenced’une réunion de petits êtres ridicules qui étaient jadis desSamouraï en robe de soie, – et qui sont despolicemen aujourd’hui, portant veston étriqué et casquetteà la russe.
Cela s’est passé à la grande chaleur du milieudu jour. Chrysanthème et sa mère étaient arrivées de leurcôté ; moi du mien. Nous avions l’air d’être venus là poursceller quelque pacte honteux, et les deux femmes tremblaientdevant ces vilains petits personnages qui, à leurs yeux,représentaient la loi.
Au milieu du grimoire officiel, on m’a faitécrire en français mes nom, prénoms et qualités. Et puis on m’aremis un papier de riz très extraordinaire, qui était la permissionà moi accordée par les autorités civiles de l’île de Kiu-Siu,d’habiter dans une maison située au faubourg de Diou-djen-dji, avecune personne appelée Chrysanthème ; permission valable, sousla protection de la police, pendant toute la durée de mon séjour auJapon.
Le soir, par exemple, dans notre quartierlà-haut, c’est redevenu très gentil, notre petit mariage : uncortège aux lanternes, un thé de gala, un peu de musique… Il étaitnécessaire, en vérité.
Et maintenant, nous sommes presque de vieuxmariés ; entre nous, les habitudes se créent toutdoucement.
Chrysanthème entretient les fleurs dans nosvases de bronze, s’habille avec une certaine recherche, porte deschaussettes à orteil séparé, et joue tout le jour d’une sorte deguitare à long manche qui rend des sons tristes…