L’Espion X. 323 – Volume I – L’Homme sans visage

Chapitre 10RÉVEIL

 

J’ouvris les yeux. Je reconnus que j’étaiscouché dans ma chambre de l’hôtel de la Paix.

J’entendais le ronronnement d’une bouilloireet le chuchotement de la conversation à voix basse de personnes queje ne voyais pas.

J’essayai de tourner la tête pour apercevoirles causeurs ; mais une vive douleur se vrilla dans les chairsde ma nuque.

D’instinct, j’y portai la main.

Mon crâne était entouré de bandelettes, tel uncrâne de ces vilaines momies, enduites de natron, dont j’avais faitla connaissance en Égypte.

Cela me surprit infiniment, car je ne mesouvenais pas avoir procédé à semblable toilette de nuit.

Mais ma surprise s’accentua encore, bien quechangeant de cause, à l’audition de ces paroles :

– Señorita, il a bougé.

By Heaven, j’entendais la voix de Concepcion…Dans ma chambre, à l’hôtel de la Paix… c’était invraisemblable.

Je rêvais assurément.

Non, je ne rêvais point… Dans le cercleembrassé par mes regards, une délicieuse apparition se précisa,venant à mon chevet. Elle se pencha, approcha un bol de mes lèvres,avec cet ordre, velouté comme une caresse :

– Buvez.

– Niète, Miss Niète, m’écriai-je, est-cevous ?

Elle fit oui de la tête et, tendrementautoritaire :

– Buvez d’abord, nous causeronsensuite.

Je bus… Après tout, si l’aventure paraissaitobscure pour mon intelligence qui me semblait engourdie ; elleétait néanmoins charmante.

Puis Niète tendit le bol vide à Concepcion,qui s’était rapprochée. Et doucement :

– Ne parlez pas… Le médecin a défendu…Ah ! depuis deux jours, j’ai eu bien peur… Vous ne repreniezpas connaissance… Mon père, lui, m’avait reconnue le matin même dupremier jour…

Je la regardai avec stupeur. Que meracontait-elle donc là ? Je ne doutais pas de la véracité deses paroles ; mais je ne les comprenais pas.

Et pourtant j’avais l’impression que lalumière allait se faire dans mon cerveau, qu’elle était touteproche.

– Ah ! continua Niète d’une voix unpeu tremblante, votre blessure avait un aspect si terrible.

Ma blessure ! La voilà la lumière.

Tout me revient : le Puits du Maure,l’Armeria, le comte ; le comte surtout qui, selon touteprobabilité, a cherché à tuer en moi un témoin gênant.

Ah ! tandis que je cherchais comment luienlever le document, que je supposais entre ses mains, il m’atranquillement assommé.

– Heureusement, reprit la jeune fille,mon père était moins blessé que vous, il m’a permis de venir, avecConcepcion, essayer de vous guérir.

– Il a permis, balbutiai-je…

Non, ce meurtrier chargeant sa fille deréparer le mal qu’il a fait.

– Il a permis, affirma-t-elle, quoiqueblessé lui-même.

– Il est blessé aussi ?

Cela s’embrouillait de nouveau… Ma blessure,je la concevais ; mais la sienne ?…

Niète ne pouvait soupçonner mes pensées.

La douce mignonne fût devenue folle si elleeût su que son fiancéavait été mis aux portes de la tombepar son père.

Non, non, petite Madone aux regards d’azur, tul’ignoreras toujours.

Elle parlait cependant.

– Blessé à la tête comme vous, pluslégèrement pourtant, car il a repris ses esprits dès le matin.

– Le matin ?

– Oh ! je raconte mal… Vous savezl’autre jour, le Parc, mon père survenant. L’espoir d’être aiméepar vous… Oui, n’est-ce pas ?

– J’oublierais tout le reste plutôt queces instants.

Elle mit sa petite main sur mes lèvres.

– Ne parlez pas ; le médecinl’interdit… Écoutez seulement. Votre infirmière a le droit debavarder pour deux… Mon père avait la migraine, vous vous souvenez.Après notre dîner, il voulut sortir un peu pour tâcher de dissiperce vilain mal. Je regagnai ma chambre et m’endormis, en rêvant à ungentleman anglais, qui allait faire de moi une Anglaise.

Je baisai la main qu’elle avait laissée contrema joue, et cela amena sur ses lèvres un sourire divin.

– Vers minuit, toute la Casa Avreda esten révolution… On sonne, on crie, on marche… Qu’est-ce que celasignifie… Je me lève… C’est mon père que des vigilants(agents de police) rapportent évanoui, une plaie à la tête.

Un inconnu a prévenu les agents qu’ilstrouveraient deux personnes assommées dans les jardins del’Armeria… Il a disparu ensuite… Mais son avis était vrai… Vousétiez étendu, paraît-il, dans une allée étroite, et à cent mètresde là, devant une petite porte accédant aux « resserres »du musée, gisait le corps de mon père… Voilà ce que j’appris de cesgens… Vous jugez de mon épouvante, de ma tristesse.

Vous, on vous avait identifié, car lescriminels ne vous avaient rien volé, et l’on vous rapportait à lamême heure à l’hôtel de la Paix. Mon père, lui, complètementdévalisé, eût passé la nuit à l’hôpital, si l’un des agents nel’avait reconnu.

Oh ! je n’avais plus la moindre envie deparler…

Des idées multiples se heurtaient dans matête.

Le comte de Holsbein m’avaitsupprimé. Lui-même l’avait été à son tour.

Par qui ?

Le soin pris de le dévaliser, me fit songer àX. 323… Quoi d’impossible à ce que cet homme étrange se trouvâtlà ?… Mais alors, il savaitdonc, qu’entrés par lePuits du Maure, nous sortirions de ce côté ?

Et puis autre chose ?

La police, mise au courant de notre aventure,nous interrogerait sûrement.

Que répondre ?

Si X. 323 ne possédait pas le document volé auForeign-Office, il fallait absolument n’en pas parler.

Divulguer son existence m’apparaissait aussidangereux que de le laisser publier par le service desrenseignements de l’Allemagne… ou presque…

Tout cela sautait dans ma tête. On aurait ditque ma boîte crânienne abritait toute une colonie de criquets et decigales.

La mignonne, à cent lieues de supposer pareiltrouble dans mes idées, poursuivait cependant :

– Et le plus étrange dans cette aventureincompréhensible, est que mon père prétend ne pas être entré dansles jardins de l’Armeria qui, vous le savez, sont fermés au publicla nuit.

Je dressai l’oreille.

Est-ce que le comte n’aurait autorisé sa filleà me venir soigner que pour m’indiquer de quelle façon ilconviendrait de répondre aux curiosités de la police ?

– Il dit, faisait la chère aimée, de savoix tranquille, que sorti de la maison, il s’est promené auhasard ; que, parvenu auprès d’une église, laquelle, il nesaurait la préciser, la migraine répandant autour de lui comme unbrouillard… Enfin près d’une église, il avait éprouvé un chocviolent à la tête… Et puis il a dû perdre connaissance, car il nese souvient de rien autre.

Je ne m’étais pas trompé… Niète m’étaitenvoyée comme une inconsciente messagère.

Décidément, le comte était un rude jouteur, etle coup qui avait fêlé son crâne, ne lui avait rien fait perdre deses moyens.

Il m’indiquait la voie. Je n’hésitai pas à m’yengager. Plus tard, bien plus tard, ma chère Niète saurait lavérité et elle me pardonnerait de lui avoir menti dans l’intérêtsupérieur de l’Angleterre.

– Voilà qui est étrange, murmurai-je del’accent d’un homme profondément étonné.

– Qu’est-ce qui paraît si étrange auseñor, s’exclama Concepcion, qui évidemment devait bien souffrird’avoir si longtemps gardé le silence.

Brave fille ! Elle me tendait la perchede salut.

– Eh ! c’est que moi non plus, jen’ai pas mis le pied dans le jardin interdit de l’Armeria.

– Santa Virgen !

– Est-ce possible !

Les deux exclamations jaillirent en même tempsdes lèvres de mes interlocutrices.

Et je ripostai, avec le « toupetd’airain » d’un menteur diplomatique :

– Puisque je vous le dis… Les émotions dela journée me faisaient rechercher la solitude… Rêvant,monologuant, déambulant, j’ai conscience d’être arrivé jusqu’à larive du Mançanarès.

– La rivière de Madrid, souligna la fillede chambre avec emphase, comme la Tamise est la rivière deLondres.

– Avec un peu plus d’eau, continuai-je,eh bien là… moi aussi, un choc violent à la tête, et puis plus rienautre.

Ne croyez pas que je me sois figuré avoirtrouvé une explication géniale. J’ai trop fréquenté le génie, aumoins dans les cabinets de lecture, pour commettre pareilleconfusion.

Hanté par la fable deM. de Holsbein, j’avais tout uniment servi la même ;paresse d’esprit sans doute, pour laquelle ma tête fracasséeméritait d’obtenir les circonstances atténuantes.

Seulement, pour quiconque ne mettait pas ensuspicion la franchise de l’explication, je dois reconnaître que lacoïncidence des deux « accidents » ; ces deuxblessés, sans savoir comment, transportés ensuite par leursagresseurs inconnus dans les jardins de l’Armeria, représentait unproblème irritant autant qu’insoluble.

C’est ce que Niète, doucement, et Concepcionavec sa verve habituelle, exprimèrent, en déclarant que le doublecrime avait été perpétré par un fou, dont la monomanie étaitcaractérisée par le besoin impérieux de porter ses victimes dans lesquare de l’Armeria.

Ne riez pas. Le lendemain, les journaux, aprèsavoir enregistré gravement les déclarations de M. le comte deHolsbein et de sir Max Trelam, Esquire, concluaient en chœur dansce sens.

Le double crime de l’Armeria, ainsidésignait-on l’aventure, fit du bruit dans Madrid.

Pour moi, je me sentais sans rancune contremon « à peu près meurtrier », car le sourire de Niète meguérissait mieux que tous les pansements. Sous les regards bleutésde l’aimée, la vie revenait à flots ; le sang reprenait soncours normal. C’est la médication que le sage Aristote désignaitsous le nom délicieux de Vulnéraire d’Amour.

On peut tout espérer d’un flacon, dontl’étiquette semble tracée sous l’invocation du distillateur Bacchus(le Pernod de l’époque) et de l’archer Cupidon.

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