Le Maître de la Terre

II

Ayant achevé de lire cet article, Olivier seretourna vers Mabel, et la considéra tendrement.

– Dis-le moi encore, ma chérie !murmura-t-il : est-ce que tout cela n’est pas unrêve ?

– Un rêve ? répéta-t-elle ;non, certes : c’est, au contraire, une réalité plus réelle quetoute notre vie jusqu’ici ! Ne te rappelles-tu pas que, nousl’avons vu, vu de nos yeux, le Fils de l’Homme ? Oui, c’estbien le mot qui convient ! Le Sauveur du Monde, comme le ditce journal ! Je l’ai reconnu, dans mon cœur, aussitôt que jel’ai aperçu, aussitôt qu’il s’est arrêté là, au bord de l’estrade.Il y avait comme une auréole autour de sa tête. Et, maintenant, jecomprends tout. C’est Lui que nous avons attendu silongtemps ; et Il est venu, apportant dans ses mains la paixet la bonne volonté. Et quand Il a parlé, ensuite, je l’ai reconnuaussi. Sa voix était comme… comme le bruit de la mer : aussisimple…, aussi terrible…, aussi infiniment puissante. Ne l’as-tupas entendue ?

Pour toute réponse, Olivier prit sa femme surses genoux et lui baisa le front.

– De tout le reste, reprit doucement lajeune femme, je m’en remets à Lui. J’ignore où Il est, et quand Ilreviendra, et ce qu’Il fera. Je suppose qu’il y aura encore, pourLui, de grandes choses à faire avant qu’Il soit pleinement connu.Et nous, en attendant, nous ne pouvons qu’aimer, espérer, et êtrejoyeux !

De nouveau, il y eut quelques instants desilence. Puis Olivier parla.

– Ma chérie, pourquoi dis-tu qu’Il auraencore à se faire connaître ?

– Je dis ce que je sens !répondit-elle. Les hommes, jusqu’ici, savent seulement ce qu’Il afait, et non point ce qu’Il est. Mais cela aussi viendra, en sontemps !

– Et jusque-là ?

– Jusque-là, c’est vous qui aurez àtravailler pour préparer ses voies ! Oh ! mon Olivier,sois fort et fidèle !

Elle lui rendit son baiser, et s’enfuit.

Olivier resta assis, considérant, suivant sonhabitude, l’ample perspective qui se déroulait devant sa fenêtre. Àla même heure, la veille, il quittait Paris, connaissant déjà lefait qui venait d’avoir lieu, mais ignorant encore l’homme qui enavait été l’auteur. Maintenant, il connaissait l’homme aussi, ou,tout au moins, il l’avait vu, entendu, et avait subi l’attraitsurnaturel qui se dégageait de toute sa personne. Ses compagnons dugouvernement avaient éprouvé la même impression : dominés, etcomme enrayés, mais en même temps excités jusqu’au plus profond deleur âme.

Olivier avait revu Felsenburgh, une foisencore, pendant qu’avec Mabel il rentrait chez lui. Le vaisseaublanc avait passé au-dessus d’eux, de sa démarche glissante etrésolue, portant celui qui, si jamais un homme avait eu droit à cetitre, était vraiment le Sauveur du Monde. Puis, les deux jeunesgens étaient rentrés, et avaient trouvé le prêtre.

Et cela aussi avait été un choc étrange, pourOlivier : car, au premier abord, il lui avait semblé que ceprêtre était le même homme qu’il avait vu gravissant l’estrade,deux heures auparavant. C’était une ressemblanceextraordinaire : le même visage juvénile sous des cheveuxblancs. Mabel, il est vrai, ne s’en était pas aperçue car ellen’avait vu Felsenburgh qu’à une grande distance ; et Olivierlui-même, au reste, s’était vite remis de cette premièreimpression. Quant à sa mère, le jeune homme songeait avec effroique, sans Mabel, la chambre de la pauvre femme aurait été la scèned’une catastrophe violente. Maintenant, tout était en paix, leprésent et l’avenir se reliant merveilleusement.

L’avenir ! Olivier se rappela ce queMabel lui avait dit des devoirs nouveaux qui allaient s’imposer auxmembres du gouvernement. Il s’agissait, pour eux, de réaliser leprincipe qui venait de s’incarner dans ce jeune Américainmystérieux : le principe de la fraternité universelle. Ceserait une tâche énorme : toutes les relations internationalesauraient à être révisées ; commerce, politique, méthodes degouvernement, tout réclamait une transformation radicale. EtOlivier ne laissait point de se sentir un peu épouvanté, devantl’immense perspective des travaux qui l’attendaient. Il prévoyait,en vérité, une révolution universelle, un cataclysme plus profondencore que n’aurait été l’invasion de l’Orient : mais lecataclysme, cette fois, allait avoir pour objet de convertir lesténèbres en lumière et le chaos en ordre !

Une demi-heure plus tard, comme Olivier dînaitprécipitamment avant de repartir pour White-Hall, Mabel lerejoignit dans la salle à manger.

– Notre mère est plus calme !dit-elle. Il faudra que nous soyons très patients, Olivier !As-tu pris une résolution, au sujet du retour ici de ceprêtre ?

Il secoua la tête.

– Je ne puis songer à rien d’autre qu’àl’œuvre qu’il me va falloir accomplir ! répondit-il. C’est toiqui décideras : je laisse la chose entre tes mains… Mais,écoute, Mabel : te rappelles-tu ce que je t’ai dit, au sujetde ce prêtre ?

– Sa ressemblance avec Lui ?

– Oui ! que penses-tu decela ?

Elle sourit.

– Je n’en pense rien du tout !Pourquoi ces deux hommes ne se ressembleraient-ils pas ?

Olivier prit un biscuit, sur la table,l’avala, et se leva.

– En tout cas, la coïncidence estcurieuse ! dit-il. Et maintenant, ma chérie, adieu !

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