L’Espion X. 323 – Volume III – Du sang sur le Nil

Chapitre 15LES YEUX D’OR ! ENCORE LES YEUX D’OR !

J’ai dû me tromper, car le véhicule s’arrêtebrusquement en face d’un mur percé d’une porte de service que jereconnais.

Nous sommes parvenus en arrière des jardinsd’Ezbek. Voici la sortie par laquelle je me suis élancé simalencontreusement à la poursuite de X. 323 et de ma chèreEllen.

Je l’appelle Ellen à présent et je ne douteplus de sa personnalité.

Ma situation dangereuse a chassé de mon espritles suppositions compliquées qui l’assiégeaient.

J’ai un mouvement de surprise. La porte dujardin d’Ezbek est ouverte. Devant la baie sont alignés desMasques d’Or Vert, en qui il me semble reconnaître ceuxque leur chef a éloignés des tombeaux des khalifes, par cetordre :

– Vous, allez à la mission dont je vousai chargés.

Cela doit être, car mon compagnonquestionne :

– Eh bien ?

Les bandits répondent avec une gaieté qui mecause un malaise, sans que je puisse deviner pourquoi.

– L’ouvrage est bien fait.

Alors celui dont je suis prisonnier me touchele bras.

– Descendez.

Je demeure muet, mais j’obéis. À peine ai-jemis pied à terre que deux hommes de l’escorte se placent à mescôtés et posent lourdement leurs mains sur mes épaules.

Le chef s’adresse encore à moi.

– Venez, Max Trelam. Vous verrez commentje punis. C’est encore une des consolations que je vousprodigue ! On se résigne mieux aux circonstances, alors quel’on est amené à les considérer comme inéluctables.

Le sens de ses paroles m’échappe. Il m’annonceque je verrai. Je m’arme de patience jusqu’à l’instant oùil me mettra sa pensée sous les yeux.

Sur ses pas je rentre dans les jardins dupalais d’Ezbek.

Tout est calme, tout est tranquille.Évidemment les habitants ne soupçonnent pas l’invasion de leurpropriété.

Fraü Matilda, le comte Solvonov dorment ;la comtesse Nadia veille, elle, attendant le retour d’Ellen.

Que va-t-il se passer ?

Mon geôlier a parlé de punir. Quipunira-t-il ? De quoi exige-t-il la punition ?

Et tout au fond de moi, il me semble qu’unevoix frémissante me répond :

– Il veut atteindre les Solnovov,coupables de t’avoir donné asile, coupables d’avoir trompé sesconvoitises en se prêtant au jeu du faux brassard aux dixopales.

La chose s’impose à moi ainsi qu’uneévidence.

Le « capitaine » des Yeux d’Or Vert,soit en personne, soit par quelqu’un des siens, a opéré le vol dubrassard dans la salle de bain du comte.

Nous traversons le jardin sans nousdissimuler.

Nous gravissons les cinq degrés accédant à laterrasse, nous pénétrons dans le salon, tout comme le soir où,guidé par Ellen, je me réfugiai dans ce palaisd’asile.

Seulement mon guide, celle fois, ne craintaucun regard indiscret. Il me le démontre en actionnant une petitelampe électrique qu’il portait vraisemblablement sur lui.

Notre marche en devient plus facile.

Nous voici dans l’escalier principal montantau premier étage. Nous atteignons le palier. En face de nous sedessine la porte derrière laquelle les Solvonov nous attendaient,durant la soirée qui cacha ma délivrance par l’audacieuxX. 323.

Mon « maître », – j’emploiele mot avec intention, car je n’ai pas plus qu’un esclave lapossibilité de résister à sa volonté, – mon maître, dis-je, passesans s’arrêter.

Il se dirige vers l’aile du palaisofficiellement inhabitée et que, pour cette raison, lecomte nous avait attribuée comme résidence.

Il fait halte devant l’huis de la salle oùj’ai laissé mes compagnons endormis. Je parle du moins pour FraüMatilda et le comte Solvonov. En effet, j’ai eu la preuve que FritzAlsidorn simulait le sommeil, à telle enseigne que j’ai dûl’assommer dans le jardin pour l’empêcher de suivre Ellen.

Il m’est pénible de songer que je vais metrouver en face de la ridicule et jolie Tyrolienne.

Aussi je baisse modestement les yeux quand le« capitaine », poussant la porte, m’entraîne avec luidans la chambre.

Ainsi j’aperçois les jambes de Solvonov, lebas de la robe de Fraü Matilda. Ah ! cela suffit bien pourameuter les remords contre ma conscience.

Mon « guide » ne saurait deviner ledrame mental se déroulant en moi. Il me frappe une fois encore surl’épaule et fait sonner cet ordre à mes oreilles :

– Regardez !

Et de la volonté précise de lui dissimulerl’angoisse de mon âme, je tire l’énergie d’ouvrir les yeux engrand.

Je reste hébété sur place.

J’aperçois le comte,Mme Alsidorn, renversés sur leurs sièges. Lesfumées du soporifique ne sont pas encore dissipées. Il est naturelqu’ils soient ainsi. Je m’y attendais. Mais ce qui me bouleverseest que je vois également Fritz Alsidorn à la place où je l’ailaissé quand j’ai quitté la salle.

Fritz Alsidorn, que j’ai tué dans le jardin,est revenu dormir ici !

Le fantastique de l’incident opprime à telpoint ma substance grise, que j’oublie la présence du chefdes Yeux d’Or. Une impulsion irrésistible m’entraîne vers leTyrolien, je le regarde, je lui palpe le crâne. Le crâne est lisse,rien qui indique le coup violent dont je l’ai gratifié.

Un ricanement du « capitaine » mefait pivoter sur mes talons. Je le considère. Sous son masque levisage du misérable drôle doit subir les contractions du fourire.

– Ah bon ! fait-il avec effort,c’est vous qui avez assommé mon agent aposté dans le jardin. Je nem’expliquais pas la chose… Très drôle ! vous avez cru…

– Frapper Alsidorn dont je medéfiais.

Le rire du sinistre personnage masquéredouble.

– Ah ! vous vous défiezd’Alsidorn ; vous ne pouviez cependant deviner quej’imposerais sa vague ressemblance à l’un de mes agents.

Puis me secouant la main, sans que, ahuri parce geste, je songeasse à la retirer :

– Je ne vous en veux pas. Le défunt futun sot ! Tant pis pour qui se laisse prendre.

Sur cette oraison funèbre quelque peucavalière, il change le sujet de l’entretien.

– Laissons cela. Je n’ai pas fait un longdétour à travers le Caire pour pleurer ce stupide gaillard.Veuillez examiner avec attention ce brave Herr Alsidorn. Oh !de tout près ; n’ayez crainte, il ne s’apercevra pas de votreindiscrétion.

Et comme j’interroge de nouveau le visageplacide du Tyrolien, le masque d’Or Vert reprend :

– Non, pas la figure ; inutile devous hypnotiser sur la face de ce pauvre sire qui n’est pas un bienjoli garçon. Ce n’est point là ce que je souhaite de votrecomplaisance. Veuillez seulement porter les yeux sur sapoitrine.

Avant que la résonnance de ses paroles se soitéteinte dans la salle, mon regard scrute la poitrine de Herr Fritzet je recule, subitement pâle.

– Mort !

Oui, le pauvre diable ne dort pas, comme je lecroyais, ou plutôt il dort de ce sommeil profond qui n’a pas deréveil.

Et la cause de son trépas se dessine sur leplastron de sa chemise où quelques gouttes de sang ont dessiné unesorte de pieuvre de pourpre.

C’est un stylet enfoncé jusqu’à la garde, unstylet avec dix yeux d’or vert sur sa poignée.

Mon recul, mon émotion exaltent la joie du« capitaine » masqué.

– Regardez maintenant Fraü MatildaAlsidorn, je vous en prie.

Et son hilarité sonne, sonne dans mon crâne,tandis que sur le corsage clair de l’infortunée créature jedistingue la même tache sanglante, la même arme dont les yeux d’orvert semblent me considérer avec une ironie atroce.

– Et le noble comte Solvonov subira-t-ill’injure de votre indifférence ?

Je voudrais ne pas prolonger cette revue decadavres, mais la voix de mon tourmenteur courbe ma volonté, car jeregarde, je vois le stylet, la traînée de sang.

Lui, cependant, continuait avec la belletranquillité d’un mondain poursuivant une insouciante et banaleconversation d’entre dix et onze heures :

– Comptez, je vous prie. Un, deux, troisdéfunts. Je vais vous montrer la quatrième.

– La comtesse Nadia ? balbutiai-jemalgré moi.

Il inclina la tête :

– Elle-même. Oh ! je ne vous forcepas. Si vous vous sentez quelque répugnance à prendre congé d’elle,nous partirons quand il vous plaira.

Et me faisant signe de le suivre, il ajoutaavec abandon :

– Vous êtes aussi convaincu de sa mortque si vous l’aviez constatée de visu, n’est-ce pas ?Vous consentez donc à compter quatre pour cette charmantecomtesse ?

J’affirmai du geste. Ma langue se refusait àformuler une autre réponse.

– Parfait ! Nos relations serontbrèves ; mais je tiens à mériter votre confiance. Appelez cedésir : faiblesse, coquetterie, enfantillage ; peuimporte. Cela est et j’agis en conséquence.

Il m’avait parlé de cinq victimes. Dans sacomptabilité criminelle, il m’avait attribué le sixième rang.

Ceci se rappela à mon esprit ainsi qu’un rayonfulgurant.

– Qui est la cinquième victime ?murmurai-je angoissé.

Le terrible personnage me considéra avec uneimpertinence railleuse. Puis doucement il répondit :

– L’instant n’est pas venu. La vie,voyez-vous, Max Trelam, est une immense pièce de théâtre ; undialogue n’est goûté que s’il est réservé pour tel milieu, pourtelle scène de l’ouvrage. Eh bien, nous ne sommes pas encorearrivés à la scène où le renseignement que vous sollicitez feranaître l’effet que moi, auteur du drame vécu, je prétendsobtenir.

Je ne cherchai pas à le faire revenir sur sadécision.

Le ton sec, froid, tranchant dont il s’étaitexprimé, me démontrait que la prière même serait inutile. Sa voixavait cette sonorité particulière qui accompagne les résolutionsdéfinitives.

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