L’Espion X. 323 – Volume I – L’Homme sans visage

Chapitre 4 IAM « ENGAGED »

 

Une nouvelle timidité me reprend.

C’est curieux, toutes les ladies que j’airencontrées m’ont affirmé que les hommes ont toutes lesaudaces.

Je le crois fermement, car il ne faut jamaisdouter de ce que dit une femme. Ce serait perdre une illusion.Seulement, mon expérience, mon « observation » m’ontconduit à penser que, dans leur générosité gracieuse, les exquisesladies attribuent, à notre sexe piteux, l’audace qui nous manqueparce qu’elles la possèdent toute.

Ne froncez pas vos sourcils, si jolimentarqués ; Madame, aucun poison critique ne réside en cetteréflexion.

Je souhaite, au contraire, exprimer unereconnaissance éperdue pour la charité, la pitié féminines, car, siles dames adorables ne nous y aidaient pas un peu, passablement,beaucoup, passionnément (vous le voyez, j’effeuille une margueritesous vos pas), je crois que nous n’oserions jamais les demander enmariage.

Mais loin des digressions. Mon seul but est dedémontrer mon embarras. Phraséologie inutile, puisqu’il me suffirade déclarer que ma langue me semblait collée à mon palais et mespieds nickelés au sol.

Je me demandais si j’allais reculer ouavancer.

Mais Concepcion, elle, avait juré quej’avancerais. Elle heurta légèrement le coude de sa jeune maîtresseet, d’un regard expressif, me désigna.

Mlle de Holsbein se levabrusquement, sur ses traits se refléta l’angoisse de la bichesurprise par la meute hurlante. Mais fuir en ce jardin fréquenté,c’eût été attirer l’attention, soulever un scandale.

Elle comprit qu’elle ne le pouvait pas, etretomba sur le banc.

Il y avait dans son attitude, dans ses yeux,dans toute sa personne, une confusion pénible, une sorte deterreur, de mépris d’elle-même.

Pauvre enfant ! J’étais pour ellecelui qui savait.

Cela ne diminuait pas la difficulté del’aborder.

Quelles paroles prononcer, qui ne fussentpoint douloureuses à son oreille, qui n’ajoutassent point à sonémoi.

Et cependant, je ne pouvais demeurer là,immobile et muet, comme une statue supplémentaire, édifiée à lagloire de la réserve britannique.

Je m’approchai, incliné, respectueux comme lecroyant s’avançant vers l’autel, (quelle divinité fût plusexquisément douloureuse) ah… la nécessité est la mère du génie,comme disait je ne sais plus quel génial poète, né millionnaire…une idée lumineuse pétilla dans mon cerveau.

« Continuer est plus aisé querecommencer. »

Axiome assurément contestable, mais à lafaveur duquel, je repris, en répétant la dernière phrase,l’entretien où nous l’avions laissé le matin.

– Attendre, c’est espérer.

Elle fit non de la tête ; mais l’anxiétépeinte sur son visage s’atténua. Je cessais de nouveau d’être unétranger, pour devenir l’ami fraternel d’une heure tragique.

– Pourquoi repoussez-vous l’espoir,fis-je, encouragé par ce léger succès ?

– Oh ! fit-elle, d’une voix faible,tout autre que vous pourrait m’adresser cette question… Mais vous,vous…

Bigre ! nous nous engagions sur unterrain glissant… Nous ne devions point penser à… cela. Cela,c’était tout le contraire de l’espérance, et je voulais la ramenerà l’espoir.

– À un prisonnier, il ne faut pointparler de prison ; mais on est certain de lui être agréable enparlant d’évasion.

Cette citation du moraliste Largusson seprésenta à ma mémoire comme la marée en carême.

L’évasion… n’est-elle pas l’oubli de la prisonéloignée, de la tristesse accoutumée du captif, reléguées dans lebrouillard.

Et, par association de pensées, je fus saisid’un désir irrésistible de narrer la légende du Puits du Maure.

C’était une évasion d’abord, et puis ensuite,cela m’assurait la possibilité de la conversation prolongée. Onengourdit la douleur sous un flot de paroles… Je n’avais d’autreprojet, en me lançant dans cette histoire, que d’apaiser latristesse de la malheureuse Niète, et je fus bien surpris, pasmécontent du reste, de la conclusion inattendue de mon récit.

Mais procédons avec ordre :

– Mademoiselle, fis-je, je crois qu’il nefaut jamais renoncer à l’espoir… Les légendes même, cettequintessence des conceptions humaines, le démontrent.

Elle me regarda avec une pointe d’étonnement.L’exorde qui semblait annoncer une conférence devait effectivementla surprendre.

Mais j’étais lancé. Maintenant j’avaisl’idée fixe de lui conter l’évasion de la belle fillecaptive du Maure.

Après tout, sa situation ne manquait pasd’analogie avec celle de la victime dans la légende… Un mécréant,une existence ténébreuse, tout s’y trouvait.

– Tantôt encore, Mademoiselle, j’écoutaisune vieille gipsy, comme nous nommons les bohémiennes, enAngleterre, chanter le romancero du Puits du Maure… Vous neconnaissez pas… Alors écoutez d’où s’évada la Belle Fille.L’histoire ne dit pas son nom patronymique, mais cela vous estindifférent.

Ravie par un Maure, mauricaud, jaloux etcruel, comme tous ceux de cette race antipathique, elle futenfermée, dans un boudoir souterrain, au fond d’un puits.

Vous pensez que ce devait être humide.L’histoire n’en dit rien. Supposons que les pierres, cimentées avecsoin, s’opposaient à l’irruption indiscrète de l’eau.

On le voit, j’adoptais le mode enjoué, et lestraits de la mignonne reflétant sans doute le voile plaisant quej’appelais sur les miens, se rassérénaient.

Ah ! la gaieté ! quel julepmoral !

– À ce cachot, continuai-je, ily avait une porte, laquelle porte devait être une trappe, carau-dessus l’eau du puits interdisait toute communication avecl’extérieur. Seul, le Maure, avec un mot magique, balayait ouramenait l’eau à son gré… Ces mots-là sont très difficiles àretenir et impossibles à prononcer si l’on n’a pas donné son âme audiable.

C’était à cette époque, un petit cadeau qui sefaisait beaucoup… Les marrons glacés ont remplacé cela.

Ici, la figure deMlle de Holsbein s’éclaira… Ce ne fut pas unsourire, mais c’en était sûrement la semence. La résultante d’unmouvement de l’intellect vers la joie, mouvement trop faible pourentraîner les muscles enregistreurs du rire, mais assez fortcependant pour les impressionner.

Rien ne renforce la verve comme êtreécouté !… Or, j’avais conscience que toute la chère petite âmede ma compagne était suspendue à mes lèvres. Cela lui apparaissaitdoux d’échapper à l’obsession de la pensée qui la torturait depuisla veille.

Je m’assis auprès d’elle, sans marquer uneimportance quelconque à cette action et je poursuivis :

– Vous croyez la Belle Fille captive àjamais, car vous l’avez bien jugée… Elle est incapable des’adresser au diable, en vue d’apprendre le fameux mot magique.

Ce mot, pour une raison analogue, je ne vousl’enseignerai pas non plus.

Mais il est quelqu’un qui distrait sonéternité à corriger le démon… C’est la Bonne Dame de Tout-Secours.Après avoir écrasé la tête du Dragon, elle se complaît à luidérober ses formules magiques… Elle est en quelque sorte le saintPick Pocket de l’humanité orthodoxe.

La Belle Fille implora la Bonne Dame. Et laBonne Dame dégagea la porte du cachot de l’eau qui en assurait lafermeture hermétique. Le problème hydraulique, aussi heureusementrésolu, la Belle Fille reparut au soleil, libre, heureuse devivre ; tandis que le Maure, auquel naturellement on avaitcaché l’aventure, venait se faire prendre comme dans unesouricière.

En effet, la Bonne Dame lui réservait unedernière plaisanterie.

Dès qu’il fut de retour dans la prison vide desa captive, la Dame jeta la formule magique dans les abîmes del’Infini, si bien que le diable lui-même ne put la retrouver, etque le Maure changea d’orthographe en devenantmort.

Je regardai Niète bien en face, pour fairepénétrer ma conviction, ou du moins celle que j’affectais, dans sonesprit et je conclus :

– Vous le voyez, Mademoiselle, sous lafantaisie du récit, on retrouve l’indestructible certitude despeuples, à savoir que l’on doit toujours espérer l’évasion… de laprison, de la douleur, de la misère, des mille choses qui fontsouffrir les êtres !

On eût cru que ma conclusion ramenait un voiled’ombre sur le doux visage de Niète.

– On ne s’évade pas de la honte,prononça-t-elle, une buée humide troublant l’azur de sonregard.

– La honte ne frappe que lescoupables…

– Et ceux qui portent leur nom,acheva-t-elle d’un ton encore plus faible.

– Oh ! un nom, lançai-je sansréfléchir, je l’affirme. Un nom, on en change.

Elle eut une négation obstinée de tout sonêtre.

– Le puis-je ?… Ne serait-ce pas lecondamner, lui ? Une fille ne condamne pas…

– Oh ! une fille change de nom sanscondamner personne. Toutes les ladies sont des filles quiont changé de nom, et aucun papa ne s’en est senti insulté.

Une rougeur intense envahit son visage qui secontracta péniblement, et d’un accent à peine perceptible,déchirant comme une plainte d’agonie, elle murmura :

– Votre bon cœur vous égare. Qui doncm’offrirait le refuge de son nom ?

– Moi !

La réponse était partie avant que j’eussesongé à la faire.

Il y a des instants en vérité, où le cœur sesoucie du cerveau comme un poisson d’une pomme.

Et je demeurai stupéfait, aussi stupéfait quema douce interlocutrice elle-même.

Je me hâte de déclarer que ma surprise necontenait pas la moindre part de regret… J’étais étonné, non pasd’avoir parlé, mais de n’avoir pas prévu plus tôt que je seraisheureux de parler ainsi.

Nous restions muets, les yeux dans les yeux,comme anéantis… De fait, j’avais l’impression que quelque choses’était arrêté en moi.

Et tout à coup, ce quelque chose se remit enmarche précipitant son allure, tel un retardataire désireux derattraper le temps perdu.

Mon cœur battait des ra et des fla, à l’instardu petit tambour du 1er fusiliers[2].

Ce fut Mlle de Holsbeinqui retrouva la première l’usage de la voix.

– Vous n’avez pas songé…

Du coup, cela me rendit ma faculté d’exprimerma pensée, et dans un rush, ainsi qu’on monte à l’assaut, jelaissai déborder ma tendresse.

– J’ai songé à la seule questionimportante ; la seule, entendez-vous, miss Niète, la seule…J’insiste, afin que nous n’ayions plus à revenir là-dessus. Et laquestion dont il s’agit… Consentirez-vous, vous accoutumée au grandluxe, à vivre modestement des 20 ou 25.000 francs, que bon an, malan, Max Trelam, du Times, tire honorablement de sonencrier.

Elle prit la mine hésitante d’un clerc à quion offrirait la barrette cardinalice.

– Puis-je croire ?balbutia-t-elle.

Je saisis sa main, je la pressai éperdumentdans les miennes… J’étais affolé, j’étais ivre… L’amour me montaità la tête ; on l’eût jugé né sur les coteaux de Bourgogne.

– Ce que vous déciderez sera, je vous endonne ma parole.

Alors, elle laissa tendrement tomber son frontsur mon épaule et se mit à pleurer doucement, doucement, tandis quemes lèvres baisaient pieusement ses cheveux d’or pâle.

Notre silence était plus éloquent que lesdiscours.

Ses pleurs n’avaient rien de douloureux ;ils me disaient affection, confiance, reconnaissance.

Pauvre mignonne, comme si l’on méritait lacouronne civique, (chêne et laurier entrelacés) quand on arrache untrésor ou une âme pure au naufrage.

Le sauveteur, en pareil cas, devrait payer uneprime à la société, car il fait une superbe affaire.

J’étais engagé, comme nous disons enAngleterre, exprimant par là que nous considérons le mariage commeune convention sérieuse. Nos amis, les Français, disent en pareilcas, fiancé, du vieux mot de la langue d’oïl, fiance,avoir foi… Il est joli, certes, mais je lui préfèreengagé,lequel indique que l’on se considère comme celuiqui doit être employé à assurer le bonheur de l’aimée.

Nous étions engagés.

À présent, à voix basse, nous prononcions desmots séparés par de longs silences.

– Oh ! ma vie de dévouement pour cerachat de moi-même que vous m’offrez.

– Que parlez-vous de dévouement, Niète,chère Niète, petite fleur bleue du jardin de mon cœur ?… Jevous ignorais hier… aujourd’hui, je suis à vous jusqu’à la mort…Comment cela s’est-il fait ? Une pureté prenante émane devous ; vous rayonnez ce que l’on aime dès l’âge de sentiment,ce que l’on aime sans le connaître, avec la crainte de ne lerencontrer jamais.

Et une foule d’autres choses aussi jolies,dont je ferai grâce aux lecteurs du Times, car je pense demême qu’eux, qu’en dehors des intéressés, les mots par lesquels onfigure pour l’esprit les plus tendres sentiments, apparaissentvides de sens, voire même un peu ridicules.

Je m’avise que cette apparence provientprobablement d’une pudeur instinctive, qui nous incite à dissimulerles joies de cœur, et à blâmer ceux qui les étalent auxregards.

Concepcion avait disparu.

La brave fille montrait décidément toutes lesqualités.

Elle se rendait même compte qu’elle pouvaitêtre de trop entre deux fiancés.

Tout bas, je ne pus m’empêcher de l’appeler« belle-maman », car vraiment, elle avait agi comme unemère soucieuse de marier sa fille… Elle nous avait en quelque sorteaiguillés l’un vers l’autre, Niète et moi.

Pauvre petite camériste, ton souvenirm’apportera toujours un attendrissement.

Tu avais cru, humble servante, ignorante del’envie haineuse, si fréquente chez tes pareilles, tu avais crunous engager à jamais sur la passerelle du bonheur.

Ce n’est point toi qui fus coupable, mais bienle destin brutal qui trompa les vœux formés par ton cœurdévoué !

Auteurs::

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