L’Espion X. 323 – Volume III – Du sang sur le Nil

Chapitre 17UN COIN DU DÉSERT LYBIQUE

Durant neuf heures, je n’ai cessé de penseraux navigateurs novices affligés du mal de mer ; subir unesemblable obsession en plein désert, alors que l’on parcourt desplateaux dénudés, tantôt sablonneux, tantôt calcaires, et surlesquels ne se découvre pas trace d’humidité, semble étrange.

Pourtant le mouvement imaginatif s’expliquaitaisément. Il était le réflexe de la gymnastique désordonnée quem’imposait le trot allongé de ma monture.

On saute en l’air, on retombe contre le devantde la selle, on est rejeté en arrière. Et tout cela au milieu d’unnuage de poussière impalpable soulevé par les pieds desquadrupèdes.

Au demeurant, nous fîmes énormément de cheminà travers le désert Lybique, partie extrême-orientale du désert duSahara, lequel, commençant sur la rive de l’Atlantique, s’étend surtoute la largeur de l’Afrique jusqu’à la bande verdoyante arroséepar le Nil, au delà de laquelle le sol désertique reparaît, sous lenom de désert Arabique, enjambe la mer Rouge et occupe lessolitudes poudreuses, aux oasis clairsemées, de l’ArabiePétrée.

Étrange et sinistre pays de la soif.

Comme la veille, la lune brille. Sa clartéblanche atténue les tons fauves du sable, les glace de refletsbleuâtres, qui accroissent encore la tristesse du paysage.

On a l’impression de parcourir une terremorte… ; une terre qui n’a jamais vécu. Ici l’eau atoujours manqué, et l’eau est la vie de la terre !

Dans la partie occidentale du Sahara, ontrouve de profondes dépressions, lits desséchés d’anciensoueds (rivières), bus par le sol poreux, mais que lespuits artésiens remontent à la lumière, répandant la fertilité auxalentours.

Ici, c’est un haut plateau, ou plutôt unesérie de plateaux, inexorablement plats, séparés par des pentesraides, transformant le pays en un escalier gigantesque.

De loin en loin, des collines toujours rangéesen demi-cercle, massifs de roches résistantes qui ont moins que leterrain environnant subi les effets de l’érosion.

À un moment, le capitaine amène samonture au flanc de la mienne.

On gravit à cet instant l’une des rampespartageant la contrée. La conversation est possible, car lesméharis ont dû prendre le pas.

Mon geôlier en profite, mais je ne lui en aiaucune reconnaissance, car ses paroles ne m’incitent pas plus à lagaieté que le désert lui-même.

– Triste pays, dit-il comme entrée enmatière ; triste pays, Max Trelam.

J’incline la tête. À quoi bon exprimer leschoses évidentes jusqu’à la torture !

– Je regrette de vous contraindre à silugubre chevauchée ;– il ricane : – je devraisdire chameauchée, mais le mot n’existe pas, et je ne mesens pas assez littérateur pour accepter la paternité d’un telnéologisme.

Il discourrait dans un salon qu’iln’emploierait pas d’autres termes. Étrange bandit !

Son accent ironique me secoue. Je veux montrerun esprit aussi libre que le sien, et d’un accent aussi railleurque celui qu’il affecte :

– Je ne me plains pas. La tristesse duvoyage n’est rien, quand chaque minute rapproche l’instant où l’ongoûtera le repos.

– Le repos, redit-il avec une intonationbizarre.

– Eh oui, reprends-je avec une légèretéaffectée ; ne m’avez-vous pas promis que je mourrais à l’aubeprochaine ?

Il me considère longuement, sans répondre.Évidemment mon attitude l’intrigue. Il se demande quelle pensée secache sous mon calme. Il ne devine pas et je le sens inquiet.

Mon interlocuteur se penche vers moi.

– À sept milles de distance, se trouveune nouvelle hauteur à escalader. Nous reprendrons là laconversation.

– All right !

Je réponds sans manifester le moindreétonnement, bien qu’un entretien, composé de répliques échangées desept en sept milles, ne puisse passer pour un dialogue vif etanimé.

Le capitaine m’a quitté d’ailleurs.Il cause à voix basse avec l’un de ses complices.

Que disent-ils ? Je ne le puis entendre,mais dans leurs gestes se lit une inquiétude.

J’ai bien vu. L’énigmatique personnage serapproche de moi.

– Écoutez, Max Trelam, on m’avertit quepeut-être l’on tentera de vous délivrer.

– Ah bah !

L’exclamation échappée à mon étonnement semblel’irriter.

– Dispensez-moi de vos mines stupéfaites.Le renseignement éclaire une chose qui me paraissaitinexplicable : votre calme, votre impassibilité. De façonquelconque on vous a prévenu. Comment ? Je ne vous le demandepas, assuré que vous refuseriez de m’informer de ce qui seprépare.

– Cela, vous pouvez en avoir lacertitude.

Je n’ai pu retenir la phrase ironique. Avec lameilleure volonté du monde, on ne saurait révéler un secret quel’on ignore, n’est-ce pas ?

Mais décidément, le bandit n’est point un êtreami du rire, rien d’étonnant à ceci étant donné le métier plutôtdramatique qu’il exerce. Il riposte donc sèchement :

– Inutile d’affirmer, je ne doutepas ; seulement, continua-t-il, en scandant ses paroles, moije suis moins discret que vous, et je veux vous apprendre ce qui seproduira si une tentative se dessine en votre faveur.

– Je vous écoute de toute mon attention,soyez-en persuadé.

– Vos gardiens ont ordre, en casd’attaque, avant de riposter à leurs ennemis, de tirer chacun uncoup de revolver dans celle de vos oreilles la plus proche delui.

– La guérison de la migraine,m’exclamai-je en riant.

Oh ! ma gaieté ne provenait pas de maplaisanterie, assez niaise, je le reconnais ; mais bien del’expression des yeux, du geste de mon interlocuteur.

Fermé à la plaisanterie, bouché àl’émeri, selon la locution parisienne. Vous ne devineriezjamais la conclusion qu’il tire de ces neuf syllabes.

– Vous pensez que mes ordres ne serontpas exécutés.

– Non, non, ce n’est pas cela. Vous êtestrop persuasif pour n’être pas obéi. J’espère seulement quel’attaque, la tentative dont vous me menacez, n’aura paslieu.

– Pouvez-vous donc l’empêcher ?

– On peut empêcher ce que l’onconnaît.

– Qu’entendez-vous par cette phrasesibylline ?

– Que je vous prie de me confier ce quevos éclaireurs vous ont rapporté.

Il me regarde fixement. Je conserve l’air leplus innocent. Il se décide.

– Après tout, vous le verriez au passage.L’un de mes hommes est parti en avant, non pas pour éclairer matroupe, mais pour transmettre des ordres à de fidèles serviteursqui m’attendent en un point déterminé.

– En quoi cela me touche-t-il ?

– En quoi cela vous touche ? Nous yarrivons. L’homme a été tué au moyen d’un lasso.

– D’un lasso… Je croyais quecette corde manœuvrée à distance n’était employée que par lesvaqueros et cow-boys d’Amérique.

Il approuve de la tête.

– Vous avez raison. C’est pourquoi jem’inquiète de la chose, qui prouve que l’agresseur a voulu éviterle bruit. Un coup de fusil eût simplifié sûrement sa tâche ;mais on l’eût perçu à grande distance. Le meurtrier ne le voulaitpas.

Je remarque que le capitaineredevient tout à fait perspicace dès que l’on parlesérieusement.

– Le lasso indique que ce n’est point làle fait d’un bédouin pillard. Dès lors qui peut s’attaquer à mescompagnons ? Je vous laisse le soin de répondre.

– Je n’en sais rien.

Je dis l’exacte vérité, n’est-ce pas. Aussimon interlocuteur ne me croit pas.

– Vous refusez ; à votreaise, grommelle le bandit ; je ne suis pas tenu à la mêmeréserve. Je crois que la main de X. 323 était au bout dulasso.

– Je ne suis pas en situation de vousdémentir ; seulement je ne saisis pas le rapport que vousprétendez établir entre ce lasso et mon évasion.

– Si je le voyais moi-même, j’aurais déjàparé le coup. Je vous ai averti ; vous avez vu la nuitdernière, à Ezbek, que je ne reviens pas sur mes décisions.

Ezbek. J’eus un grelottement intérieur à lapensée des morts, des poignards, des dix yeux d’or.

Cependant je m’efforçai de prendre un tonindifférent.

– Bah ! mourir cette nuit ou aulever du jour, cela aurait quelque intérêt dans une ville… ;j’y appellerais peut-être un notaire, afin de lui dicter mesultimes volontés. Mais ici, en plein désert, l’heure n’a aucuneimportance. Croyez cependant que je suis reconnaissant de la bonnegrâce avec laquelle vous m’avez renseigné.

Il a un geste de rage. Son poing se crispemenaçant.

Non décidément, il déteste qu’on leplaisante.

Il rend la main à sa monture et va se placeren tête de la colonne.

Aussitôt je recommence à bondir sur ma selle.La course folle a repris.

À mes côtés trottent mes gardiens ;fidèles à la consigne donnée, ils tiennent le revolver à la main etleurs regards pèsent sur moi.

Tous les bandits ont du reste l’attitude degens redoutant une surprise.

Les carabines ne sont plus à l’arçon. Leshommes les gardent à la main, la crosse appuyée à la cuisse. C’estainsi que déambulent les escadrons en reconnaissance.

By Jove ! Malgré ses affirmations auxtombeaux des Khalifes, le capitaine se montre impressionnépar les procédés de X. 323.

Ma foi, je pense comme lui que X. 323 amanié le lasso.

Pourquoi par exemple ? Voici ce dont jene me doute pas.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer