L’Espion X. 323 – Volume II – Le Canon du sommeil

Chapitre 13LA TÉLÉPATHIE PAR RAISONNEMENT

Tout d’un coup, miss Ellen se leva, se jetasur sa sœur, l’enlaça et l’embrassant à pleine bouche, elle murmuraces paroles qui nous pétrifièrent littéralement.

– Eh bien ! petite sœur chérie, tuvois bien que tu avais tort de me tenir à l’écart ; moi aussi,je puis être espionne.

Espionne ! Dans sa bouche, le mot prenaitune acception héroïque et tendre. Cela signifiait :

– Ce que le monde niais vous reproche,moi aussi je le fais. Je veux partager le reproche avec vous quej’aime. Je ne veux pas être la seule non marquée de la flétrissurequi, à mes yeux, vous honore.

Seulement pourquoi se parait-elle de ce titregénéralement peu envié ?

Elle vit que nous nous interrogions du regard,et retrouvant toute sa bonne humeur, elle se pencha entre nousdeux, chuchotant :

– Voyons, tu n’as pas vu que je dirigeaisles Logrest suivant les indications de notre frère ?

– Suivant les…, balbutiâmes-nous tousdeux ?

Et miss Tanagra ajouta :

– Mais comment as-tu communiqué aveclui ?

– Vous l’avez vu, par Martza.

– Elle trahissait donc ses maîtres.

– Mais non… Elle était le messagerinvolontaire, comme Mlle de Holsbein à Madrid.J’ai lu les articles de sir Max Trelam et « le bongrain » a poussé.

Et notre ahurissement s’accentuant encore, lajeune fille fut reprise d’un accès de gaieté. Ah ! le jolirire, cristallin, musical, s’égrenant en gammes harmonieuses.

Mais elle se domina vite.

– Alors, il faut donc que je détaille.J’en suis très fière, tu sais, ma chérie. Penser que toi, et qu’ungrand reporter comme sir Trelam, vous ne voyez pas clair en moi,vous des perceurs de secrets ; c’est tout à faitflatteur pour une petite pensionnaire… Ne vous impatientez pas, jecommence ma confession.

Et le sourire aux lèvres, ses grands yeuxsemblant distiller une lueur joyeuse :

– Vous comprendrez tout de suite que, apriori, il était évident que notre frère songeait à s’évader. Unepersonne au secret ne peut pas avoir d’autre préoccupation.

Nous opinâmes d’un mouvement de tête.

– Bien. Pour s’évader, il fallait d’abordsortir de la tour, du cachot où il était enfermé. Pour s’échapper,il faut toujours, quoi qu’on en dise, le concours, volontaire ounon, d’autres individualités, et pour l’obtenir, il est nécessaired’entrer en relations avec ces individualités.

Nouveau geste approbateur de notre part.

– Dès lors, quand le prisonnier fut prisde cette maladie subite qui nécessitait son transfert àl’infirmerie, je jugeai de suite que c’était là un moyen dequitter le secret.

Nous eûmes, nous, un cri de stupeur. Commentla jeune fille avait deviné cela tout de suite, alors que nous n’yavions rien vu !

– Mais oui, fit-elle en riant… Voyons,notre frère, qui a supporté sans broncher ton mariage avec cetaffreux Strezzi, ne pouvait pas perdre la tête pour une manœuvre dece coquin, beaucoup moins grave en vérité.

– C’est vrai.

La réponse jaillit de nos lèvres en mêmetemps. Nous nous regardâmes, miss Tanagra et moi, tout étonnés quenotre jugement eût été mis en défaut, alors que la jeune filleavait vu juste sans hésitation. Dans les yeux de la Tanagra, il yavait quelque chose de maternellement orgueilleux. Elle étaitheureuse qu’Ellen forçât ainsi mon attention.

– Ceci posé, continua celle-ci, ilfallait l’aider de tout notre pouvoir. Je ne vous ai rien dit, j’aipeut-être eu tort ; mais je voulais tant vous prouver que, moiaussi, je puis être une personne habile à vaincre les méchants.Était-il utile que le médecin vînt ? Ma phrase apprise àMartza contenait le mot. Le lendemain, notre frère avait répondu enrépétant dans son délire apparent ! médecin !médecin ! Krisail est un ivrogne, il fallait l’indiquer à monfrère… De là toute l’histoire du révulsif à l’alcool. Quand ilaffecta de se croire le docteur, c’était me dire qu’il avaitcompris… Et cette nuit, je n’ai pu dormir, parce que jesavaisqu’il agirait, sans pouvoir au juste augurer dequelle façon.

Doucement, Tanagra baisait les paupières de sasœur.

Elle la remerciait ainsi de sa clairvoyance,de son courage, de la force d’âme qu’elle avait montrée en netrahissant pas sa pensée intérieure.

Et mon regard disait les mêmes choses biencertainement, car la jeune fille rougit et cacha son visage surl’épaule de sa sœur, ce qui, je veux tout dire, me causa un plaisirinexprimable.

Pourtant une question encore me vint, au boutde la langue.

– Mais pourquoi insister pour que Strezzisoit prévenu… Plus tard la nouvelle lui parviendra, plus votrefrère aura eu de temps pour dresser ses batteries.

Ceci amena sur son visage un souriredivinement ironique.

– Mon frère ne peut rien faire jusqu’à ceque Strezzi affolé à l’annonce de son évasion, vienne nous chercherici pour nous conduire dans la seule retraite qu’il considère commeintrouvable, puisqu’il sait que jusqu’à ce jour, le terribleX. 323 n’est pas parvenu à la découvrir.

– L’usine où il fabrique la mortpar le rire, fit Tanagra d’une voix sourde.

– Justement, petite sœur aimée, c’est dela logique pure. Je suis certaine qu’aussitôt avisé, Strezzi semettra en route pour nous prendre et nous conduire là-bas.

– Mais cela ne renseignera pas notrefrère, que nous soyions dans ce repaire de l’horreur.

Alors, la jeune fille se redressa, et nousdominant de toute la grandeur de sa confiance dans le pouvoir deX. 323 :

– Oserais-tu l’affirmer, ma sœur ?Notre frère est libre et X. 323 passe pour avoir les yeuxlargement ouverts.

Je m’inclinai machinalement et miss Tanagraqui ne m’avait pas quitté du regard, me prit la main, y glissacelle de miss Ellen, puis doucement :

– Allez causer d’espoir dans le jardin.J’ai désir d’être seule avec la pensée de mon frère que, pour lapremière fois, j’ai omis de servir. Songer à autre chose, je levois clairement à cette heure, est non seulement trahir sa cause,mais le trahir lui-même… La volonté de l’œuvre a cessé uneminute d’être ma dirigeante unique, et nous avons été vaincus.

Elle s’éloigna lentement, une préoccupationpénible crispant son visage. Ellen, elle, me serra la main etm’entraînant vers le perron antique accédant au jardin.

– Venez. Il faut obéir aux ordres d’uneâme qui pleure !

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