L’Espion X. 323 – Volume II – Le Canon du sommeil

Chapitre 9LE « COUP FINAL » DE STREZZI

– Voici la dépêche du très puissantseigneur Strezzi :

Et sans tenir compte des mines éplorées de sonhonorable épouse Amalia, le gouverneur lut :

« Mon cher Logrest, des coupures dejournaux vous parviendront presqu’en même temps que cette dépêche.Veuillez en donner connaissance complète, sans retard, aux hôtesque je vous ai confiés. Ils verront que Sa Majesté a étendu sur euxla plus large clémence. Signé : PrinceStrezzi. »

Le poussah nous regarda, souffla, glissa letélégramme dans une poche de côté de son veston-dolman, puisprenant une des coupures de journaux, il reprit sa lecture.

Voici ce que disaient mes confrères de lapresse viennoise :

« La foudre frappe aux sommets. L’un desplus grands de l’entourage de notre Empereur vénéré, vient d’enfaire la cruelle expérience.

« On se souvient de l’ascension dudirigeable Strezzi, emportant à son bord, le comte, son adorableépouse, la comtesse de Graben-Sulzbach. Le navire aérien partaitpour une croisière de lune de miel, le voyage de nocestraditionnel. Hélas ! Il devait aborder dans les désertslugubres du drame.

« Comment, par suite de quel enchaînementde faits, cela s’est-il produit ? Nous n’avons pu ledécouvrir.

« Au résumé, le comte apprit, à n’enpouvoir douter, que celle qui portait son nom, et son frère dont laphysionomie slave était si connue dans le monde élégant, avaientune part dans les crimes horribles qui bouleversent l’Europe depuisplusieurs mois… Ils étaient affiliés à ces bandits sinistres quituent par le rire.

« Une pareille révélation pourrait jeterun homme dans la folie. Le comte se domina. Une idée survivant aucataclysme sauva sans doute sa raison.

« Il songea que tout étant perdu, ilfallait sauver l’honneur de son nom.

« Et prenant le gouvernail de sondirigeable, de cet admirable engin, fruit d’années d’opiniâtre, depatriotique labeur, il conduisit les coupables dans une de nosforteresses d’État, les confia au gouverneur de ladite, puisrevenant à Vienne, se jeta aux pieds de l’Empereur, le suppliant defaire que le nom de Strezzi ne fût pas traîné devant une Courcriminelle, que ce nom n’éveillât pas les échos du prétoire.

« L’Empereur consentit à ce que lescoupables fussent oubliésdans la prison choisie parl’époux outragé.

« Et pour marquer son affection à sonserviteur fidèle, dont les loyaux et exceptionnels services sontconnus de tous les Autrichiens aimant leur patrie, il le créaprince et Altesse.

« Ah ! aux jours de deuil, le devoiraccompli apporte sa récompense aux hommes d’élite qui ont supréférer la voie âpre et difficile, aux sentiers fleuris desinutiles plaisirs.

« S. M. l’Empereur d’Allemagne,informé, a voulu, lui aussi, marquer sa haute estime pour l’hommequi, en matière d’aérostation militaire, a tant fait pour laTriplice, rempart indestructible de la Paix.

« Nous apprenons que le comte, ou plutôtle prince Strezzi, car il a droit à ce titre désormais, est appeléà Postdam aux environs de Berlin, où S. M. prussiennevillégiature en ce moment.

« On prête au souverain l’intentiond’offrir au nouveau prince le grade de colonel honoraire d’un desrégiments de la garde, (honneur réservé jusqu’ici aux seulssouverains) et, d’y adjoindre un présent évalué à un million demarks (un million deux cent cinquante mille francs).

« S. A. le prince Strezzi quitteraVienne sous trois jours, son arrivée à Berlin devant coïncider avecla présence dans cette ville, de S. M. I. l’Empereurd’Allemagne, venant présider une session extraordinaire de la diètedes Seigneurs. »

Herr Logrest se tut, et demeura les yeuxbaissés, évidemment très embarrassé par la communication qu’ilvenait de nous faire par ordre.

Maintenant je comprenais l’émotion de Tanagra.Elle s’était souvenue de suite des paroles cyniques de l’immondeStrezzi :

– X. 323 réduit à l’impuissance, jesuis prince, et je vends un million de marks pour commencer, messervices à l’Allemagne.

Ah ! le misérable ! On le couvraitde fleurs ! On lui tressait des couronnes !

Il faut reconnaître qu’il avait magistralementmené son affaire. X. 323, la comtesse de Graben, déshonorésaux yeux de la foule stupide, seraient oubliés dans lechâteau de Gremnitz.

Miss Ellen et moi-même, je n’en parle pas.Nous étions plus oubliés encore, puisque dans l’article,évidemment inspiré par le traître, on ne mentionnait même pas notreprésence.

Certes, vis-à-vis des deux premiers, saconduite était atroce. Mais enfin, eux, avaient été sesadversaires. Il avait la vague excuse des représailles. Miss Ellenn’avait point fait, elle, d’hostilité. Il l’avait arrachéebrutalement au pensionnat paisible où elle attendait le retour deceux qu’elle aimait.

Et cette innocente enfant finirait ses joursen captivité.

Je m’arrêtai net dans mes considérationsrageuses.

Celle qui me troublait ainsi, avait conservéson sang-froid, car elle demanda d’un ton admirablementcalme :

– Est-ce que vous avez déjà entretenu monfrère de cette bizarre communication ? Je dis bizarre, pour nepas employer une épithète plus juste, que vos fonctions vousdéfendraient d’entendre.

– Oh ! Fräulein, s’exclama l’énormeAmalia Logrest. Mon mari est fonctionnaire. Il ne peut évidemmentblâmer les décisions de ses supérieurs ; mais on peut lesblâmer devant lui. Écouter n’est point manifester une opinion,c’est simplement exercer une fonction naturelle… Ah ! s’ilétait sourd, et s’il se servait d’un cornet acoustique pourpercevoir vos paroles critiques, il ferait acte de volonté, ildeviendrait blâmable. Mais il n’est point atteint de surdité, leciel en soit remercié, on ne saurait en aucune façon l’inculper delèse-majesté.

Et l’énorme unité d’un sexe généralement moinsmajestueux, se prit à rire, gloussant ainsi que poule d’Indeappelant le regard d’un coq de même espèce. Elle était apparemmenttrès satisfaite du remarquable esprit de conciliation dont ellevenait de faire étalage.

Miss Ellen fit écho à son hilarité. Courageusejeune fille. Elle devait pourtant souffrir autant que nous-mêmes ence moment.

Et puis elle réitéra la question demeurée sansréponse.

– Avez-vous déjà entretenu mon frère à cesujet ?

Herr Logrest secoua la tête.

– Non, bien certainement, Fräulein Ellen.Je me propose de remplir ce devoir après le déjeuner, que je vousprie humblement, comme chaque jour, de partager avec mon Amalia etmoi-même.

Il décocha un regard attendri à sa compagne,dont la silhouette rappelait plutôt la silhouette d’une coupole,que celle d’une frêle créature féminine.

Ceci l’empêcha de remarquer le sourire fugitifqui se posa sur la bouche de la jeune fille. Il est vrai que s’ill’avait vu, il n’en aurait pas été plus avancé pour cela, Je levoyais, moi, et ma tête eût-elle été en jeu, il m’eût étéimpossible d’en déterminer le sens.

– Dans les jours d’épreuves, psalmodiaavec une étonnante conviction Miss Ellen, il est doux de s’appuyersur des amis pitoyables et bons. C’est vous dire combien nousserons heureux de nous trouver en compagnie de Frau Amalia Logrestet de vous-même.

Les deux obèses personnages s’inclinèrent,évidemment ravis, et le déjeuner commença. Il m’a laissé lesouvenir d’un certain poisson fumé, genre haddock, à la gelée degroseilles, qui me tourmenta depuis, apparition horrifique, dansmes nuits de cauchemars.

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