Le Maître de la Terre

I

Ce même jour, dans l’après-midi, Percy reçutune visite.

Son visiteur n’avait, dans sa personne, riend’exceptionnel ; et le prêtre, en entrant au salon pour lerecevoir, ne put tirer aucune conclusion de son apparenceextérieure, sinon que ce n’était pas un catholique.

– Monsieur, lui dit l’étranger, je nevous retiendrai pas longtemps ! Mon affaire sera réglée encinq minutes.

Percy attendit la suite, les yeux baissés.

– Une… une certaine personne m’a envoyévers vous. Cette personne a été catholique, autrefois ; elledésirerait rentrer dans l’Église.

Percy fit un petit mouvement de tête. C’étaitlà un message qu’il n’était plus guère accoutumé à recevoir.

– Vous viendrez la voir, monsieur,n’est-ce pas ? Vous me le promettez ?

Le visiteur semblait étrangement mal àl’aise : son visage pâle reluisait de sueur, et une inquiétudeprofonde se lisait dans ses yeux.

– Mais, sans doute, je viendrai !dit Percy, en souriant.

– Oui, monsieur, mais c’est que vous nesavez pas quelle est cette personne ! Cela ferait un grostapage, monsieur, si la chose était connue. Il ne faut pas qu’on ensache rien. Pouvez-vous me promettre cela encore ?

– Il m’est impossible de vous faire unepromesse de cette sorte, répondit doucement le prêtre, jusqu’aumoment où je saurai au juste de quoi il s’agit.

– En tout cas, monsieur, repritl’étranger, vous ne direz rien avant d’avoir vu cette personnePouvez-vous me promettre cela ?

– Oh ! certainement ! dit leprêtre.

– Quant à moi, il vaut mieux que vousignoriez mon nom ! Oui, cela vaut mieux pour vous et pourmoi ! et puis, voyez-vous, monsieur, cette dame estmalade : il faudra que vous veniez dès aujourd’hui, s’il vousplaît, mais pas avant le soir. Vingt-deux heures, est-ce un momentqui vous convienne ?

– Et où est-ce ? demanda Percy.

– C’est… c’est auprès de la station deCroydon. Je vais vous écrire l’adresse, tout de suite. Et vous mepromettez de ne pas venir avant vingt-deux heures,monsieur ?

– Pourquoi pas tout de suite ?

– Parce que… parce que les autrespourraient se trouver là ; tandis que, cette nuit, je saisqu’ils seront absents.

Ceci prenait une allure plutôt suspecte ;et Percy songea que bien des complots fâcheux avaient eu des débutsanalogues. Mais il ne se crut pas en droit de refuser.

– Pourquoi n’envoie-t-elle pas chercherle prêtre de sa paroisse ? demanda-t-il.

– C’est qu’elle ne le connaît pas, et nesait pas où le trouver ! Vous, monsieur, elle vous a vu, unefois, dans la cathédrale, et vous lui avez dit votre nom. Ne voussouvenez-vous point ? Une vieille dame ?…

En effet, Percy avait un vague souvenir d’unerencontre de ce genre, il y avait un mois ou deux : il le dità son visiteur.

– Alors, monsieur, vous allez venir,n’est-ce pas ?

– Il faut d’abord que j’en cause avec lecuré de Croydon, dit le prêtre. S’il me donne l’autorisation.

– Mais, s’il vous plaît, monsieur, il nefaut pas que le curé connaisse son nom ! Vous ne le lui direzpas ?

– Son nom ? Mais moi-même ne le saispas encore ! répliqua Percy, en souriant de nouveau.

L’étranger eut un mouvement brusque, sur sachaise, et son visage exprima tout l’effort d’une lutteintérieure.

– Eh ! bien, monsieur, je vaisd’abord vous dire ceci : le fils de cette vieille dame est monpatron, et l’un des communistes les plus en vue. Elle demeure aveclui et sa femme. Son fils et sa belle-fille seront absents, cettenuit : voilà pourquoi je vous ai fixé une heure aussitardive ! Et maintenant, c’est entendu que vous viendrez,n’est-ce pas ?

Percy le dévisagea pendant quelques instants.Certes, si c’était là une conspiration, les conspirateurs n’étaientpoint des hommes bien énergiques ! Puis il répondit :

– C’est entendu, monsieur, je vouspromets que j’irai. Et maintenant, le nom et l’adresse !

L’étranger se lécha les lèvres, nerveusement,et promena un regard autour de lui. Puis, se penchant en avant, ilmurmura très vite :

– Monsieur, le nom de cette vieille dameest Brand ; c’est la mère de M. Olivier Brand !

Au premier moment, Percy resta tout saisi. Lachose était trop extraordinaire pour être vraie ! Il neconnaissait que trop bien le nom d’Olivier Brand : c’étaitl’homme que l’incident de Trafalgar Square avait promu à unebrusque et immense popularité. Et maintenant, voici que samère…

Il se retourna brusquement vers sonvisiteur.

– Monsieur, dit-il, j’ignore qui vousêtes, et si vous croyez en Dieu ou non : mais voudriez-vous mejurer, sur votre religion et votre honneur, que tout ce que vous medites est vrai ?

Les yeux timides rencontrèrent les siens, ethésitèrent : mais c’était l’hésitation de la faiblesse, non dela traîtrise.

– Je vous le jure, monsieur, par Dieutout-puissant !

– Seriez-vous catholique ?

L’étranger répondit non, d’un signe detête.

– Mais je crois en Dieu ! dit-il. Dumoins, il me semble que j’y crois…

Percy se redressa et resta silencieux, tâchantà se rendre un compte exact de ce que cette affaire signifiait. Iln’y avait aucune trace de triomphe, dans son esprit, mais plutôtune sorte de crainte, et de l’étonnement, et de l’agitation, et,sous tout cela, le plaisir de penser au pouvoir souverain de lagrâce divine. Tout à coup, il s’aperçut que son visiteur leconsidérait anxieusement.

– Ce que je vous ai dit ne vous aurait-ilpas effrayé, monsieur ? N’allez-vous pas retirer votrepromesse ?

Percy eut un sourire amusé.

– Oh ! non, certes, dit-il. Je serailà à vingt-deux heures !… Est-ce que le danger de mort estimminent ?

– Non, monsieur. C’est une maladie decœur, avec des syncopes. La matinée d’aujourd’hui a même été assezbonne.

– C’est entendu, je serai là ! ditPercy. Et vous, monsieur, y serez-vous aussi ?

– J’aurai à être avec M. Brand,monsieur ! répondit l’étranger, en se levant de sa chaise. Ily aura une grande assemblée publique, cette nuit. Mais je n’ai pasle droit d’en parler encore… Vous demanderez Mme Brand, etvous direz qu’elle vous attend ; on vous conduira tout desuite dans sa chambre.

Il tira un carnet, y écrivit l’adresse,déchira la feuille et la tendit au prêtre.

– Je vous demanderai, monsieur, d’avoirla bonté de détruire ce papier, après avoir recopiél’adresse ! C’est que… j’aimerais bien à ne point perdre maplace, autant que possible !

Percy resta debout un moment, roulant lafeuille sur un de ses doigts.

– Pourquoi n’êtes-vous point catholique,vous-même ? demanda-t-il.

L’étranger fit un signe de tête vague ;puis il prit son chapeau, et se dirigea vers la porte.

Percy passa le reste de l’après-midi dans unétat de grande agitation.

Pendant les deux derniers mois, bien peu dechoses étaient arrivées qui eussent de quoi l’encourager. Il avaiteu à enregistrer une dizaine d’abjurations importantes, que necompensait plus aucune conversion. Sans nul doute possible,désormais, le flot montait, de plus en plus haut, contre l’Église.La folle aventure de Trafalgar Square, aussi, l’autre semaine,avait fait un mal incalculable ; plus que jamais les journauxcriaient, et tout le monde répétait, que les actes publics del’Église démentaient sa foi au surnaturel. « Grattez uncatholique, et vous trouverez un assassin ! » avait étéle texte d’un grand article du Nouveau Peuple ; etPercy, lui-même, était à la fois stupéfait et indigné de la folied’un tel attentat. Il est vrai que l’archevêque, du haut de lachaire de sa cathédrale, avait formellement répudié aussi bienl’acte que ses motifs ; mais cela encore avait servid’occasion aux journaux pour rappeler l’usage constant, qu’avaitl’Église, de tirer parti de la violence tout en répudiant lesviolents. L’horrible mort du criminel n’avait nullement apaisé lacolère populaire ; et, de plus en plus, le bruit se répandaitque l’on avait vu cet homme sortir de l’archevêché, un peu avantl’accomplissement de son attentat.

Et maintenant, voici que la propre mère duhéros de cette aventure désirait se réconcilier avec cette Églisequi avait essayé d’assassiner son fils !

Vingt fois, durant l’après-midi, Percy, aucours d’une visite qu’il dut faire à l’un de ses collègues habitantWorcester, se demanda si la visite de l’étranger ne cachait pas,tout de même, un complot, une sorte de talion, une tentative de leprendre au piège. Cependant, il avait promis de ne rien dire, etd’aller à l’adresse indiquée.

Il termina sa lettre, après le dîner, commed’habitude, mais avec un sentiment singulier de fatalité. Puis,l’ayant enveloppée et timbrée, il se dirigea, vêtu de son costumede ville, vers la chambre du P. Blackmore.

– Mon père, lui dit-il brusquement,voudriez-vous entendre ma confession ?

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