L’Espion X. 323 – Volume I – L’Homme sans visage

Chapitre 15JE COLLABORE À UN CRIME

 

Vous connaissez tous, le gâchis que provoquentdans un cerveau, les pensées contradictoires.

Vous n’aurez donc aucune peine à vous faireune idée de la confusion qui régnait dans cet organe, siège de lafaculté de réfléchir et de raisonner, selon la définition admisepar les professeurs de sciences naturelles.

Définition aventurée comme la plupart desaffirmations scientifiques. Quand on fréquente les hommes, ons’aperçoit bientôt à l’usage que, si le cerveau sert de siège àquelque chose, ce n’est certes ni à la réflexion, ni à la pensée,sauf chez un nombre infime d’individus, exceptions confirmant larègle.

Quoi qu’il en soit, une seule perceptiondemeurait nette pour moi.

– Je n’avais plus rien à faire dans lepavillon, non plus que dans le jardin de la Casa Avreda.

Une conclusion s’impose en pareil cas.

Quand on n’a plus rien à faire en un endroit,il est opportun de s’en aller.

Et je gagnai la porte.

J’étais sur le point de la franchir, quand jeme rejetai vivement en arrière.

Un laquais, en livrée d’intérieur, venantévidemment du corps de logis principal de la Casa Avreda,s’approchait à ce moment de la petite porte de service s’ouvrantdans le mur de clôture de la rue Zorilla.

Inutile de me montrer à cet homme.

Je le laissai donc sortir, sans soupçonnerqu’un inconnu l’observait, et un instant après, je prenais pied àmon tour sur le trottoir mal entretenu de la Calle de Zorilla.

À vingt pas de moi, marchant dans la directionque je devais suivre pour revenir à l’hôtel de la Paix, ledomestique déambulait sans se presser.

De toute évidence, le brave homme, ne sedoutait pas qu’un autre promeneur venait de passer par la mêmeporte que lui-même.

Instinctivement, je réglai mon pas sur lesien.

Il arrivait à l’endroit où la rue est bordéed’un côté par la muraille de la Villa Hermosa, et de l’autre parles clôtures de jardins et un pavillon, destiné probablement à ungarde ou à un concierge.

Une porte basse, deux fenêtres à un mètre dusol, trouaient la façade de la maisonnette.

Le laquais avait passé devant la premièrecroisée.

Tout à coup, j’eus l’impression fugitive, bienplus que je ne vis… ; cette fenêtre s’ouvrit… ; une sortede flocon blanc s’en échappa et vint frapper l’homme derrièrel’oreille.

Ce fut si rapide que j’aurais douté de laréalité de la chose, si l’homme ne… s’était arrêté subitement,élevant la main vers l’endroit atteint. Mais le mouvement indiquéne s’acheva pas… Le domestique vacilla sur ses jambes, semblavouloir se défendre d’une chute imminente et enfin s’affaladoucement sur le sol.

– Bigre ! qu’est-ce que cela,murmurai-je ?

Et je me précipitai à son secours.

Je n’eus pas le temps d’arriver jusqu’àlui.

La porte de la maisonnette s’ouvritbrusquement, livrant passage à un homme jeune, très brun même pourun Espagnol, lequel se pencha sur le corps du pauvre diable, et lesouleva par les épaules comme pour l’emporter à l’intérieur de lapetite habitation.

Ah çà ! assistais-je à la perpétrationd’un crime, d’un guet-apens ?

Un bond me porta auprès du groupe, tandis queje clamais :

– Eh là ! que faites-vous ?

L’homme répliqua rudement :

– Qu’est-ce que vous voulez ?…

À ce moment, il leva la tête, me présentantson visage cuivré éclairé par des yeux extrêmement vifs et… à maprofonde surprise, il se prit à rire, tandis que ses lèvreslaissaient passer ces invraisemblables paroles :

– Ah bon ! Max Trelam, duTimes… Enchanté de vous voir.

Puis, avec une tranquillité aussi parfaite ques’il m’eût demandé une feuille de papier à cigarettes, il soulevale « cadavre » par les épaules en ajoutant :

– Prenez-le par les pieds, etrentrons-le. La rue n’est point favorable aux longuesconversations.

Je fus médusé… Mais je ne sentis aucunevelléité de révolte.

Cet homme, un assassin véritablement,m’associait à son forfait et je ne me récriais point… Souvent, jeme suis efforcé de comprendre l’état d’esprit qui à ce moment merendit obéissant comme un enfant… Ma raison ne m’a jamais fourniune explication plausible.

Fût-ce l’ascendant d’une volontésupérieure ? Fût-ce le flegme de l’inconnu enlevant au crimela tournure tragique qui fait palpiter à l’ordinaire lesspectateurs de semblables événements ?

Je déclare mon incapacité absolue d’éluciderla question.

Le fait palpable est que j’obéis, quej’empoignai la victimepar les pieds, que docilement, guidépar le « meurtrier » qui soutenait les épaules du mort,je pénétrai avec lui dans la maisonnette, dont la porte se refermaderrière nous.

Une seule pièce, meublée, si l’on peutemployer ce mot à propos d’un mobilier sommaire, en piteuxétat :

Une table sur laquelle une petite bassine decuivre léchée par la flamme d’une lampe à alcool, faisait entendrele ronronnement chantant de l’eau bouillante ; quelqueschaises de paille,… un divan couvert d’étoffe rouge, dont la teintepassée et les solutions de continuité attestaient l’âgevénérable.

C’est sur ce divan que, toujours guidé parl’inconnu, je déposai mon sinistre fardeau.

Après quoi, me retrouvant les mains libres, jeme redressai de toute ma hauteur, je croisai les bras, rejetai latête, en arrière, arborant enfin l’attitude noble d’un citoyen quiva demander compte de ses actes à un autre citoyen.

Certaines attitudes nobles sont destinées àn’impressionner personne. La mienne fut de ce nombre.

Le personnage brun ne me regardait pas.

Il s’était penché sur le « mort »fouillant dans les poches du malheureux frappé par lui, je n’endoutais pas.

Ma parole, après le meurtre, le vol… cemalfaiteur vaquait à ses petites affaires comme si je n’avais pasété là.

– Pardon, si je vous dérange…commençai-je…

Il m’interrompit brusquement.

– Vous ne me dérangez pas, vous le voyez…Seulement, si vous désirez causer, veuillez attendre que j’aieterminé mes affaires.

Il appelait cela ses affaires. Quel hommeétait donc là en face de moi ? Il avait repris sa fouille.Soudain, il se redressa souriant :

– Enfin ! j’en étais sûr !L’exclamation ne s’adressait point à moi, mais à une lettre qu’ilvenait d’extraire de l’habit du malheureux domestique.

– L’écriture du comte de Holsbein, fit-ilencore… Ceci destiné à M. de Kœleritz… Eh !eh ! voilà qui est intéressant.

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