L’Espion X. 323 – Volume II – Le Canon du sommeil

Chapitre 4LA MODE MACABRE S’ACCENTUE

Désormais, mon imagination allait accompagnerX. 323 et la belle Tanagra, emportés dans une lutteextraordinaire contre un… inconnu dont il m’était impossible dedeviner la nature.

Durant les mois qui suivirent, les faits sesuccédèrent épaississant sans cesse le mystère, amenant peu à peul’Europe à un état de malaise anxieux, que la presse traduisait parles plus violents appels à la vigilance des gouvernements.

La vigilance, mot vague, de sens imprécis. Quepeut la vigilance contre l’inexplicable ?

Mais les appels de ce genre sont un bon moyende capter la confiance du public.

Les peuples sont des enfants. Est-ce là lefond de la nature humaine ?

Les gouvernements, naturellement, annoncèrentqu’ils ouvraient des enquêtes, cela est plus facile à ouvrir qu’unehuître pied de cheval, mais la mort hilare sembla sesoucier de cette ouverture comme un policeman d’un verre d’eaupure.

Le 3 Mars, la superbe nourrice qui allaitaitla fillette de sa Majesté Wilhelmine, reine de Hollande, étaitdécouverte, morte de rire, dans la chambre où elle aurait dû passerla nuit auprès de la petite princesse héritière.

Un hasard seul avait sauvé cette dernière qui,souffrant de la dentition, avait inquiété sa maman,S. M. Wilhelmine, et avait décidé cette royale et joliemaman à garder l’enfant dans ses propres appartements.

Faute de cet accroc à l’étiquettenéerlandaise, le prince consort allemand, époux de la reine, eûthérité des droits à la couronne des Pays-Bas.

Ainsi, le crime de Trieste, commis sur undéputé italien irrédentiste avait paru de nature à profiter à lamaison d’Autriche.

Le trépas des délégués russes de Moscousemblait avantageux pour l’autorité ecclésiastique duSaint-Synode.

L’attentat de Hollande, commis à la Haye,paraissait servir les intérêts de l’Allemagne, représentée dansl’espèce par le prince consort.

Comme on le voit, chaque étape de l’affaireaugmentait les ténèbres.

Le rire homicide s’abattit sur lesleaders socialistes des différents pays.

Le 27 mars, El señor Romero, chef desrépublicains espagnols, succombait à la gaieté mortelle, àBarcelone, dans la logette du téléphone.

Le 6 avril, les chefs de la « Socialefrançaise », Gaurès, Juesde et Airvé, déjeunant ensemble aupavillon Henri IV à Saint-Germain, sautaient, au milieu d’un éclatde rire, de la table dans l’éternité.

Le 15 du même mois, c’était le tour deColebridge et de Jakson, les guides écoutés destrade-unions britanniques.

Le 21, Rebel, chef de laSocial-Démocratie allemande, succombait avec son cocher,dans la voiture qui le promenait, à Berlin, parmi les ombrages duparc de Thiergarten.

Et comme les journaux d’opposition de toutesles nations, s’inspirant du vieil adage juridique : lecoupable est celui qui bénéficie du crime, se livraient à unchœur accusateur, mettant sur la sellette les ministères espagnol,français, anglais et allemand, voilà que, les 3 et 17 mai, deuxmorts foudroyantes rappelèrent l’attention sur les menacesmilitaires de la Triplice, sur les agissements politico-religieuxdu Saint-Synode.

Le 8, M. Gustave Ledon, l’illustrephysicien français qui, quinze jours auparavant avait fait àl’Académie une communication, dont toute l’Europe avait retenti,trouvait la mort riante dans son laboratoire.

Sa communication ayant trait à la projectiondes ondes hertziennes déterminant la production d’éclairs surtoutes les surfaces métalliques, et ayant pour effet desupprimer les armées telles qu’elles sont comprises etéquipées actuellement, tout naturellement on vit dans sontrépas, la main de la Triplice, qui n’existe que par sonarmée.

De même, on mit en cause le Saint-Synode,quand, le 17, le romancier russe Georki, ayant osé écrire que,le rôle de l’Église étant exclusivement spirituel, les popesdevraient être déférés aux tribunaux lorsqu’ils incursionnent dansle temporel…, fut découvert déjà froid, contorsionné parl’épouvantable hilarité, dans le modeste cabinet de travail où ilconfiait sa pensée au papier.

Seulement, l’accusation avait beau planer surla carte d’Europe, personne ne pouvait expliquer la gaieté macabrefigée sur les traits des victimes.

Brusquement, le 11 juin, une lettre de la« Tanagra ». La voici :

« Je vous assure, ami, une avance devingt-quatre heures sur tous vos confrères.

« Avant-hier, à Freiburg-en-Brisgau, oùil était en villégiature dans sa famille, Josephel Sternaü,secrétaire à la chancellerie allemande, a été trouvé évanoui sur laroute de Bâle.

« Ceux qui l’ont découvert ont cherché àpénétrer son identité. Ils ont, à cet effet, exploré leportefeuille qu’il avait en poche, et y ont trouvé des cartes devisite à son nom.

« Mais en même temps, ils purent lire la« note » suggestive que je vous transcris ici mot pourmot.

« RÉCAPITULATION (Canon du sommeil)

« 16 Janvier. – Achilleo Revollini –Trieste – scarlatine bénigne – expérience satisfaisante –coefficient 14.

« 12 Février. – Les délégués de la Douma– Moscou – Typhus morbus – expérience médiocre – coefficient11.

« Reconnu porosité négative –modifié proportions alliage – cela doit aller mieuxmaintenant.

« 3 Mars. – Nourrice La Haye – pestebubonique – princesse sauve pour fait de hasard non imputable àcanon – expérience parfaite – coefficient 18.

« 27 Mars. – Romero – Barcelone – variole– parfait – chiffré : 19.

« 6 Avril. – Socialistes français –Saint-Germain, – typhoïde – parfait – 19.

« 15 Avril. – Trade-Unions – Londres –typhoïde – parfait – 19.

« 21 Avril. – Rebel – Berlin – toujourstyphoïde, car il s’agit de ne pas forcer l’attention sur la maladie– la typhoïde vient des fontaines, n’est-ce pas ? – la marcheest parfaite – si le maximum n’impliquait pas prétention, jedonnerais le coefficient 20.

« 3 Mai. – Gustave Ledon – Paris –typhoïde – très bien.

« 17 mai. – Georki – Varsovie – typhoïde– 20.

« Observation. – On est sûr de déchaînerla peste ou le choléra à volonté. Remarquer l’avantage de l’éclatde rire final. Il a hypnotisé l’opinion, et l’on ne fait plusattention aux épidémies subséquentes.

« Josephel Sternaü, revenu à lui, amanifesté un prodigieux étonnement, quand on lui a présenté la ditenote.

« Il a affirmé, sous la foi du serment,que jamais il ne l’avait eue sous les yeux ; que jamais il nel’avait enfermée dans son portefeuille.

« Et comme on l’interrogeait sur la causede son évanouissement, il déclara n’y rien comprendre. Il étaitsorti le matin, pour se livrer à la promenade en attendant l’heuredu repas. Tout à coup, il avait senti comme un léger choc auvisage ; un choc, non, moins que cela, un frôlement et puis ilne se souvenait de rien autre…

« Ceci fera bien dans le Timesde demain. Après-demain, tous les grands quotidiensd’Europe publieront la même note.

« Et ainsi les peuples sauront la volontéunique qui a présidé aux crimes passés, qui se prépare à déchaînerde formidables fléaux.

« Tout cela, sans que nousparaissions nous, ce que X. 323 a voulu.

« Une campagne terrible est commencée.Nous vous appellerons, ami. Tenez votre valise prête. Si jesuccombe, je crois que vous penserez parfois sans amertume à votredévouée

« TANAGRA ».

Quand je présentai au « patron »,soigneusement recopiée, la partie de la missive destinée à êtrerendue publique par le Times,je crois bien que dans sonenthousiasme, il me donna l’accolade. Il l’accompagna du reste deces paroles extraordinairement flatteuses de sa part, car il estsobre de compliments.

– Mon cher Max Trelam, vous êtesdécidément un reporter comme je les comprends.

Je n’en tirai aucune vanité, car vraiment,l’intérêt inexpliqué que me marquait miss Tanagra, me transformaiten reporter fainéant ou reporter dans unfauteuil.

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