L’Espion X. 323 – Volume II – Le Canon du sommeil

Chapitre 9MISTRESS DILLYFLY M’ÉTONNE À SON TOUR

Saprelotte, ma nouvelle campagne d’espionnages’annonçait plus mal que la première.

Certes, j’avais rencontré dans celle-ci, unefoule de choses pas très claires, surtout au début ; maisvraiment ma journée était trop féconde en incidents étranges.

Mon itinéraire, modifié sans que je sussepourquoi, avait commencé la série.

Puis la disparition de cette miss Ellen, sosiede la Tanagra, sosie rieur, oui, mais enfin rieuse ou mélancolique,les deux personnes avaient des traits identiques.

Et pour brocher sur le tout, cet Agathas Blockqui venait se jeter dans mes jambes, non pas hélas sanscrier : gare ; mais tout au contraire, encriant : gare, de façon inquiétante pour le succès de monexpédition.

Dans quarante minutes, nous entrerions dans leport de Boulogne. Selon sa promesse, ce diable d’homme medemanderait ce à quoi j’étais décidé ; et alors…

Là-bas, en avant, j’apercevais le rayontournant des feuxqui marquent l’entrée du chenal. Ilsm’avertissaient qu’auprès d’eux expirait pour moi la liberté dediscuter. La décision s’imposerait. Satanée décision !

Oui, j’entends bien les gens à solutionssimples. Avec un revolver, on peut toujours se débarrasser d’uncompagnon gluant. Sans doute, sans doute, mais cela constitue unassassinat. Or, un assassinat, indépendamment des tracasserieslégales qu’il entraîne, exige un entraînement spécial, que dis-je,une « capacité » particulière de l’individu quiy recourt.

À mon sens, on naît assassin, comme on naîtroturier ; on ne le devient pas.

Et dame, ma naissance me paraît avoir laissébeaucoup à désirer à ce point de vue.

J’en étais là de mon monologue intérieur, quion le voit, n’était pas très avancé, quand une voix me rappela ausentiment que l’homme n’est point seul au monde.

– Je demande le pardon, disait-elle, maismes « canaris » aiment seulement le chocolat enpastilles… Le buffet ne tient pas les pastilles… et les pauvrespetits souffrent. Alors je prends l’audace de demander à toutes lespersonnes : Vous n’auriez pas sur vous des pastilles dechocolat ?

Je regardai qui m’abordait ainsi… C’étaitmistress Dillyfly.

Ma remuante compatriote avait conservé soncache-poussière, son voile bleu ; seulement elle s’étaitaugmentée d’une minuscule cage qu’elle élevait à hauteur de mesyeux, pour me permettre probablement de distinguer deux« canaris » qui voletaient ahuris, bien plus désireux enapparence de tranquillité, que de chocolat.

J’esquissai un geste vague. Non, je n’avaispas en ma possession les pastilles réclamées. La dame le comprit,car elle prit une mine attristée.

– Vous n’avez pas. Cela est tout à faitregrettable. Je présente le pardon. Chers petits oiseaux, sachezdire le good-bye au gentleman.

Elle portait la cage maintenue par sa maingauche, tout près de mon visage ; mais en même temps, sadextre s’appuyait sur ma poitrine, à hauteur de la poche extérieurede mon pardessus, et d’une voix basse, rapide, qui me sembla ne pasappartenir à la même personne, elle prononça :

– Dans la poche, un papier à lire avantBoulogne. Silence. La mort plane.

Avant que je fusse revenu de ma stupéfaction,la bizarre lady s’était éloignée et elle sollicitait des pastillesde chocolat pour ses « aimés canaris » d’uneautre passagère qui se promenait sur le pont.

Je jetai un regard circulaire autour de moi.Aucune silhouette rappelant celle d’Agathas Block. Le faquin tenaitparole. Il ne me surveillait pas jusqu’à l’arrivée en France.

Néanmoins, impressionné par l’étrangeavertissement de Mrs. Dillyfly, et surtout par le timbre, parl’accent de la voix que je me figurais avoir entendue déjà, jegagnai une de ces cabines, mises gratuitement par l’administrationdu « passage » à la disposition des voyageurs à l’estomacdesquels la mer n’est point clémente… Dans ce réduit, où du moinsje me trouvais à l’abri des regards, j’enflammai uneallumette-bougie, je fouillai dans une poche où mes doigtsrencontrèrent un papier, et ce papier déplié, je lus ces lignestracées au crayon :

« À l’arrivée à Boulogne, acceptez lasociété d’Agathas Block. On vous délivrera demain. Ayez soin derégler votre dépense au fur et à mesure à l’hôtel, d’avoir votrevalise prête, afin de pouvoir partir au signal donné, sans perdreune seconde. La réussite tiendra à la rapidité de lamanœuvre ».

Pas de signature ; écriture inconnue. Autotal : un mystère de plus.

Qu’est-ce que c’est que cette Anglaise ?Que signifient ces paroles : la mort plane, que l’on croiraitempruntées au répertoire mélo dramatique du Strand, notreAmbigu-Comique à nous ?

Nous serons à Boulogne dans vingt minutes. Ilfaut que je lui aie parlé auparavant.

Je veux bien que l’on me délivre d’AgathasBlock, mais encore je désire savoir à qui je serai redevable de malibération.

On ne tient pas à être l’obligé de n’importequi, tout le monde conçoit cela.

Ayant ainsi pensé, je sors de mon retiro, nonsans avoir déchiré l’avis énigmatique, dont je précipitai lesmorceaux à la mer, et me voici parcourant le pont, à la recherchede la Mrs. Dillyfly.

Au passage, j’aperçus Agathas Block deboutprès de la coupée. Me vit-il ? Je le suppose ; mais iln’en fit rien paraître et continua de regarder dans la direction duport, dont les feux et même les réverbères devenaient perceptiblesdans la nuit.

J’avais parcouru le navire de bout en bout. Lerenflement d’un bar-buffet me masquait l’endroit où j’avais laisséAgathas.

Soudain une porte du bar s’ouvrit, jetant surle pont une bande lumineuse, et, dans cette clarté, apparut celleque je cherchais.

D’un mouvement rapide, elle écarta le voilebleu qui masquait son visage ; dans l’auréole de tulle,j’aperçus les traits de la « Tanagra ».

Preste, elle porta l’index à ses lèvres, dansle geste éloquent du silencieux Harpocrate, puis me frôlant aupassage, son voile déjà retombé sur l’adorable vision, ellemurmura :

– Pas un mot… Ce serait nouscondamner.

Et comme je demeurais stupide, médusé, elledisparut sans que je pusse m’expliquer comment.

Seulement à présent, toutes mes hésitationsavaient cessé. C’était elle qui me débarrasserait d’Agathas… Je neme sentais aucune répugnance à lui vouer un sentiment degratitude.

Par pensée réflexe, je songeai à lapensionnaire de l’institution Trilny, mais ma conviction de laressemblance parfaite entre l’élève disparue et la Tanagra nem’apparut plus aussi absolue.

La sirène meuglait, annonçant l’entrée de la« Marguerite » dans le port. Le steamer en effetembouquait le chenal entre les estacades.

J’entrai au bar, je fis prix avec un desbarmen pour qu’il portât ma valise à l’hôtel Royal, puistranquille de ce côté, je me dirigeai vers la « coupée »,où déjà se pressaient les passagers pressés de débarquer.

Agathas Block me regardait venir.

Quand je fus auprès de lui, il demandapaisiblement, du ton d’un personnage qui continue une conversationamicale, ce qui démontrait de sa part une inconsciencedéplacée.

– Eh bien, mon cher grand confrère…Consentez-vous à me permettre de me tailler un gilet dans votremanteau de gloire ?

– Il le faut bien, répondis-je affectantla résignation.

– Quoi vraiment ?

– Je descends à l’hôtel Royal, où je neme fâcherai pas de vous voir.

– Nous ferons route ensemble.

– Si vous le désirez.

Ma facilité sembla l’inquiéter. Il meconsidéra en-dessous.

– Oh ! oh ! reprit-il entrehaut et bas… Vous supposez donc que vous pourrez me« semer » ?

– Vous êtes indiscret, mon cher confrère.Je vous autorise à être mon ombre, selon votre heureuseexpression ; mais je n’ai pas à confier ma pensée à uneombre.

Cela provoqua chez lui un éclat de riresonore.

– Rien… bien… L’important est que nousmarchions de conserve sans nous quereller. Je pense d’ailleurs quevous ne réussirez pas à m’échapper… Oh ! je ne doute pas devotre adresse ; mais je suis certain de la mienne.

Et avec abandon :

– Au surplus, vous me remercierez à unmoment donné ; car je vous ferai voir quelque chose qu’il vousserait impossible de voir sans moi.

Il passa familièrement sa main sous monbras.

– Vous permettez. Je craindrais de vouségarer dans la bousculade du débarquement. Vous m’avez bien dit quevous descendiez à l’hôtel Royal et je ne mets pas en doute votreaffirmation. Seulement, cela est votre volonté en ce moment. Rienne prouve que, séparé de moi, votre volonté ne se modifieraitpas.

Il était à gifler, positivement !

Mais je me remémorai le proverbe commun aux« amis » des deux rives de la Manche :

– Le meilleur rire est à celui qui rit ledernier, côté anglais, et du côté français : Rira bien quirira le dernier.

La promesse de miss Tanagra m’assurait lemeilleur rire. Quand on sait cela, il devient aisé de montrer lapatience, jusqu’à un degré angélique.

Sans doute, Agathas Block me trouva, tropangélique, car il avança les lèvres en une moue grimaçante,hocha la tête d’un air ennuyé et se cramponna plus étroitement àmon bras. De toute cette mimique, j’affectai de ne me pointapercevoir, ce qui redoubla l’inquiétude de mon compagnon.

Nous arrivions au débarcadère. Les amarreslancées aux hommes courant sur le quai s’enroulaient autour des« canons » de fonte, fichés dans la maçonnerie. Lecapitaine du steamer, barrant la coupée de son corps, contenait lespassagers trop pressés.

Enfin le steam ne bougea plus, la passerelleglissa, reliant le pont au quai, et le commandantprononça :

– À votre disposition, gentlemen etladies.

À ce moment, deux barmen s’approchèrent denous. Chacun portait une valise, dont l’une m’appartenait. Jecompris que l’autre avait pour propriétaire l’ennuyeux AgathasBlock, qui avait, tout comme moi, engagé un porteur au bar.

Nous dîmes en même temps :

– À l’hôtel Royal !

– Les garçons répliquèrent :

– Yes.

Et pointant les valises ainsi que des béliersantiques, ils parcoururent la passerelle, au grand dam des jambes,des côtes et des reins des passagers surpris par cette chargeinattendue.

Après quoi, le passage forcé, sans s’inquiéterdes récriminations qui s’élevaient dans leur sillage, ilss’élancèrent à toutes jambes le long du quai.

Du coup, Agathas se rasséréna. Il consentait àcroire que je me rendais à l’hôtel Royal. Et je m’amusai énormémentde sa confiance, à la pensée que je l’y « sèmerais »,comme il avait exprimé lui même l’idée de notre séparation.

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