L’Espion X. 323 – Volume II – Le Canon du sommeil

Chapitre 19LA LETTRE MYSTÉRIEUSE

Tout à coup, par une soudaine projection, mapensée est ramenée des sphères nuageuses où elle se débat. Le crimequi vient de s’accomplir est brusquement reculé au second plan.

Un grand gaillard effaré, ahuri, a faitirruption dans le laboratoire. Ses cheveux blonds, sa barbe épaissesont hérissés.

– Quoi, Hermann ? murmureStrezzi.

Hermann ? Je me rappelle. C’est le nom,je l’ai entendu hier, du gardien de l’entrée de l’usinesouterraine. C’est lui qui habite dans la logette vitrée et dans lasoupente où l’on accède par une échelle. Oui, oui, j’ai remarquéces détails à notre arrivée.

C’est lui aussi qui surveille la boîte auxlettres, dont la présence m’a paru si bizarre au seuil d’une cahutemisérable.

Il brandit un papier :

– Une lettre, une lettre pour sonaltesse, prince Strezzi.

– Eh bien donne-là, fait rudement cedernier. Une lettre n’a rien qui puisse justifier l’agitation où jete vois.

– Si, si, altesse, balbutie Hermann… Celajustifie… Votre altesse ne sait pas…

– Ne sait pas quoi, butor ?

– Je parle, je parle, que votre altessene s’irrite pas… La boîte aux lettres, vous vous souvenez ; onne peut y glisser une correspondance, sans établir un contactélectrique, cela actionne une sonnerie… Je suis prévenu ainsi, etde l’intérieur, grâce au jeu de glaces, je puis voir celui ou cellequi a déposé le papier.

– Oui, eh bien ?

– Eh bien, la sonnerie n’a pas résonnédepuis que Herr Goertz est rentré de permission… Il a sonné,puisque je lui ai ouvert, n’est-ce pas ?… Je l’affirme sur matête… Et je viens de trouver cela dans la boîte.

Strezzi hausse violemment les épaules.Évidemment il doute de la vigilance d’Hermann ; pourtant il nedit rien.

À quoi bon ! Il prend la lettre,l’ouvre ; mais à peine y a-t-il jeté les yeux qu’il a uncri.

– X. 323 !

Tous, nous sursautons. Ce nom, jeté dans lesilence, a bouleversé tout le monde.

Mes compagnes et moi avons l’impression quenous serons vengés !

Strezzi et ses acolytes ont peur. Je lereconnais à leurs regards effarés, à leurs attitudes inquiètes defauves à l’approche de la meute.

Et lui, comme poussé par une force dominant savolonté, lit les lignes suivantes :

« Tous les atouts semblent dans votrejeu. Ils semblentseulement.

« Comme preuve, je vouspréviens, conformément à mes habitudes de loyauté que, ce soir, àminuit, j’entrerai dans votre laboratoire.

 

« J’espère que vous m’y attendrez avecvotre complice Morisky, pour entendre à quelles conditions jeconsens à traiter avec vous.

« Je vous laisse libre de prendre toutesles précautions que votre terreur vous suggérera. Je vous avertispourtant que rien ne m’empêchera de faire ce que j’ai résolu.

« Signé : X. 323 ».

Tous courbaient la tête, jetant à la dérobéedes regards apeurés autour d’eux. Cela était tragique de constaterainsi la puissance de l’homme remarquable dont le hasard ou laprovidence m’avait fait l’ami.

Un chiffon de papier, sur lequel sa main avaittracé quelques lignes, et les criminels exceptionnels qui noustenaient en leur pouvoir frissonnaient d’épouvante.

Enfin Morisky, qui seul a conservé quelquesang-froid, émet cette supposition :

– Pour annoncer aussi affirmativement sonentrée à minuit dans le laboratoire, X. 323 doit être assuréqu’aucune précaution ne saurait l’empêcher d’y pénétrer.

– Que voulez-vous dire,Morisky ?

À la question de Strezzi, le savantréplique :

– Je veux dire que, dès maintenant, ilest caché, quelque part, dans le méandre des couloirssouterrains.

Et un murmure terrifié accueillantl’hypothèse, le féroce microbiologiste ajoute d’un tondédaigneux :

– Haut les revolvers, mes enfants.X. 323 est bien habile, mais je n’ai jamais ouï dire que sonépiderme fut à l’épreuve de la balle.

Atroce bonhomme. Il souffle sur mes espérancesqui s’écroulent comme un château de cartes.

C’est vrai, ils sont… Combien sont-ils ?Neuf ouvriers, le concierge Hermann, Goertz, Morisky, Strezzi…Tiens, ils sont treize exactement… Cela porte malheur, disent lesgens superstitieux… Malheur, à qui ? Je tremble que ce soit àmon… beau-frère, seul en face de treize revolvers que les banditstiennent à présent à la main.

Cela leur a rendu du ton de sentir sous leursdoigts des armes fidèles, incapables de trahir leur maître.

Chacun a foi dans les cinq ou six cartouchesqu’il a à sa disposition. Chacun se dit que, sa main ne tremblantpas, il tient cinq ou six fois la vie de X. 323 à samerci.

Malheureusement, moi aussi, je me dis cela…Sur le visage de miss Tanagra, je lis la même impressiondécourageante.

Je reporte mes yeux sur sa sœur.Étrange ! Miss Ellen sourit.

Elle a confiance, elle… Elle ne doute pas dela victoire de son frère…

– S’il est dans les grottes, il fautforcer X. 323 à se montrer avant l’heure fixée.

Hein ? Qui parle ? Ah ! ma foi,c’est le prince Strezzi. Ses aides le considèrent. On devine que laparole de leur chef a éveillé en eux une espérance.

Il a un ricanement sinistre, en vérité. Est-cequ’il aurait trouvé le moyen de faire pièce àX. 323 ?

– Eh ! Eh ! plaisante-t-il, X.323 est stoïque lorsqu’il s’agit de lui-même, mais sa tendressefraternelle me l’avait déjà livré une fois… Voyons donc si elle adiminué depuis qu’un mariage a uni nos deux familles.

Le revolver au poing, il va vers la porte dulaboratoire, l’ouvre brusquement et il clame au dehors, de toute laforce de ses poumons :

– Je convie X. 323 au drame qui vas’accomplir.

Sa voix, enflée par les résonnances des sallessouterraines, a roulé de crevasse en crevasse. Les ondes sonoress’entrechoquent avec un bruit de torrent bondissant sur un litrocheux.

Tous les revolvers sont maintenant braqués surla porte dont le rectangle se découpe sur le noir de lacaverne.

Mais rien ne répond à l’appel du prince.

Alors, celui-ci, toujours forçant sa voix,clame :

– Goertz, prenez une pipette d’acidesulfurique. Nous en verserons quelques gouttes dans les beaux yeuxde miss Ellen. Voyons un peu si X. 323 laissera aveugler sasœur.

Un silence de mort accueille cet ordre.

Les bandits peut-être sentent que leurférocité est faible en regard de celle à qui ils sont inféodés.

Je crois bien que le contremaître Goertz,lui-même, a un vague mouvement de recul.

Je n’affirme pas. Je ne suis pas en étatd’observer.

Aveugler miss Ellen, éteindre les alguesmarines de ses yeux… Ah ! mon cœur, mon cerveau, sont emportésdans un tourbillon de haine contre le bourreau, de désir éperdu desauver la victime.

À cette heure, révélation subite,irrésistible, étoile lumineuse jaillissant d’un chaos, je sens, jecrois, je sais que c’est elle que j’aime. Le crime a chassé mesindécisions sentimentales…

Entre les deux épreuves identiques de lafiancée bien-aimée, l’imminence du péril m’a fait choisir.

Et je fouille dans ma poche ; j’enextrais mon couteau albanais. D’un élan furieux, je me rue sur leprince. Je frappe de toute ma puissance musculaire…

Tout cela est rapide comme la foudre, et… jeme trouve stupéfait, déconcerté, étreignant le manche de mon armedont la lame s’est brisée net.

Tandis que Strezzi, lequel a chancelé sous lechoc, arrête d’un geste ses complices prêts à se jeter sur moi, ilme lance, suprême ironie, cette explication qui m’accable.

– Pensiez-vous donc que je me promenaisen votre compagnie sans prendre, les plus élémentaires précautions.J’ai une cotte de mailles, sir Max Trelam, et voyez le bouffon del’aventure ; cette cotte qui me protégea contre le couteaud’un Anglais, est de fabrication anglaise, made inEngland, sir Max Trelam.

Qu’allais-je répondre, poussé au paroxysme del’exaltation par la raillerie de cet exécrable individu… Je nesaurais avoir une idée précise à cet égard.

Il est vraisemblable, toutefois, que j’auraisété ridicule.

On l’est toujours quand on menace l’ennemi quel’on est incapable d’atteindre.

Ce fut le nommé Goertz qui m’évita cettenouvelle humiliation.

– M’est avis, prononça-t-il, que le sieurX. 323 ne se présentera pas avant l’heure indiquée par lui…Remettons donc l’application du collyre au vitriol à ce soir. Celadonnera du mouvement à la conversation… Et puis, si mes chersseigneurs Strezzi et Morisky veulent bien prêter l’oreille à uneproposition, je crois que nous serons en mesure de déclarer à cedigne X. 323 que nous lui accorderons notre absolution s’ilconsent à absorber la lèpre de bonne volonté.

Il riait affreusement, ce répugnantGoertz.

Sans doute ses chefs avaient confiance dansses facultés nocives, car Morisky approuva du geste, et Strezzicommanda :

– Reconduisez les prisonniers à leurappartement et revenez tous ici.

On nous entraîna au dehors, ainsi qu’ill’ordonnait.

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