L’Espion X. 323 – Volume I – L’Homme sans visage

Chapitre 9OÙ CONDUIT L’ARCHÉOLOGIE

 

Hop, la margelle franchie, je suis surl’échelle de puisatier. C’est un jeu qu’une descentesemblable ; un enfant s’en tirerait sans peine.

Je ne me suis pas trompé, une ouvertureétroite est percée dans la paroi, sa partie inférieure affleurantla masse liquide, et à la lueur diffuse qui tombe des étoiles, deces petits soleils radiant au delà même de l’infini expérimental,je distingue les premières marches d’un escalier de pierre.

J’en compte trois. Après, les degrés seperdent dans un noir absolu… Plus aucun rayonnement n’arrivelà.

Mais je devine que la montée se prolonge,qu’elle dépasse le niveau le plus élevé auquel les infiltrations,qui alimentent le Puits du Maure peuvent conduire la colonneaqueuse.

Cela est évident. Cet escalier aboutit en unendroit quelconque. Et cet endroit ne doit pas être inondé, sanscela les papiers du Foreign-Office n’auraient pas pris cechemin.

J’écoute. Aucun bruit. Il me passe parl’esprit que le comte, ayant reconnu qu’il était suivi, m’attendpeut-être, au fond de l’obscurité et que…

Tant pis ! Quand on descend dans un puitspour y trouver la vérité et la Paix de l’Europe, on n’espère pas yrencontrer un lit de roses.

Pour l’England, for ever !

Si je suis surpris, si je suis frappé ;au moins serai-je victime pour une cause qui en vaut la peine.

Une petite pensée émue à Miss Niète et, enavant.

Les mains tâtant les murailles latérales, cequi à la fois guide et assure ma marche, je gravis l’escalier. Jecompte vingt-sept marches… À raison de vingt centimètres l’une,c’est la hauteur moyenne des degrés dans les constructionsmodernes, je me suis donc élevé vers la surface du sol de cinqmètres quarante.

Évidemment, les eaux n’atteignent jamais cettehauteur.

Ici, l’escalier finit brusquement. Le terraindevient plan. J’ai l’impression d’un couloir étroit s’allongeant enavant de moi.

Et j’étouffe à grand’peine uneexclamation.

Dans la profondeur de la nuit, une petitelueur se meut en mouvements rythmés.

M. de Holsbein, plus heureux quemoi, peut se servir d’une lanterne, et il ne s’en fait pasfaute.

C’est lui qui est là-bas.

Eh mais, c’est lui-même qui va m’éclairer… Letout est de ne pas perdre de vue la lanterne de cet excellenthomme… Un beau-père, Antigone de son gendre, quel sujet pour unstatuaire !

J’ai retrouvé ma bonne humeur. Ce que c’estque de voir une petite flamme. Dire que nombre de personnes necomprennent pas qu’à l’origine du monde, l’homme ait été adorateurdu feu !

Je piquais maintenant droit sur la lueur, enévitant avec soin de faire le plus léger bruit susceptible detrahir ma présence. Mes chaussures de tennis se prêtaientadmirablement à mes projets ; seulement, des murs du couloir,probablement très anciens, des pierrailles s’étaient détachées…Parfois, je les sentais rouler sous mes pieds, et je tremblais quele comte ne se demandât d’où provenaient ces sons non justifiéspour lui.

Selon toute apparence, le bruit qu’ilproduisait lui-même l’empêchait de prêter l’oreille aux autres. Etpuis, il se croyait bien seul… Il ne devait donc pas se gêner. Iln’étouffait sûrement pas comme moi la résonance de ses pas.

Je songe à X. 323 ; s’il arrive à présentau Puits du Maure, il pourra attendre longtemps. Bizarre lavie ! Celui qui surveille le comte est précisément Max Trelam,à qui l’on prétendait interdire ce plaisir.

Ce couloir obscur est insupportable. Il mesemble que je le parcours depuis des heures. Et pourtant Je suiscertain de n’avoir pas franchi plus de cent vingt-cinq à centcinquante mètres à la poursuite de cette lumière falote qui circuletoujours devant moi.

Ah ! un roulement sourd au-dessus de matête. La galerie traverse le sous-sol d’une rue… Quelle surprisepour le conducteur du chariot dont les roues sonnent là-haut, si lesol cédait tout à coup, découvrant l’ornière souterraine où je mepromène[3].

Ah ! par le pied fourchu ! lalumière qui me guide, semble s’élever jusqu’au plafond de lagalerie, où elle disparaît.

Qu’est-ce à dire ?

Je précipite mon allure… Vingt-cinq pas plusloin, je bute dans la première marche d’un escalier…

Celui-là remonte à la surface de la terre…

En haut se découpe un rectangle, une sorte detrappe, accédant sans nul doute, dans un endroit qui n’est pascondamné aux ténèbres absolues, ainsi que le corridor du Puits duMaure.

Sans réfléchir, aiguillonné par la crainte deperdre la piste de M. de Holsbein, je monte aussi viteque je le puis.

Je jaillis de la trappe dans une vaste sallevoûtée, où sont entassées des ferrailles héroïques, armures,cuirasses, lances, boucliers, robes de guerre de destriers.

Où suis-je donc ?

J’ai su plus tard que ce caveau fait partiedes sous-sols du Musée de l’Armeria.

Il est la « resserre », où l’onentasse les objets qui ne peuvent trouver place dans les galerieset salles publiques du Musée.

Pour l’instant du reste, je n’ai pas le loisirde m’enquérir.

Un faisceau lumineux me frappe au visage. Jem’arrête ébloui. Et quand il m’est possible de voir enfin,j’aperçois le comte de Holsbein, debout en face de moi. Il meregarde ironiquement, balançant à la main la petite lanterne quivient de me jouer un si mauvais tour.

La situation se gâte.

À tout hasard, je glisse une main dans lapoche où dort mon revolver.

Mais le comte qui sourit toujours, me dit d’unton bonhomme :

– Heureusement, je vous ai reconnu,Monsieur Max Trelam. Sans cela, je vous aurais traité comme unsimple rôdeur de nuit.

Je m’incline, un peu interloqué et je réponds,sans avoir conscience des mots prononcés :

– Oui, oui… heureusement !

– Mais, répond-il, qu’est-ce que vousfaites ici ?

Il eût été intelligent de lui retourner laquestion :

– Et vous ? Moi, je vous suis.

Mais le souvenir de Niète se présenta à monesprit. Je sentis peser sur mes yeux son regard bleu et je donnaila volée à la plus inepte des explications :

– Oh ! curiosité d’archéologue… lesvieilles pierres…

– Ah ! vraiment.

– Oui, une gitane guitariste m’a parlé duPuits du Maure. J’y suis venu… J’ai vu à l’intérieur des échelonsde fer, une ouverture dans la paroi… Voilà !

Il m’écoutait en approuvant de la tête.

J’aurais dû penser :

– Pour cet homme, je suis un espionattaché à ses pas… Pour ce soir, il n’a pas tout à fait tort.

Mais, aveuglé par le désir de ne pas mebrouiller avec le père de la gentille Niète, je me déclarai inpetto que la conversation prenait une tournuresatisfaisante.

Enhardi par cette idée, j’allai jusqu’àm’écrier :

– Mais vous-même, vous me semblez toutaussi épris d’archéologie que votre serviteur.

Son visage se fit plus ironique.

– Oh ! moi, je suis un vieuxchercheur d’antiques gravats.

Je savais qu’il mentait.

Mais il avait l’air d’ajouter foi à mesexplications. Je me devais de lui rendre sa politesse.

– Et puis, ajouta-t-il… Murs lézardés,donjons branlants, sont les plus sûrs antidotes de la migraine… Orcette vilaine me tenait aujourd’hui. Tantôt déjà, je la sentais memordiller le front au Parc… Si bien que, ce soir, après mon dîner,je suis sorti pour prendre l’air… La marche me réussit parfois…Seulement, l’homme propose et l’antiquaire dispose… J’ai songé quele Puits du Maure se trouvait tout proche… C’est le gâteau quiaiguille les désirs des vieux enfants comme moi. Je suis venu, etj’en rends grâces aux dieux, puisque cette folie me vaut le plaisirde votre compagnie.

J’étais pincé.

Dans une ruée, mes pensées se pressèrent.

Il avait sur lui le document du Foreign-Officevraisemblablement.

Et ce personnage madré comptait sans doute sefaire escorter par moi jusqu’à son logis.

– Vous plaît-il que nous rentrionsensemble ? fit-il, comme pour répondre à ma réflexionintérieure. Nous reviendrons de jour au Puits du Maure, et je vousconterai sur place l’histoire que je crois être vraie. Car cesvestiges du passé sont inconnus de tous… Les gitanes seules ontconservé la mémoire de la légende.

Parfaitement ! Il me conviait àl’escorter. Je ne m’étais pas trompé.

Mais, tout en me jurant bien qu’il nerentrerait pas à la Casa Avreda avec le papier, dont la publicationensanglanterait l’Europe, je répondis d’un ton détaché :

– Avec grand plaisir, je profiterai devotre compagnie.

Et je me dirigeais vers la trappe.

Le comte m’arrêta :

– Pas de ce côté. Permettez qu’un« découvreur » qui vous a précédé, vous guide encore.

En parlant, il remettait en place une dallequi obstruait l’entrée de l’escalier descendant à la voiesouterraine.

Puis, allant vers une porte ménagée dans lamuraille du sous-sol, il l’ouvrit sans que je pusse me rendrecompte du procédé qu’il avait employé. Usa-t-il d’une clef ?…Fit-il jouer un secret ? Je l’ignore.

Les faits se précipitaient du reste avec tantde rapidité, que je me sentais entraîné, sans le loisir deréfléchir.

M. de Holsbein m’avait pris le braset m’entraînait au dehors.

Nous nous trouvions dans un jardin. Je meretournai. Je vis derrière moi la petite porte qui s’étaitrefermée, et aussi la silhouette d’un bâtiment que les« panoramas » m’avaient rendu familière.

Pour ne me laisser aucun doute, le comteprononçait au même instant :

– Le Musée de l’Armeria, qui contient laplus belle collection d’armes offensives et défensives dumonde.

Puis, son bras passé sous le mien :

– Ce jardin est interdit au public, unefois la nuit venue, mais les archéologues jouissent de certainesprivautés, vous le voyez… Nous allons traverser les massifs et nousregagnerons la Puerta del Sol par la Calle Mayor.

Je voulus avoir l’air aussi dégagé depréoccupations que lui-même.

– Nous parlions de la légende du Puits duMaure, tout à l’heure.

– En effet.

– Ne me promettiez-vous pas de me conterla vérité enclose dans la légende ?

– Vous avez la mémoire bonne.

– Et la déduction aussi… Paroles magiquesactionnant l’eau, Maure, etc., tout cela s’est expliqué desoi-même… Un engrenage hydraulique, un voleur de nuit… Mais laBelle Fille, la captive du Maure, je ne l’ai pas découverte.

M. de Holsbein se prit à rirefranchement.

– La Belle Fille était le nom donné àl’armure du Grand Maître d’Alcala, à cause d’une tête de femmedamasquinée…

– Et alors, le Maure ?…

– Avait volé cette armure en empruntantle chemin souterrain qu’il avait creusé.

– Quoi ! m’écriai-je avec surprise.Tant de travail pour une armure.

– Vous comprendrez, quand j’aurai ajoutéque la Belle Fille d’Alcala était réputée donner la victoire àquiconque en était revêtu. Elle avait dès lors un prixinestimable.

Un étroit sentier entre deux buissons seprésenta devant nous.

Le comte me fit passer le premier… En faced’un supérieur ou d’un homme plus âgé que vous, la politesse estd’obéir, selon le précepte fameux deM. de Talleyrand.

Je ne refusai donc pas de précéder moncompagnon.

Mais à peine avais-je fait deux pas qu’un coupviolent me frappa à la nuque. J’eus l’impression d’unbouleversement soudain de ma boîte crânienne, et je roulai sur legravier de l’allée, ayant perdu toute conscience d’être.

Je n’étais pas mort, puisque je conteaujourd’hui l’aventure, mais comme dit le bon Falstaff, je n’enétais pas loin.

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