L’Espion X. 323 – Volume II – Le Canon du sommeil

Chapitre 16LE DRESSEUR DE MICROBES

J’étais dans un état de fatigue, dont lacouchette, principal meuble de ma nouvelle prison, me fitcomprendre l’immensité.

Et comme le meilleur moyen d’être prêt àl’action consiste à conserver ses forces, je ne résistai point àl’appel.

Cinq minutes après que mes gardiens se furentretirés, j’avais pris la station horizontale et je dormais.

Je m’éveillai avec une sensation bizarre.L’air me semblait tenir en suspension des myriades de petitesaiguilles, qui me picotaient les yeux, les narines, les lèvres…

Je me dressai, m’inondai d’eau fraîche. Lasensation persista.

Et je reconnus une odeur typique, celle dutriformaldéhyde, dont l’apôtre fut, si je ne me trompe, un chimistemarseillais du nom d’André Guasco.

La présence de cet antiseptique me futexpliquée de suite par le souvenir de l’endroit où je me trouvais.Dans une usine de microbes, où ces infiniment petits bâtisseurs etdestructeurs de la vie doivent inévitablement pulluler, letriformaldéhyde remplissait les fonctions d’une cuirasse gazeuse,rendant les travailleurs réfractaires aux attaques des vilainspetits vibrions évadés de leurs bouillons de culture.

On frappa à ma porte. Goertz se présenta etm’intima l’ordre de le suivre. Celui-là aussi possédait un airdiabolique, et il me semblait que ses yeux brillaient derrière sesverres rouges ainsi que des charbons ardents.

Au surplus, le personnage eut d’abordl’apparence d’un messager céleste, car il me conduisit dans unesalle souterraine spacieuse, à la voûte ornée de stalactitesdiversement colorées, et où deux ou trois ouvriers soudaient, àl’aide de chalumeaux, les singuliers projectiles remarqués naguèresur l’affût du Canon du Sommeil. Mais ce ne furent pas cescomplices obscurs qui attirèrent mes yeux. Tanagra et miss Ellen setrouvaient là, attendant sans doute ma venue.

D’un même mouvement, elles me tendirent lesmains, et je pressai ces mains fines qu’une angoisse secrèteglaçait.

– Le troupeau est rassemblé, ditgrossièrement Goertz, par file à droite, et marchons serrés !…Voici pour donner des jambes aux traînards.

Il brandissait un de ces fouets à la longuelanière terminée par des grains de plomb, qui ont rendu sitristement célèbres les Cosaques chargés de la police des grandescités russes.

Une galerie s’ouvre devant nous. Nous lasuivons, régalés par les injures de Goertz.

Ce misérable vaurien se figure probablementqu’il manquerait à son devoir de geôlier s’il n’invectivait pas sesprisonniers.

Ah ! l’une des murailles du couloirsouterrain a disparu, remplacée par une cloison dont je nedistingue pas l’autre extrémité se perdant dans l’ombre. Cette foispar exemple, cette clôture est, non pas de bois, mais de plaques defonte boulonnées.

L’odeur du triformaldéhyde se répand plusviolente. Si on en juge par cette recrudescence de parfum, nousdevons être dans le Saint des Saints de ce sanctuaire dumeurtre.

Une porte tourne sans bruit sur ses gonds,laissant passer un jet de lumière verte, trahissant l’action d’uneflamme oxhydrique sur une lamelle de cuivre. Goertzhurle :

– Entrez !

Nous ne nous irritons même plus de sa stupidebrutalité.

Le spectacle que nous avons sous les yeuxabsorbe toutes nos facultés. Nous avons fait quelques pas. Noussommes au centre d’un laboratoire ; mais d’un laboratoiremodern-style, disposé pour l’étude et la pullulation des infinimentpetits.

Tout un côté de la pièce est occupé par unevaste étuve où mijotent des liquides dont la seule vue donne lefrisson. Quelles épidémies grouillent dans ces marmitesvéritablement infernales, quels bacilles virulents, bâtonnets,virgules, chapelets, microcoques ou streptocoques ? Ah !le professeur Morisky, cet insensé sinistre, a eu raison des’intituler l’Attila des microorganismes.

Que sont les conquérants, les grands meneursd’hommes, ébranlant le sol du roulement des chars d’airain, desartilleries formidables, emplissant l’air du bruit des pas desmultitudes entraînées à leur suite, auprès de ce personnage qui, desa main décharnée, sèmera sur les peuples la mort avec del’impalpable.

L’alchimie a suivi la loi de progrès. Lesanciens adeptes ont renoncé à préparer l’Élixir de longueVie ; leurs successeurs eux, débitent l’Élixir debrève Mort.

Ceci est tellement hideux que j’ail’impression que ce n’est pas vrai.

Hélas ! il n’y a de faux que monimpression.

Morisky est là, mirant amoureusement unebouteille de verre plate, sur la paroi de laquelle se détachent desfloraisons violacées… Chacune de ces petites agglomérations est unenation de microbes… C’est l’armée inépuisable qui ira tuer surl’ordre du savant. Près de lui, jouant avec des pincettes de verre,aux pointes effilées ainsi que des cheveux, véhicules menus etfragiles qui permettent de manier les bacilles mortels, le princeStrezzi ricane d’un mauvais rire.

– Ah ! vous voilà !… Je suisravi de vous voir. Vous recevant dans mon usine, vous les premiers…j’aurai la coquetterie de vous convier à la visite dupropriétaire. Vous verrez tout, c’est très curieux… Que degens voudraient être à votre place. Mais voilà, il y a une petiteformalité à remplir… Il faut renoncer à vivre pourconnaître…, comme le dit la Bible. L’arbre de la science coûtela vie à quiconque déguste ses fruits.

Les vieilles histoires de maléfices ne sereprésentent-elles pas à l’esprit. N’est-ce point là l’EspritMalin, marchandant l’urne du pécheur avide des jouissances de labrève existence terrestre ?

C’est cela et c’est pire. Le démon n’était quesymbole. Ici, nous avons en face de nous un être que son apparenceclasse parmi les humains !

Mes compagnes de captivité et moi-mêmerestions médusés. Sans doute elles éprouvaient, comme moi, ledécouragement de l’être exposé à l’inévitable.

Le nageur emporté dans les tourbillons duMaëlstrom ; le malheureux qui, du haut d’une tour, d’unefalaise, tombe dans le vide ; le condamné sous le couperetfatal de la guillotine, savent, que dans un temps trèsbref, qu’il n’est pas en leur pouvoir d’allonger, ils seront noyé,broyé contre terre, décapité. Une résignation fataliste plonge leurvolonté dans le coma. Ils s’abandonnent. Nous ressentions quelquechose de semblable. Le destin pesait sur nous et nous écrasait parsa rigueur.

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