L’Espion X. 323 – Volume I – L’Homme sans visage

Chapitre 2JE TROUVE LE PUITS

 

Avez-vous remarqué combien souvent nos vœux seréalisent, à l’heure même où nous désespérons de leurréalisation.

On croirait que le destin s’amuse à nousdémontrer qu’un hasard fait ce que tous nos efforts n’ont puproduire.

Je dis hasard, je dirais aussi bienProvidence, car ces deux mots au sujet desquels une moitié del’humanité excommunie l’autre moitié, qui le lui rend d’ailleurs,ces deux mots ont le même sens. Ils expriment l’idée d’une forcequi nous est étrangère.

Donc, l’un ou l’autre à votre choix semanifesta soudain à mon endroit.

J’avais parcouru dix mètres, quand des sonscriards, mais en revanche d’une justesse douteuse, tirés d’uneguitare, me firent tourner la tête.

Maintenant, les maçons allaient avoir leconcert.

Une vieille gitane, ridée, parcheminée, lescheveux embroussaillés, mal couverts par un foulard au ton rougesale, promenait sa main sur une antique guitare, veuve de plusieursde ses cordes.

La Bohémienne s’était campée devant lesconsommateurs.

Elle eut un geste d’appel.

Aussitôt, deux fillettes dépenaillées, quijouaient à peu de distance dans la poussière de la route,accoururent avec des bonds capricieux de jeunes chevreaux et seplantèrent, en face des ouvriers, dans l’attitude de danseusesprêtes à s’élancer.

Je haussai les épaules, j’ai horreur desexhibitions d’enfants.

Mais au moment où je reprenais ma marche, unephrase chantée me cloua sur place.

Oh ! chantée ! chevrotée devrais-jedire, mais cette phrase jetée par la gitane, avec l’appui d’uneplainte de la guitare, était celle-ci :

« Sur la margelle du vieuxpuits ».

Vous avez lu, la margelle du puits !

Un puits ! la voilà l’ironie deschoses.

Je refis face du côté de la chanteuse.Pourquoi ? parce qu’elle parlait d’un puits.

Est-ce que j’espérais voir sortir de cetteconstruction tubulaire et hydraulique, la personne court vêtue quia nom Vérité.

Je n’en sais rien, n’ayant d’ailleurs jamaiscompris pourquoi les poètes ont donné à cette aimable dame unerésidence aussi pernicieuse, aussi rhumatismale… Oui, je vousentends bien… les peintres et sculpteurs ont emboîté le pas etreprésenté ladite lady dans un costume que l’on peut considérercomme un costume de bain.

Il serait téméraire de m’élever contre le rêveéclos en la cervelle de trois compagnies différentes d’artistes,brandissant la plume, le ciseau et la brosse… Je n’insistepas ; mais si un homme intelligent comprend le pourquoi de ceracontar mythologique, je lui serai obligé de m’envoyer sonexplication… mon adresse au Times… Je rembourserai letimbre, car j’estime qu’il est juste de payer pour s’instruire.

Et la vieille chantait :

– « Sur la margelle du vieux puits,– lorsque la nuit étend son ombre – qui penche sa figuresombre. »

– Pas de danger que ce soit le Maure, medis-je.

– « C’est le Maure cruel etjaloux », affirma la gitane, « dont l’âme appartient audémon – dont le puits cache le trésor. »

Du coup, je me rapprochai de la musicienneambulante. Un Maure qui se mire dans un puits, serait-ce lacomplainte du Puits du Maure. Ce serait véritablement unechance.

Et la Bohémienne va toujours :

– « Son trésor, c’est la belle fille– qu’il a ravie dans la Castille – et qui lui refuse son cœur.

« Comment la cache-t-il sous l’onde – luiqui possède des palais ?

« C’est qu’il craint qu’on laravisse ; – il y tient plus qu’à ses richesses. – Là nul nepeut la lui ravir.

« Sous l’onde, un souterrainexiste. »

– By Jove ! comme nous jurions àCambridge, par Jupiter, un souterrain, mais dans un souterrain, onpeut cacher autre chose qu’une captive ; un document parexemple !

Mes pensées m’apparaissaient folles ;mais plus je les voulais chasser, plus elles s’implantaient en moi.Pourquoi, après tout, le Puits du Maure n’eût-il pas inspiré unecomplainte comme tant d’autres souvenirs de crimes.

La gitane continuait :

« Sous l’onde, un souterrain existe – quele démon lui révéla. – Il sait les paroles magiques – auxquellesl’onde obéira. – L’entendez-vous ? Il les prononce. – L’ondedisparaît lui laissant le chemin libre. – Dans l’entrée maudite ilpénètre. – L’onde se referme derrière lui. »

– Allons, ricanai-je, le service des eauxest fort bien fait dans ce puits… Seulement, c’est un pastiche desMille et une Nuits… C’est le Sésame, volatilise-toi.

J’eus honte de rester en pareilleindécision.

Je vais à la mendiante…

– Un mot, je vous prie.

Elle me lança un regard perçant et merepoussant en quelque sorte d’un geste de sa main maigre, elleprononça de ce ton rude, guttural, particulier à ceux de sarace :

– N’interrompez pas la mousique.

Et dans un trémolo tragi-comique elle entonnala strophe suivante :

– « Le Maure marche dans lesténèbres. – Que fait là-bas la belle fille – qu’il a ravie dans laCastille – et qui lui refuse son cœur.

« Dans son boudoir les pierreries –jettent des feux étincelants. – Mais elle pleure, la pauvre âme –au ciel elle tend des bras suppliants. – Elle réclame la lumière –et la vue du monde vivant. »

N’interrompez pas la mousique… Cela sonnaitdans ma tête… Pour formuler mon interrogation, pour obtenir uneréponse problématique, allais-je devoir attendre longtemps encorela fin de l’aventure de la belle fille et duMaure ?

– « La belle s’estagenouillée – elle joint ses mains suppliantes – qui doncprie-t-elle maintenant ? – C’est la Vierge de Castille – Marieconçue sans péché. »

Quelle jolie idée de poète ! Une prièreen cinquante ou soixante vers !

– « Tout le souterrain s’illumine –d’une clarté ignorée des humains. – La belle fille s’est levée –elle marche avec confiance – vers l’entrée que ferment les eauxdiaboliques…

« Comme les paroles magiques – l’ondeécoute l’ordre des cieux – elle s’abaisse et la captive, areconquis la liberté. »

– Ouf ! les voilà tous dehors…J’estime que la guitare a droit au repos.

– « Mais la nuit sombre est revenue.– Le Maure jaloux et cruel, revient contempler son cher trésor.

« Plus ne trouve la belle fille – qu’il aravie dans la Castille – et qui lui refusa son cœur.

« Qui donc l’a prise ? Il veutsortir ! – Mais docile à l’ordre des cieux – l’onde resteobéissante – aux mots qu’enseigna l’enfer.

« Au souterrain où fut la belle –pleurant de colère et de faim – le Maure jaloux et cruel –mourut ; il convient de souhaiter pareil sort auxjaloux. »

La gitane est parmi les ouvriers, lesfillettes la suivent… Toutes trois quêtent.

La monnaie de billon tinte dans la sébille decuivre qu’elles tendent à l’aumône… Ces humbles pièces sonnent lagénérosité des pauvres à plus pauvres qu’eux.

– Eh ! brave femme, ne voulez-vouspas une pièce blanche ?

Je lui montre une pièce de deux pesetas.

Elle étend ses doigts crochus vers le disquede métal qu’elle fait disparaître avec une prestessed’escamoteur.

Et obséquieuse, ses yeux rusés fixés surmoi :

– Que désire le ricohombre ?

Je tire une guinée (pièce d’or de 26francs) de ma poche. Dans l’œil de la vieille s’allume uneétincelle.

Elle ne m’en veut plus.

– Écoute, dis-je, ceci est à toi, si tume renseignes sans mentir.

– Oh ! señor, on ne ment pas auxpersonnes généreuses.

– Nous verrons. Le Puits du Maure…

– Ma chanson ?

– Non, le puits réel existe-t-il àMadrid ?

La vieille figure ratatinée s’illumine… J’ylis qu’elle est certaine de gagner la pièce d’or… Elle sait ce queje lui demande :

– Que les génies bienfaisants du Feu, duVent et des Flots soient favorables au señor ! Le Puits duMaure se trouve dans cette ville capitale des Espagnes. Et comme ledit la musique, l’eau monte ou descend au gré de qui connaît lesecret qui la commande.

– Je ne me soucie pas de sortilèges…Réponds simplement à cette question… Puis-je le voir ce fameuxréservoir ?

– Vous le pouvez certainement, señor.

– Il me suffit d’être éclairé sur sasituation, je pense.

– Justement, le rico hombre n’enest pas bien loin à cette heure.

– Réellement ? fis-je avec un petitfrisson de joie.

– C’est à deux pas de l’Armeria.

L’Armeria… Nous en sommes à quelques centainesde mètres. La vérité est en marche vers moi.

– L’or se rapproche de ton escarcelle,brave femme… achève.

Et elle continue, son rire s’accentuant, luistrie le visage d’innombrables rides entrecroisées.

– Le puits est dans la rue Novillo.

Le terrain alentour reste à l’abandon depuisbien longtemps. Les plantes y croissent sans être tourmentées parle jardinier, elles s’enchevêtrent comme les arbres d’une toutepetite forêt vierge.

Seulement, plus personne parmi les heureux nese souvient du Puits du Maure. Il n’y a que les pauvres errantscomme moi, parce que seuls, nous sommes assez légers de monnaiepour fréquenter la Taberna Camoëns. Eh ! eh ! il fautentrer par la Taberna, traverser la courette qui s’étend derrière,boueuse et triste, et que borne la clôture vermoulue de l’enclos duPuits… Oh ! il y a des brèches… grâce à elles, durant lasaison d’été, on a là un bon campement pour la nuit, et les gens dela police n’y viennent pas déranger le pauvre monde.

La pièce d’or glissa de ma main dans lesdoigts de la gitane.

Elle avait assez dit sans doute à son avis,car elle me permit de m’éloigner. J’allongeais le pas, et je doisavouer que ma précipitation provenait, moins du souci de n’être pastrop en retard au déjeuner de l’hôtel de la Paix, que de celled’augmenter la distance entre la diseuse d’aventure et moi.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer