Le Maître de la Terre

I

Les jours qui avaient suivi la disparition deMabel s’étaient passés, pour Olivier, dans une horreurindescriptible. Le jeune homme avait fait tout au monde pourretrouver la fugitive. Il avait réussi à reconstituer toute lasérie de ses mouvements jusqu’à la gare de Victoria, où,malheureusement, la piste s’était arrêtée ; il s’était mis enrapport avec la police ; et, chaque jour, une réponseofficielle lui était venue, lui disant qu’on regrettait de n’avoirtoujours pas la moindre nouvelle. Trois ou quatre jours après ladisparition, M. Francis, ayant eu vent des recherchesd’Olivier, lui avait fait savoir qu’il avait reçu la visite deMabel, le soir du vendredi précédent ; mais ce renseignementavait paru à Olivier présager plus de mal que de bien, avecl’étrange conversation qu’il révélait.

Enfin, par degrés, deux théories se formèrentet dominèrent tout le reste, dans sa pensée : ou bien sa chèrefemme s’en était allée protéger quelques catholiques inconnus, oubien, – et cette idée glaçait le sang d’Olivier dans ses veines, –ou bien elle s’était réfugiée quelque part, dans une maisond’euthanasie, comme elle avait, un jour, menacé de lefaire, et, dans ce cas, se trouvait maintenant sous l’abri de laloi, – surtout à la suite d’un bill récent qu’Olivier,lui-même, avait proposé.

Un soir, comme il rêvait misérablement, danssa chambre, – tâchant, pour la centième fois, à dégager une lignenette et cohérente de tous les entretiens qu’il avait eus avec safemme durant les derniers mois, – une sonnerie, tout à coup,l’appela au téléphone. Pour un instant, son cœur bondit de joie, àl’espoir que c’étaient, peut-être, des nouvelles de l’absente.Mais, dès les premiers mots de l’appareil, tout son espoirs’écroula.

– Brand, disait vivement la voix, est-cevous ?… Oui, je suis Snowford ! Il faut que vous venieztout de suite, vous entendez ? Il va y avoir une réunionextraordinaire à vingt heures. Le Président viendra. C’estabsolument urgent ! Pas le temps de vous en dire pluslong ! Montez aussitôt dans mon cabinet !

L’imprévu même de ce message eut à peine dequoi distraire l’inquiète préoccupation d’Olivier. Au reste ni luini personne ne s’étonnait plus, désormais, de ces soudainesapparitions du Président. Toujours Felsenburgh arrivait etrepartait, ainsi, sans prévenir, voyageant et travaillant avec uneénergie incroyable.

Dix-neuf heures avaient sonné. Olivier soupaimmédiatement, et, vers vingt heures moins le quart, pénétra dansle cabinet de Snowford, où déjà une demi-douzaine de ses collèguesse trouvaient assemblés.

Le ministre des cultes les accueillait avecune expression de visage singulièrement excitée.

Apercevant Brand, il le prit à part.

– Voyez-vous, Brand, c’est vous qui aurezà parler le premier, tout de suite après le secrétaire duPrésident, qui commencera ! Ils viennent de Paris, lui et sonpatron. Il s’agit d’une grosse affaire, et toute nouvelle. LePrésident a été informé de la résidence actuelle du pape… Oui, ilparaît qu’il y en a encore un !… Oh ! c’est trop long àraconter, vous allez comprendre tout à l’heure !… Mais àpropos, – reprit-il, en levant les yeux sur le visage tiré etcreusé de son jeune collègue, – j’ai été bien désolé d’apprendrevos anxiétés ! C’est Pemberton qui m’en a parlé, ce matinseulement !

Olivier secoua les épaules, brusquement, commepour chasser une mauvaise hantise.

– Dites-moi, demanda-t-il, qu’est-ce quej’aurai à répondre ?

– Eh bien, j’imagine que le Président,après nous avoir fait part de ses informations, ne va pas manquerde nous proposer quelque chose ; et alors, vous qui connaissezsuffisamment nos opinions, vous n’aurez qu’à expliquer la nécessitéde l’attitude que nous avons prise à l’égard des catholiques.

Les yeux d’Olivier se contractèrent soudain,au point de devenir deux petites taches brillantes, sous les cils.Mais il consentit, d’un signe de tête.

Deux ou trois autres ministres oufonctionnaires étaient entrés pendant ce dialogue ; et tousavaient dévisagé Olivier avec une curiosité mêlée de sympathie. Lebruit s’était répandu, dans la ville entière, que sa jeune etcharmante femme l’avait abandonné.

Cinq minutes avant l’heure, un timbre sonna,et la porte du corridor s’ouvrit, toute grande.

– Venez, messieurs, dit Snowford.

La salle du conseil était une longue et hautepièce, au premier étage. Le tapis de caoutchouc, sous les pieds,étouffait tout bruit. La pièce n’avait pas de fenêtres : elleétait éclairée artificiellement. Une longue table la parcouraitd’un bout à l’autre, avec des fauteuils à l’entour, huit fauteuilsde chaque côté ; et celui du Président plus élevé que lesautres, et couvert d’un dais, se dressait à la tête de latable.

Chacun des ministres, en silence, s’en alladroit à sa place, s’assit et attendit.

La pièce était d’une fraîcheur exquise, malgrél’absence de fenêtres, et offrait un contraste merveilleux avec lachaleur écrasante que chacun de ces hommes avait dû traverser pourvenir à White-Hall. Eux aussi, dans la journée, ils s’étaientétonnés de ce temps monstrueux ; et sans doute ils s’étaientamusés, avec toute la ville, du conflit, de jour en jour plus aigu,entre les plus infaillibles des météorologistes ; mais, en cemoment, ils n’y pensaient guère. La prochaine venue du Présidentétait un sujet qui, toujours, réduisait au silence même les plusloquaces.

Une minute exactement avant l’heure, denouveau, un timbre sonna, sonna quatre fois, et s’arrêta. Dès lepremier coup, tous les assistants s’étaient tournés vers la hauteporte pratiquée derrière le trône présidentiel. Un silence de mortrégnait au dedans, comme aussi au dehors, car les grands bureaux dugouvernement se trouvaient, tous, abondamment pourvus d’appareilsamortissant le son ; et il n’y avait pas jusqu’aux roulementsdes énormes automobiles, dans les rues voisines, qui fussent enétat de transmettre une vibration à travers les couches decaoutchouc sur lesquelles reposaient les murs. Un seul bruitpouvait pénétrer à White-Hall : celui du tonnerre, – lesingénieurs ayant toujours, jusqu’alors, malheureusement, échouédans toutes leurs entreprises contre lui.

Mais, en cet instant d’attente, ce fut, denouveau, comme si un voile supplémentaire de silence était tombésur la salle ; et puis la porte s’ouvrit, et une petite figureentra, précipitamment, suivie d’une autre figure en écarlate etnoir.

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