L’Espion X. 323 – Volume I – L’Homme sans visage

Chapitre 3 ÔSOUBRETTE ESPAGNOLE, MESSAGÈRE DES SOURIRES !

 

On nous dit flegmatiques, nous autres Anglais.Je ne m’explique pas pourquoi, car il m’a semblé dans mespérégrinations à travers le monde, qu’aucun peuple n’est moinsflegmatique que nous ; qu’aucun n’est disposé à une gaietéplus enfantine.

Évidemment, certaines races sont plusprodigues de mouvements, de manifestations extérieures inutiles,mais est-ce du flegme que de ne pas agiter les bras, la tête et lecorps comme un convulsionnaire ou comme un vieux télégrapheChappe ?

Je fus très agacé pendant le déjeuner. Jetrépidais sur ma chaise absolument comme si elle eût été un« isolateur » chargé d’électricité à haute tension.

Je m’aperçois que ma comparaison estinconvenable, car elle suppose que je suis entré en…rapport avec la fée électricité en m’asseyant dessus… Ce n’estpoint là ce que je voulais exprimer. Je respecte cette fée à l’égaldes plus grandes dames… et puis, vous la connaissez tous… s’asseoirsur pareille lady équivaudrait à se poser sur une peloted’épingles… Je respecte également trop mon individu pour lesoumettre à si piquant traitement.

Mais je connaissais le Puits du Maure.

À quel parti m’arrêterais-je ?

Me forcerais-je au courage d’attendre la nuitvenue, pour gagner la Taberna Camoëns et l’enclos mystérieux, danslequel je m’aposterais pour surprendre X. 323 ?

Ou bien, m’offrirais-je la satisfactiond’aller, dès mon repas terminé, opérer une reconnaissance du but demon expédition nocturne.

Ma gourmandise de savoir me poussaità la seconde méthode.

Ma raison m’en écartait.

Il convenait d’éviter une démarcheinconsidérée, susceptible d’indiquer à mon ami X. 323 que j’avaisretrouvé sa piste.

Avec ce diable d’homme, il fallait s’attendreà tout, et je ne mettais pas en doute qu’il ne fût aussitôt informéde ma présence au Puits du Maure.

Bien. Écoutons la Raison. Je n’irai point.

Oui, mais alors à quoi occuperai-jel’interminabilité de mon après-midi ?

Je pouvais m’occuper une heure, grâce à unedépêche du Times,que l’on m’avait remise à mon arrivée. Le« patron » me mandait que l’on attendait macopie avec impatience, la situation politiques’embrouillant de jour en jour.

« La pièce que vous savez,disait-il, « apparaît de plus en plus comme l’élément capitalde l’affaire. »

Je ferais une réponse sibylline…certain de l’importance de la pièce que je savais n’êtrepoint exagérée ; mais tenu au silence par loyalisme ; jen’ignorais plus rien, et, dans un avenir rapproché, demainpeut-être, je serais relevé de mon mutisme ; je lancerais surles fils et sans-fils, des révélations sensationnelles, quiferaient tirer le Times à des millions d’exemplaires.

Le patron serait ravi. Je porterais moi-mêmema dépêche au Télégrafo Central.

Oui, mais ensuite, ensuite, comment aurais-jele courage d’attendre jusqu’à la nuit pour me mettre encampagne ?

Agir est un plaisir… La chose horripilante estd’assister, l’arme au pied, au lent défilé des heures.

Sur l’honneur, j’étais à cent lieues de penserque la brune soubrette Concepcion allait résoudre le problème de laplus agréable façon.

Cependant, ce fut ainsi.

Je me levais lentement… alors que l’on n’a àeffectuer, en un temps donné, qu’un nombre limité d’actes, il estde bonne mathématique de se mouvoir avec le minimum de vitesse, cequi conduit plus loin dans le temps.

– Pour le señor Max Trelam sans doute,fit derrière moi une voix interrogative ?

Je regardai le possesseur de l’organequestionneur. C’était un groom de l’hôtel qui me présentait unelettre.

– Si elle porte mon nom, c’est qu’elleest sûrement, et non pas sans doute, pour moi.

Le galopin secoua la tête :

– Elle n’indique pas le nom, señor…Voyez.

La suscription m’apparut en effet sansnom.

« Al señor Inglese », avait-on tracésur l’enveloppe.

– Toutefois, reprit mon interlocuteur, leseñor étant présentement le seul Anglais en résidence à l’hôtel,nous avons pensé que sans doute, – le drôle accentua laformule – la missive lui était destinée.

Je pris la lettre sans répondre à ce gamintrop logique… On ne discute pas avec un inférieur qui a raison.

Papier de premier choix, parfum discret etdistingué ; oh ! oh ! correspondance de femmeélégante. Supposition démentie aussitôt par l’écriture grossière,maladroite… Servante utilisant pour ses travaux épistolaires lapapeterie de sa maîtresse.

J’ouvre. Je ne me suis pas trompé.

L’épître était signée : ConcepcionAllaracos.

Concepcion, la fille de chambre de la douceNiète, aux yeux de bluets !

Quelle idée a encore germé dans la cervelle dela camériste madrilène ?

Je lis, non sans difficulté, à cause del’orthographe que je transcris ici avec une larme perlant au boutdes cils. Cette lettre baroque, je viens de la tirer d’un coffret,où gisent les douloureux souvenirs de ce qui ne sera plusjamais.

« Le señor me pardonnera de troublé cesocupacion ! Car le señor ai bons et il sai que je veu lehonneur de madmoisele.

« À ce matin, la conversation du señoravai addouci le chatgrins de madmoisele ; à présan, ele sedesaispert kome si son queur navai plus à atandre laconsolation.

« Moi, je lemme tro pour la regardé komeça ferre. lor jécri au señor.

« Nous parton au parque de Madrid pour cepromené. On s’assoirat dans lé jardin englais, à cotai della grendeallai des Estatuas (statues, allée principale du parc). Et laVierje Sinte et léz ange vou benniret de venir là ossi.

« Je baise les mainrespequetueuseman.

« Signé : ConcepcionAllaracos

« votre sairvante. »

Brave fille ! Comme cette brunettedépourvue de littérature, avait clairement compris ce qui montaitdans mon âme. Elle n’avait pas un instant jugé que je pusse refuserd’accéder à son appel.

J’irai, cela est évident.

Pour la forme, je me reproche monincorrection.

De quel droit persécuter de ma sympathieMlle de Holsbein qui, le matin même, m’asignifié l’adieu ? Eh ! avec la mauvaise foi de qui apris une décision définitive, je me déclare qu’à défaut de droit,j’ai un devoir ; oui, un devoir d’humanité.

Il serait barbare et sauvage de laisserpleurer des yeux bleus si exceptionnellement doux.

L’amour se déguise en infirmier de laCharité.

J’ai un peu honte de moi-même. Comme je suishypocrite auprès de Concepcion… Eh oui, je dois reconnaître moninfériorité par rapport à cette fille de chambre décidée, àl’allure franche, évoluant avec une liberté, un mépris complet desennuyeuses conventions sociales, dont les liens entravent mesactions.

Elle était bien le prototype de la caméristeespagnole, qui, de très bonne foi, se figure qu’elle est engagée,non pour faire le ménage (elle le prouve en ne le faisant pas),mais pour servir de trait d’union aux tendresses séparées par lespréjugés sociaux.

Et dans ce dernier emploi, la paresseuseménagère montre une activité incroyable.

L’origine des grandes passions ibères, si l’oncherchait bien, se retrouverait presque toujours dans une volontéde soubrette… Rodrigue, el Cid et Chimène eux-mêmes… Je n’achèvepas ; les Cornéliens fanatiques me lapideraient, mais personnene me reprochera d’exprimer mon admiration sans bornes pourBeaumarchais (Auguste Caron de).

Comme ce fils d’horloger parisien a comprisl’Espagne !

Bref, l’épître de Concepcion me produisit uneffet que, je le confesse, je n’ai jamais ressenti à la lecture deslettres immortelles et universellement réputées sans égales deMadame de Sévigné.

Je courus au télégraphe, expédiai ma dépêcheau Times, et puis, comme un écolier en vacances, je jetaipar-dessus mon épaule toute idée sévère.

Plus de politique, plus de reportage, ni deTimes, ni de document dangereux.

Je reprendrais le collier le soir, à l’heuredu Puits du Maure.

Jusque-là, je ne voulais songer qu’àMlle de Holsbein, à son doux visage éclairépar ses yeux candides et tristes, petites violettes vivantesécloses sur une âme douloureuse.

Au pas de charge, je parcours la rampe de SanGeronimo. J’arrive à l’entrée du parc qui s’ouvre à sonextrémité.

Je gagne le Paseo de las Estatuas,cette large avenue bordée de statues, dont les silhouettes rigidesse découpent sur les feuillages de jardinets tracés à l’anglaise,avec des sentiers contournés, des fantaisies charmantes desmetteurs en scène de l’horticulture. Mais là, je suis pris d’uneindécision. Que lui dirai-je, à cette triste jeune fille, quand jeserai en sa présence ?

Elle est superbe. Concepcion ! Elletranche les difficultés, même orthographiques, avec une admirableassurance.

Seulement, toute audacieuse, toute soubrettequ’elle soit, je voudrais bien la voir à ma place.

C’est absurde, ce que je dis là. Concepcion neserait pas embarrassée. Elle dirait ce qui lui viendrait auxlèvres, sans s’inquiéter de savoir si cela est conforme auxconvenances mondaines.

Pour cette fille simple, tout se résumerait encet aphorisme :

– Ce qui est utile est forcément bon àdire.

Quel avantage dans la vie que d’avoir été malélevé !

Tandis que mon cerveau se débat entre ce qu’ilsouhaite et ce qu’il critique, mes jambes, que ledit cerveau oubliede surveiller, s’ouvrent et se ferment régulièrement, comme descompas… J’ai quitté le paseodes statues… Je parcours lespetites allées du jardin anglais.

Mais une émotion profonde m’étreint, gagnantjusqu’à mes jambes, qui interrompent brusquement leur mouvementmécanique.

À quelques pas de moi, assises sur un banc depierre, au-dessus duquel se replient en dôme des noisetiers aufeuillage rougi, Niète et sa suivante sont immobiles.

La jeune fille, le front penché, absorbée enune rêverie que l’on sent pénible, ne me voit pas.

Concepcion, elle, m’a vu de suite. Son visages’épanouit en un sourire de bienvenue et ses yeux noirs brillent…brillent.

La fille de chambre est de toute évidence,contente de moi, et cela me flatte infiniment.

Je crois bien que l’excellente fille est entrain de devenir mon amie.

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