L’Espion X. 323 – Volume II – Le Canon du sommeil

Chapitre 14CONVERSATION AVEC UN TUBE D’HYDROGÈNE

Aucune des prévisions de miss Ellen ne devaitêtre démentie.

Quarante-huit heures plus tard, le princeStrezzi, ayant quitté Berlin en toute hâte, au reçu de la dépêchedu gouverneur Logrest, arrivait à bord de son dirigeable qu’ilavait rallié à Vienne.

Au milieu de la nuit, on nous réveillaitbrutalement, on nous ordonnait de nous vêtir, de boucler nosvalises.

On nous traînait, bien plus qu’on ne nousconduisait, dans la nacelle dont le compartiment n° 3enfermait ce terrible engin dénommé le Canon du Sommeil.

Et pourtant, dans le désarroi de ce réveilnocturne, de cette hâte inquiète que l’on sentait dans tous lesmouvements, dans la rudesse des ordres, miss Ellen trouva le moyende me glisser à l’oreille :

– Nous partons pour l’usine de mort…Regardez Strezzi comme il interroge anxieusement la nuit autour denous… Savez-vous pourquoi ? Eh bien je vais vous le dire. Ilpense, comme moi, que les yeux de X. 323 assistent à sondépart.

Terrible petite Ellen, allez ! Cetteconfidence me valut un léger frisson dans le dos. Après tout,peut-être aussi provenait-il de la fraîcheur de la nuit, fraîcheurà laquelle on est très sensible alors que l’on vous a réveillé ensursaut.

Un bourdonnement. C’est le moteur qui se meten marche. Les deux sœurs se sont retirées dans le compartimentclos n° 2, la cabine.

Strezzi demeure invisible. Je reste seul,adossé au compartiment n° 3, au-dessus duquel, maintenus parles cordages, se balancent quatre gros tubes d’aluminium contenantla réserve d’hydrogène, destinée, le cas échéant, à suppléer lespertes subies par l’enveloppe de l’aérostat.

Nous avions monté avec rapidité. Le château deGremnitz, les lumières marquant le tracé des rues du bourg, toutcela était devenu invisible ; au vent qui me fouettait lafigure, je comprenais que le dirigeable marchait à grande vitessedans une direction qu’il m’était impossible de déterminer. Jen’avais plus à ma disposition la boussole de X. 323.

Et je m’étais senti très assombri, par une deces réflexions intempestives qui se formulent toujours dansl’esprit à l’heure où il serait avantageux de penser à tout autrechose.

Je m’étais dit :

– Miss Ellen avait peut-être raison auchâteau. Les yeux de X. 323 pouvaient assister à notre départ.Je ne vois ni d’où ni comment. Mais enfin cela est possible.Seulement, à présent, ce ne sont pas seulement des yeux qu’il luifaudrait, mais aussi des ailes. Autant que mes entrevues avec luim’aient laissé un souvenir de sa personne, il n’était pas muni deces appendices empennés qui différencient l’hirondelle du lapin degarenne.

– Si je savais seulement au-dessus dequel pays nous flottons, moins que cela encore, la direction denotre marche ?

J’avais formulé ce vœu à haute voix.

Et, vous allez croire que je deviens fou, levent susurra à mon oreille cette indication précise :

– Sud-Ouest quart Ouest.

Je fis un saut… Je me frottai lesoreilles ; mes yeux parcoururent autour de moi un cercle.Rien ! J’étais seul. Humph ! Je n’en doutais pas,seulement je regardais quand même.

J’avais eu un bourdonnement du pavillonauriculaire, de la trompe d’Eustache, ou des osselets voisins dutympan. Voilà ce que je me dis d’abord, mais je dus reconnaître quej’avais les bourdonnements d’oreilles tout à fait extraordinaires,quand je perçus distinctement mon nom chuchoté dans lanuit :

– Ici, Max Trelam !

Cela devenait inquiétant, d’autant plus quecela s’accentuait encore.

– Sir Max Trelam, approchez-vous dutube-réserve d’hydrogène n° 1, afin que je puisse vous parleraussi bas que possible.

J’ai déjà dit qu’au-dessus du toit ducompartiment n° 3, quatre tubes se balançaient, maintenus pardes cordages.

Je regardai le plus proche, celui quis’intitulait n° 1, prodigieusement interloqué, vous le pensez,par le tube d’hydrogène qui me conviait à jouir de saconversation.

– Plus près, me souffla-t-il.

Il n’y avait pas de doute. Les parolesvenaient de ce damné tube.

J’adore les contes de fées, mais naturellementje ne leur donne pas la même créance qu’aux vérités mathématiques.Je ne supposai donc pas un instant qu’un tube d’aluminium pûtconverser, et dans mon cerveau se formula aussitôt cette réflexionsensée :

– Ah ça ! Quelqu’un est enfermé dansce tube… Oui, il est de diamètre suffisant pour qu’un homme s’yrepose…

Mais à l’instant une autre réflexion, nonmoins sensée, surgit.

– Seulement, l’hydrogène est un milieuimpropre à la vie. S’y plonger conduit en quelques minutes àl’asphyxie. Quel est donc le personnage paradoxal qui sembleparfaitement à l’aise dans ce milieu délétère ?

En tout cas, cet… inconnu était un liseur depensées, car il sembla répondre à la mienne en disant :

– Il n’y a pas de gaz, vous le devinezbien… J’en ai débarrassé le tube avant de m’y introduire…

– Vous y introduire, pourquoi ? Dansquel but ?

– Le fauve que je chasse, me répliqua lavoix, vous conduit à son repaire. Je suis celui qui veut connaîtrece repaire.

– X. 323, murmurai-je comme malgrémoi.

Quel autre que lui aurait pu rêver et réalisercette suprême et folle audace de s’enfermer à bord de l’aérostat deson ennemi pour surprendre son secret.

Je fus un moment comme anéanti. J’admiraisl’imprévu du procédé. Qui soupçonnerait jamais pareilletémérité ? Témérité n’est pas juste. Je reconnais que personnene songerait à pareil procédé d’investigation, c’est donc qu’il estmarqué au coin de la plus parfaite raison.

Lui cependant me renseignait avec ladésinvolture d’un gentleman qui, après un excellent dîner au Royal,déambule au bras d’un ami dans Regent’s-Circus.

– Vous direz cela à mes sœurs, quand vousaurez quitté le ballon. Pas avant, je craindrais qu’ellestrahissent leur joie… Ceci convenu, j’éclaire le reporter indiscretque vous êtes. J’ai attendu le jour du départ sur Berlin du sieurStrezzi, pour réaliser mon évasion. Vous concevez lepourquoi ? Il devait, d’après mon raisonnement, revenir deBerlin à Vienne, qui est le garage normal de son dirigeable. Celame donnait le temps d’arriver avant lui dans cette dernière ville.Une fois là, ce me fut un jeu de fermer les yeux du gardien duhangar-garage. Ces yeux-là ont toujours une soifprovidentielle pour les gens comme moi. Vous saisissez. Jedécapuchonnai l’un des tubes, je laissai le gaz hydrogène, beaucoupplus léger que l’air, monter vers la toiture, et je le remplaçaipar ma personne, agrémentée de pain et d’un peu de liquide. Jeremis bien entendu le capuchon de façon à respirer à l’aise. Moncalcul s’est trouvé juste. Strezzi a rallié son ballon, y a chargéles prisonniers laissés à Gremnitz, et il va les enfermer dansle seul endroit où il les croira en sûreté, l’usine où ilfabrique la mort, cette usine que lui-même va me révéler.

– Miss Ellen avait fait le mêmeraisonnement.

– Oui, oui… cela doit être. Cette enfanta le don de la déduction. J’ai trouvé fort bien son idée decommuniquer avec moi au moyen de Martza. Mais on peut noustroubler, il faut que je me presse. Vous savez tout ce qu’ilimporte pour le moment. Je vous dirai le détail quand nous nousreverrons. Une prière. Au moment de l’atterrissage, on vous banderales yeux pour vous conduire à l’usine souterraine.

– Comment pouvez-vous affirmer cela,m’écriai-je étonné par ces précisions ?

– Comprenez donc que je suis à mon postedepuis vingt-quatre heures. On ne se défie pas d’un tubed’hydrogène et l’on y entend beaucoup de choses. J’en ai entenduassez pour désirer quitter mon « compartiment » sans mefaire prendre. Vous m’aiderez sensiblement en débarquant avec leplus de maladresse possible… Au besoin, tombez à terre… Cela attirel’attention, vous comprenez. Voilà. J’ai fini… Allez rêver un peuplus loin. Je redeviens tube et par conséquent muet.

Le ton était sans réplique. Au surplus desombres s’agitaient à l’avant de la nacelle. Je reconnus Strezzisortant de la chambre du personnel.

J’allai à lui. J’avais l’obsession que si jedemeurais en place, mes regards, mes gestes, appelleraientforcément l’attention du vilain personnage sur le cylindremétallique enfermant X. 323.

Cela se dissipa de suite. Strezzi me vit etd’un ton autoritaire :

– Sir Max Trelam, me dit-il, veuillezavertir vos amies,il appuya ironiquement sur ces deuxsyllabes, qu’elles vont quitter sous peu cet aérostat. Qu’elles sepréparent à se laisser couvrir le visage du masque que vousconnaissez déjà, et à obéir aux ordres qui leur seront donnés.Dites-leur bien que j’ai épuisé toute ma patience àGremnitz… ; qu’elles y prennent garde.

Je m’inclinai sans répondre. Le fauve montraitles dents. Il convenait de ne point se faire dévorer avant que lechasseur, tout proche dans son tube, eût jugé le moment venu del’abattre.

Et je rejoignis les deux Tanagra dans lacabine.

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