L’Espion X. 323 – Volume III – Du sang sur le Nil

Chapitre 7LE VOL DES DIX OPALES

Soudain, Nelaïm se précipita dans la salle. Leboy agitait les bras, haletait. Ses yeux noirs au blanc bleuâtreroulaient éperdument.

– La police, Sidi, la police, clama-t-il.Li vouloir entrer chez toi !

Du coup, je fus arraché à mes préoccupationset, retrouvant le calme :

– La police ? Qu’est-ce que lapolice vient faire ici ?

– Nelaïm sait pas ça, Sidi. Lecril (terme argotique par lequel les fellahs désignent lechef d’une expédition policière), le cril vouloir dire àtoi-même.

Je me pris à rire ; oui, à rire, mesangoisses chassées par l’incident nouveau.

– Eh bien, Nelaïm, introduis cesmessieurs.

Et m’inclinant devant Fritz et MatildaAlsidorn qui écoutaient avec une évidente gaieté :

– Ceci ne doit pas interrompre notrecollation, car ces gens-là se trompent certainement.

Ma tranquillité avait réagi sur Nelaïm ;aussi le boy reparut un instant plus tard, lançant avec un respecttrop marqué pour être sincère :

– Les « môssieu » de lapolice !

Au surplus, les policiers entrèrent sansdiscerner l’intention gouailleuse du boy.

Le cril, puisque cril il y a, étaitsuivi par six gaillards, revolvers à la ceinture, bâtons depolicemen à la main.

Ils se rangèrent devant la porte, avec lapréoccupation visible de s’opposer à notre sortie.

Ceci encore me disposa à une douce gaieté.

Seulement une constatation s’imposa à monesprit. Les Alsidorn et moi restions seuls en présence des agents.Ellen avait disparu.

À quel moment la chère créature avait-ellequitté la pièce ? Je n’aurais su le dire. Et comme jereportais mon regard sur les Tyroliens, je discernai qu’eux aussicherchaient autour d’eux.

Je voulus les empêcher de formuler uneréflexion inopportune. Je brusquai donc le mouvement.

– Que puis-je pour votre service,messieurs ? demandai-je.

Le cril esquissa un haut-le-corps. Safigure basanée exprima la surprise.

– C’est à Sidi Max Trelam que j’ail’honneur de parler ? fit-il gravement sans répondre à maquestion.

– À lui-même, Max Trelam, qui prend lethé, ceci pour vous renseigner de suite, avec M. etMme Alsidorn, ses hôtes.

– Alsidorn, répéta l’homme, Alsidorn…Merci du détail, il m’évitera une course sans but ; j’ai aussiaffaire à eux.

– À nous ? gloussèrent les Tyroliensen se dressant avec un touchant ensemble.

Mais le cril les invita à se rasseoird’un geste sec, et comme je redisais, un peu agacé par l’airimportant de ce personnage :

– Enfin, que désirez-vous ?

Il répliqua froidement :

– Vous inviter à ne tenter aucunerésistance.

– À quoi ?

– À l’exécution du mandat dont je suischargé.

– Un mandat ?

– Mandat qui consiste à vous arrêter,ainsi que M. et Mme Alsidorn.

Nous nous trouvâmes debout, furieux, prêts àjeter dehors le mauvais plaisant qui s’amusait certainement denous. Mais le cril esquissa un geste et chacun de nous setrouva encadré par deux agents, dont l’air résolu nous avertit quetoute rébellion nous serait préjudiciable.

– Teufel ! s’exclama Alsidorn, quandon arrête les gens, il est au moins poli de leur dire pourquoi.

– Fritz, vous parlez selon la vérité,surenchérit Matilda avec éclat.

J’allais jeter ma note dans le concert. Lavoix du cril arrêta la parole sur mes lèvres.

– Votre requête est juste, plaisantal’homme. La loi égyptienne est respectueuse de la libertéindividuelle. Je parlerai donc comme si vous ne saviez rien.

– Mais nous ne savons rien, criâmes-nousen chœur, exaspérés par l’ironie tranquille de notreinterlocuteur.

Notre protestation ne l’émut en aucunefaçon.

– C’est entendu, vous ignorez de quoivous êtes accusés…

– Accusés ? Accusés dequoi ?

– Restez paisibles. Il m’appartient dediriger la conversation. C’est bien le moins, n’est-cepas ?

Le ton du policier me portait sur les nerfs.Je croisai les mains derrière mon dos pour résister à l’envieimmodérée de le boxer.

Lui, cependant, reprenait :

– Vous reconnaissez, j’imagine, avoirpassé la soirée d’hier au palais d’Ezbek, chezM. Solvonov.

– Quel rapport… commençai-je.

Il coupa ma phrase rudement.

– Répondez d’abord.

– Oui, j’y ai passé la soirée ainsi queM. et Mme Alsidorn.

La réplique sembla réjouir le cril,car il se frotta les mains avec énergie.

– En ce cas, poursuivit-il, tout devientsimple. Vous étiez tous trois seuls avec les épouxSolvonov ?

– Seuls, oui.

– Dans le grand salon dont le bow-windowdonne sur le parc Ezbekieh ?

– Oui encore.

– Vous l’avouez.

– Ah ! grondai-je exaspéré, prenezgarde. Les agents n’ont pas mission de se gausser du public. Je meplaindrai à mon plénipotentiaire…

La menace n’impressionna aucunement legaillard. Il la salua même d’un sourire bienveillant.

– Je ne doute pas qu’il accueille votreréclamation, surtout si vous consentez à lui apprendre ce quevous avez fait du brassard aux dix opales.

Un instant je crus avoir en face de moi unfou, un halluciné.

L’attitude de Fritz et de Matilda Alsidornexprimait si clairement la même pensée que, la surexcitationnerveuse aidant, je fus pris d’une hilarité irrésistible à laquelleles Tyroliens firent chorus.

L’agent cette fois fut interloqué. Il demandaavec une hésitation visible :

– Cela vous porte à rire. Vous savez doncoù se trouve le brassard ?

– Eh non ! par la raison simple quej’ignore même de quoi vous nous parlez.

La face du cril se rasséréna. Ilhaussa les épaules, grommela :

– Ah bon ! moyen de défense.

Et paternel, forçant l’intonationbienveillante :

– Je dois vous prévenir qu’à laPolice, vous ne vous en tirerez pas de cette manière. Lebrassard aux dix opales a disparu au cours de cette soirée où, devotre propre aveu, vous demeurâtes seuls avec vos hôtes du palaisd’Ezbek, donc…

– Eux-mêmes l’auront déplacé… Est-ce quel’on peut nous soupçonner, nous, d’être des voleurs… ?

– Oh ! protesta le policier, on nevous croit pas capable de dérober un joyau ordinaire, – ilappuya sur le mot, – mais M. le Consul de Russie a affirmé surl’honneur qu’il s’agissait là d’un bijou extraordinaire,que sa perte pouvait avoir des conséquences terribles, et que pluson appartenait à une classe élevée, plus il y avait de motifs desuspicion.

Les Alsidorn et moi nous regardâmes avecahurissement.

Le Consul de Russie à présent. C’était àperdre la raison. Pourtant, dans l’espoir d’entendre une parole memettant sur la voie, je questionnai encore :

– Au fait, où était cebrassard ?

Le cril ricana :

– Vous voulez m’entendre dire que levoleur est un adroit artiste.

– Votre opinion m’est indifférente ;veuillez seulement me répondre.

– Eh bien, M. Solvonov portaitle brassard aux dix opales au bras gauche, sur la peau même, un peuau-dessus du coude.

À cette réplique stupéfiante je restai sansvoix. Fritz Alsidorn se pencha à mon oreille :

– Cet homme est fou, susurra-t-il, uneinsolation sans doute. Finissons-en ; qu’il nous conduise à laPolice. Là, au moins, nous trouverons des gensraisonnables.

Ces quelques mots me calmèrent instantanément.Je regardai le cril d’un air pitoyable et je luidis :

– Tout cela n’a pas le sens commun ;mais faites votre devoir. Menez-nous à la Police Centrale.

Il s’inclina, satisfait de mon obéissance, cequi ne l’empêcha pas du reste de m’interdire de dire adieu à mafemme que j’aurais désiré faire appeler.

Et chacun des prisonniers entre deux agents,nous quittâmes la villa de l’Abeille. Sur le quai, je levai lesyeux vers les fenêtres du premier étage. J’espérais apercevoir lasilhouette aimée d’Ellen. Je me trompais, la douce chérie ne semontra pas, et je suivis mes gardiens avec une impression desoudaine et infinie tristesse.

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