L’Espion X. 323 – Volume II – Le Canon du sommeil

Chapitre 21LE SOLEIL BRILLE

Au cri des deux sœurs, succéda un ensemble defaits précipités qui ne me permirent pas de les interroger.

Goertz avait ouvert la porte du laboratoire.Il avait bondi dans cette pièce, où nous avions laissé le princeStrezzi en tête à tête avec son complice Morisky.

Je fis un pas en avant, me trouvai ainsi dansl’encadrement de la baie, demeurée ouverte au large.

Et je dus ressembler véritablement à unestatue de la stupéfaction, genre anglais.

Assis près de la table, rigides, immobiles, setenaient Strezzi et le professeur russe.

Un rire effroyable convulsionnait leursphysionomies.

Mais, par Jupiter, c’était là le rire provoquépar les affreux projectiles du canon du sommeil.

Avec cela une odeur violente detriformaldéhyde me remplissant les yeux, les narines, la gorge,d’insupportables picotements.

Je cherchai Goertz du regard, afin de quêterauprès de lui la solution du problème insoluble pour monesprit.

Il était à l’autre extrémité du laboratoire,fouillant dans un meuble, en tirant des papiers, des plans, qu’ilenfouissait vivement, après un rapide coup d’œil, dans la propreserviette de bureau de Morisky.

Il avait pris sans doute ce qu’il voulait, caril referma la serviette de maroquin et se retourna de mon côté. Ilm’aperçut, éclata de rire et prononça :

– Enfin, nous tenons la victoire, sir MaxTrelam, mais cela a été dur… Je vous demande le pardon pour lesmauvaises heures que votre amitié pour nous vous a faitdépenser.

Je faillis tomber à la renverse.

X. 323 ! C’était lui ! Jereconnaissais la voix entendue naguère à Vienne, dans le noblelogis de Graben-Sulzbach.

– Vous, mais comment !Comment ?

– Permettez que je vous délivre ainsi quemes sœurs…

Agile comme un clown, il extrayait Tanagra etmiss Ellen de la logette, les étreignant tendrement, faisait sauternos menottes, et en même temps il parlait :

– J’ai quitté le ballon derrière vous… Àce propos, Max Trelam, remerciements ; vous avez joué votrerôle de maladroit en conscience.

– Cela n’est rien. J’avais une crainteterrible que vous n’eussiez pas réussi à vous échapper etl’explosion…

– Votre ouvrage, n’est-ce pas, frère,murmura Ellen avec orgueil.

– Oui, petite chère Ellen, un fil,branché sur le réseau distribuant la lumière à bord de la nacelle.Le contact, était commandé par le mouvement de l’hélice, il devaitse produire après tant de tours, dix minutes de marche environ.Alors des étincelles passant dans la masse d’hydrogène, devaientfatalement amener l’incendie et l’explosion… Bref, je vous suivis,je connus l’entrée de cette caverne… Une enquête rapide m’appritl’entente existant entre le nommé Goertz et une certaine Francesca,habitant tout près de Weissenbach, le joli bourg situé àl’extrémité du lac de Weissen, dont nous sommes tout proche.Goertz, voilà la figure qu’il me fallait pour pénétrer auprès devous. La Francesca avait un portrait de lui… Je pus me procurer aubourg les accessoires nécessaires à ma transformation… Goertz, queje guettais, arriva à point nommé. Surpris, sous menace de latorture, que j’aurais infligée à ce misérable sans hésitationaucune, il me renseigna sur les travaux, sur la disposition descavernes… Ah ! ces gens-là ont la trahison facile, allez… Jele récompensai de sa docilité par la mort foudroyante… Il s’estenvolé, sans s’en douter, avec sa Francesca, une vulgaire coquineégalement, vers l’inconnu de justice… Un projectile du Canon duSommeil a détruit ce destructeur.

– Vous en possédez donc, ne pus-jem’empêcher de dire ?

Il sourit narquoisement.

– Vous le voyez bien – sa main désignaitles cadavres de Strezzi et de l’horrible Morisky. Si vous voulezregarder dans le hall, vous distinguerez leurs complices réduits aumême état. On ne quitte pas un dirigeable aussi curieux que celuidu prince sans emporter quelques… souvenirs.

J’exultais littéralement… Soudain une idéeatroce traversa mon cerveau.

– Ah ! m’écriai-je, pourquoi nousavoir communiqué la lèpre… Votre victoire est une victoire à laPyrrhus…

Une gaieté folle le secoua tout entier.

– Oh ! Max Trelam, vous trois m’êtesêtres sacrés, j’aurais péri avec vous, mais jamais…

Et changeant de ton :

– Prévenu par Goertz, qui ne marchandapas les révélations pour éviter le supplice, je savais cequi devait se produire. À Weissenbach, je me procurai une seringuede Pravaz, je remplis l’ampoule d’eau colorée avec de lasépia ; une substitution d’escamoteur, au moment del’opération et l’on vous a injecté une substance colorante maisinoffensive.

Il est impossible de rendre les cris quisaluèrent cette péroraison. Nous étions fous. Miss Ellen, je nesais comment, et la chère petite chose m’a affirmé depuis qu’ellene s’était jamais expliqué cette chose, se trouva dans mesbras.

Nous ressuscitions d’entre les morts.

– À présent, trois jours de travail, MaxTrelam. Vous êtes délivrés, il nous faut délivrer le monde eneffaçant toute trace de la monstrueuse imagination de Strezzi. Nousallons volatiliser la provision de triformaldéhyde des bandits,afin d’exterminer tous leurs microbes… Ensuite, la mine réduira enmiettes l’usine de mort.

Cet homme admirable, dans la fièvre même dutriomphe, songeait au devoir.

Et il fut fait comme il avait dit. Trois joursplus tard, des explosions, dont les paisibles habitants deWeissenbach cherchent encore la cause, comblèrent les méandres dela caverne souterraine creusée au cours des siècles par les eauxlaborieuses dans la masse calcaire.

……  …  …  …  …  … .

Je ne m’étendrai pas sur le succès qu’obtintdans les colonnes du Times, le récit de mon expéditioncontre le Canon du Sommeil.

Quand la presse mondiale encense un homme, ilest décent de se montrer modeste.

X. 323 reçut des décorations variées,parmi lesquelles l’ordre britannique de la Jarretière, àl’ordinaire réservé aux souverains.

Peut-être notre Roi, si subtil, avait penséobliger mon ami à dévoiler, au moins à Lui, sa véritableidentité.

Mais l’habileté se trouva impuissante ;car on apprit que chacun des membres de la famille de l’illustreespion possédait légalementun nom, ce qui lui permettaitde conserver pour lui seul, son nom réel.

X. 323, par lettres patentes deS. M. le roi d’Espagne, avait été promu marquis deAlmaceda.

Miss Tanagra, de par titres authentiques de lachancellerie autrichienne, avait le droit de revendiquer le titrede comtesse de Graben-Sulzbach.

Enfin miss Ellen elle-même, avait étéautorisée, en récompense des services rendus par son frère, lors duvol des documents Downingby et de l’affaire de Casablanca, àajouter à son prénom si doux, le nom patronymique de Pretty.

Et ce fut Ellen Pretty que Max Trelam, promubaronnet par la faveur royale, épousa dans la nef majestueuse deSaint-Paul Church, notre grande église londonienne.

Ma joie de cœur était complète. X. 323voulut que le bonheur du reporter fut aussi complet que celui dutendre mari.

Ce jour-là, il me confia son véritable nom etme permit, dans un tête-à-tête de quelques minutes, de délecter mesyeux de son visage réel, lequel ne ressemblait aucunementà tous ceux que je lui avais vus jusqu’alors.

Seulement, vous comprenez que s’il m’a donnépareille preuve de confiance, c’est qu’il était absolument sûr queje ne le trahirais jamais. Et vous m’approuverez de me montrerdigne de sa confiance.

Tanagra nous a dit adieu… Elle seule neconnaîtra aucune joie. Elle est partie, je le sais, avec un cœurinconsolable et inconsolé.

Et comme miss Ellen, ma chère petite adoréeMrs. Trelam, est triste de songer à la détresse de la sœur sidévouée, nous allons entreprendre un long voyage. En voyage, laséparation est normale ; il semble moins douloureux de ne passentir sa famille autour de soi.

Note. – J’ai écrit ces dernièreslignes, il y a deux mois. Je ne soupçonnais pas que le MonsieurDestin allait m’aiguillier sur : Les Dix Yeux d’Or,que j’aurai peut-être à vous raconter si je reviens.

FIN

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