L’Espion X. 323 – Volume III – Du sang sur le Nil

Chapitre 5LE PARFUM DES LOTUS VERTS

Le soleil descendait vers l’horizonoccidental, quand mes paupières se décidèrent à démasquer mespupilles.

Mon premier soin fut de chercher ma compagne.J’eus un petit mouvement de mauvaise humeur, en constatant qu’elleavait sacrifié à Morphée moins longuement que moi-même.

Elle n’était plus là.

Machinalement, je me rapprochai de l’ouverturede la caverne ; j’espérais sans doute l’apercevoir. Elle nem’apparut nulle part.

Et cependant, de mon observatoire, je dominaistout le plateau des pyramides.

Au-dessous de moi, je discernais lesTombeaux des Bédouins, avec leur maigre bouquet depalmiers ; l’ancienne chaussée Sud, les tombeaux ruinés de lacinquième dynastie, les petites pyramides s’étageant entre monposte et la masse colossale de la grande pyramide de Khéops, dontla diagonale m’amenait à ses sœurs de taille décroissante, édifiéesà la mémoire de Khléphren et de Menkeoure.

Et au milieu de ces témoins des âges disparus,toute une bande de touristes se démenaient, pygmées agités dans undécor d’Immuable.

Escortés, tirés, poussés par leurs guidesfellahs, ils escaladaient les escaliers gigantesques formés par lesassises des tombeaux des pharaons. Ils venaient irrévérencieusementregarder le sphinx sous le nez, donnant l’impression d’inconscienceet d’irresponsabilité, que feraient naître des mouches se promenantsur le piédestal du lion de Belfort.

Même petitesse dans la plaine dorée par lesrayons obliques du soleil, mêmes mouvements désordonnés,inexplicables, enfantins. Véritablement, dès que l’on observe d’unpeu haut l’homme, ce pseudo-roi de la création, on arrive sanseffort à la conviction que l’on n’a sous les yeux qu’un infimeinsecte.

Au demeurant, j’étais peut-être mécontent dene reconnaître nulle part aux environs celle que je cherchais.

Tout à coup je la vis à côté de moi. J’eus unaccent de reproche pour lui dire :

– Je m’inquiétais de votre absence.

Exactement ce que j’aurais dit à ma regrettéeEllen. Toujours la confusion des deux sœurs ?

Et cela lui sembla certainement naturel, carelle expliqua, ainsi que l’eût fait la chère morte :

– La caverne s’enfonce dans la masserocheuse. Tout près, un couloir accède au sommet du plateau. Jevoulais observer le pays environnant sans risquer d’être vue.

Puis doucement :

– Vous êtes reposé ?

– Oh ! moi, un gentleman, j’auraispu me passer de repos ; mais vous…

Elle eut son sourire mélancolique, qui piquaiten ses grands yeux comme une flamme d’émeraude.

– La vie m’a appris à ne pas sentir lalassitude.

Mais brisant la conversation, elle me présentadeux fleurs.

Je regardai avec surprise.

C’étaient deux magnifiques lotus :seulement, au lieu de la couleur bleue des lotus sacrés, ceux-ciprésentaient des pétales glauques, d’un vert analogue à celui deslames de l’océan.

– Des lotus verts, murmurai-je un peusurpris ?

– Verts et parfumés, répondit-ellelentement. Ne soyez pas surpris. Ce ne sont pas les lotus desfresques égyptiennes, les lotus d’eau. Ceux-ci appartiennent à unjujubier qui croit sur les plateaux dépourvus de toute humidité.Voilà comment j’ai pu les cueillir là-haut.

Sa main indiqua la partie supérieure durocher, puis de nouveau elle me présenta les fleurs enrépétant :

– Parfumées, rendez-vous compte. Lesautres lotus, plus beaux certes, sont dépourvus de cette senteurexquise.

De fait, j’avais cru jusqu’à cette heure quele lotus était privé de tout arôme.

Je pris les fleurs, les considérai une secondeencore avant de les porter à mes narines.

Il me sembla que les sourcils de miss Tanagraesquissaient une légère contraction d’impatience. Je me trompaisévidemment.

Et j’aspirai longuement l’âme des lotus verts,pour parler comme notre poétesse Mashcliffe.

J’eus la perception fugitive que la faculté depenser m’abandonnait. Je cessai de distinguer la plaine, lespyramides, les touristes ; de deviner, au delà des sépulturesdes Pharaons, le Nil et ses rives verdoyantes, cachés par leplateau, support des construction antiques.

J’ai su plus tard que je venais de respirer del’essence de rose, additionnée d’un protoxyde d’azote quelconque,ce qui m’avait plongé incontinent dans une sorte de léthargie.

Cet état, paraît-il, avait paru nécessaire àX. 323 pour m’introduire sans éveiller l’attention dans laretraite qu’il m’avait ménagée au Caire.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer