L’Espion X. 323 – Volume I – L’Homme sans visage

Chapitre 17LA CONFIANCE RELATIVE DE X. 323

 

– Vous avez vu, répéta moncompagnon ?

Et comme j’inclinais la tête, véritablementconfondu par les étrangetés accumulées dans ma vie depuis que jem’occupais de l’espionnage et des espions, il reprit :

– Eh bien, aurez-vous là de quoiintéresser les lecteurs du Times ?

Je ne pus me tenir de rire à cettequestion.

– Sans doute.

– Vous les intéresserez bien davantage enleur apprenant, qu’en deux jours, vous avez vu trois fois celui queses ennemis ne voient jamais.

– X. 323 ?

– Oui.

– Je l’ai vu trois fois ?

– Comptez… Hier, au Prado, ce vieillardqui vous intrigua si fort.

– Lui !

– Hier soir le fugitif de la ChambreRouge.

– Et la troisième fois ?

– En ce moment…

Je m’attendais à la réponse, et cependant elleme pétrifia. Dans cet homme jeune, alerte, brun, âgé de vingt-huità trente ans à peine, je ne retrouvais rien qui me rappelât levieux gentleman du Prado.

Il me semblait même qu’ils n’étaient point demême stature.

– Mais lequel est le vrai, murmurai-je enme prenant la tête à deux mains ?

Ses traits dirent une gaieté contenue àgrand’peine.

– Je vous ai marqué une confiance que jen’ai jamais marquée à personne… On m’a parlé de vous en termes…

– Qui, qui ? interrogeai-jeavidement en voyant qu’il suspendait sa phrase.

– La brise peut-être… Admettez que jeveuille un jour avoir pour ami le parfait gentleman que vous êtes…Mais vous demandiez quel était mon réel visage ? Cettecuriosité, je ne l’ai plus moi-même… Au Prado, j’étais moi ;en ce moment, je suis encore moi… Le réel n’existe pas pourl’homme… Est-ce que les teintures, les fards, les éclairages mêmene nous font pas vivre sans cesse auprès d’apparences. Celui quenous saluons d’un nom, si nous le voyions en réel, nous ne leconnaîtrions plus : que vous importe mon visage effectif… Mapensée seule est vraie et elle vous est amie.

– Moi ami, je me sens pris de sympathiepour vous.

– Cela m’est agréable, croyez-le.

– Et tout à l’heure, j’ai deviné à vosparoles que vous iriez ce soir au Puits du Maure poursurprendre…

– Holsbein… je n’ai point cherché à vousle cacher.

– Alors, il vous serait facile de meprouver l’amitié dont vous parliez à l’instant.

– Comment ? Dites, je vousprie ?

– En me permettant de vousaccompagner.

Il secoua la tête.

– Impossible… Vous me gêneriez.

Je fronçai les sourcils. Il me paraissait quele Times lui-même, que ses caractères se hérisseraient decolère, si je n’assistais pas à une expédition dont dépendait lapaix de l’Europe.

 

– Je ne veux pas vous tromper. J’iraiquand même.

Aucun mouvement de mauvaise humeur. X. 323 seborna à me répondre simplement :

– Il est permis à tout le monde d’allerau Puits du Maure.

– Je l’espère.

– Mais non pas avec moi.

– Je vous défie de m’en empêcher…

Mon interlocuteur se laissa aller à uneexubérante gaieté.

– Vous me défiez. Prenez garde, MaxTrelam ; je suis homme à vous prendre au mot.

– Un homme averti en vaut deux, fis-jeavec la tranquillité d’un homme certain de n’être pas pris sansvert.

– Eh bien, puisque vous valez deux, celavous fait quatre jambes ; rattrapez les deux miennes.

La dernière parole de cette phraseironiquement énigmatique tintait encore à mon oreille que X. 323avait disparu.

Une seconde, je pensai qu’il s’étaitvolatilisé ; mais sa disparition s’était effectuée beaucoupplus simplement.

La chambre avait deux issues, comme il estnaturel à un logis de gardien de propriété : l’une accédant àla rue, l’autre communiquant avec les jardins.

Cette dernière, que des contrevents de boisplein obturaient au dehors, n’avait pas appelé mon attention.

Je ne la remarquai qu’en entendant une clefgrincer dans la serrure.

X. 323 m’enfermait.

Je fus sur le point de me ruer sur cetteporte… L’insanité d’une telle manifestation me frappa.

Avant que je l’eusse ouverte, le fugacepersonnage aurait eu le temps de se mettre hors d’atteinte.

Après tout, je savais où le retrouver.

Le Puits du Maure, puisque Puits du Maure il yavait, ne se déplacerait pas, lui.

Il me suffirait donc de m’informer de sasituation et de m’y rendre pour rejoindre l’espion X. 323, cepersonnage mystérieux dont je venais de faire la connaissance. Etune fois auprès de lui, qu’il le voulût ou non, je l’aiderais àreconquérir le document volé à l’Angleterre.

Voilà une belle page pour un correspondant duTimes !

Et rasséréné par ces projets héroïques, jequittai à mon tour la maisonnette. Je reparcourus rapidement la rueZorilla et gagnai la Carrera San Geronimo pour rentrer à l’hôtel dela Paix.

Là, on allait me renseigner sans peine sur legisement du Puits du Maure et j’aurais tout le jour pour dressermes batteries.

Je vous jure que, tout au côté patriotique del’expédition à engager, le plaisir de faire une niche au si adroitX. 323 n’entrait que pour une faible part dans mon empressement àagir.

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