Maman Léo – Les Habits Noirs – Tome V

Chapitre 11En dormant

 

Mme Samayoux avait enveloppéValentine dans un manteau de nuit pour l’asseoir à la place mêmeoccupée naguère par le colonel.

Les petits pieds de la jeune fille sortaientseuls des plis de l’étoffe et semblaient chercher la chaleur dufoyer.

– Tu es comme les autres, disait-elle d’un toninsouciant et doux, tu ne veux pas croire que j’avais un frère,mais moi je me souviens bien d’une nuit terrible… et quand je penseà cette nuit-là, c’est comme si on me racontait une histoire debrigands !

Elle baissa la voix tout à coup pour ajouterrapidement :

– Ils sont difficiles à tromper, prendsgarde !

La dompteuse ouvrit de grands yeux ; ellene savait que croire.

– Qu’est-ce que Maurice t’a dit pourmoi ? demanda tout haut Valentine.

– Je n’ai pas vu Maurice, réponditMme Samayoux.

– Quoi ! vraiment ! tu l’aimaispourtant bien autrefois !

– Ce matin encore, j’ignorais tout, reprit laveuve, et je me demande à moi-même comment cela se fait. C’estseulement ce matin qu’on a raconté devant moi cette horribleaventure.

Valentine l’interrompit pour dire d’un tonimportant :

– Mon frère était riche, et j’aurai une trèsbelle fortune.

Leurs regards se rencontrèrent, et certes,c’était dans les yeux de la veuve qu’on aurait pu découvrir dessymptômes de folie. Elle passa la main sur son front où il y avaitde la sueur. Valentine reprit :

– Embrasse-moi, maman Léo, nous irons le voirensemble. Est-ce qu’on peut se marier dans une prison ?

La dompteuse sentit qu’on glissait un papierdans sa main. En même temps la voix de la jeune fille murmura à sonoreille :

– Dans l’alcôve, si bas que j’eusse parlé, onm’aurait entendue. Ils sont là derrière le rideau.

– Qui donc ? balbutia la veuve.

– Ceux qui ont tué Remy d’Arx : lesHabits Noirs !

La veuve tressaillit de la tête auxpieds ; mais Valentine lui jeta ses bras autour du cou enriant bruyamment.

Et comme la pauvre maman Léo restait toutebouleversée, la jeune fille ajouta dans un baiser :

– Vous oubliez votre rôle, parlez-moi donc del’évasion ; ils vous guettent !

La dompteuse n’aurait pas été pluscomplètement étourdie si on lui eût rendu sur le crâne le coup deboulet ramé qui avait fait la fin de Jean-Paul Samayoux, sonmari.

Elle essaya pourtant et dit comme au hasard,répétant à son insu les propres paroles deM. Constant :

– Il n’y a pas de serrure dont on n’achète laclef avec de l’argent ; tout le monde est riche ici et tout lemonde a bonne volonté de mettre la main à la poche. On m’a ditcomme ça qu’il n’y avait que toi, fillette, pour s’opposer à ladélivrance de Maurice.

Valentine se renversa en arrière et prit uneattitude de profonde réflexion.

– Penses-tu qu’on puisse condamner uninnocent ? murmura-t-elle ; et tu sais bien qu’il estinnocent, n’est-ce pas ?

– Si je le sais ! répliquaMme Samayoux : quand il y aurait cent millionsde juges pour dire le contraire, je crierais encore qu’il estinnocent ! Mais ça n’empêcherait pas un malheur, vois-tu,fillette ? parce que les juges sont les maîtres. Et on en atant vu qui étaient blancs comme neige, porter leur pauvre tête surl’échafaud ! Voyons, il faut te faire une raison : quandMaurice sera libre, vous irez en Angleterre ou en Espagne, ou mêmeplus loin, et vous vous marierez ensemble.

– Et viendras-tu avec nous, toi, maman ?demanda la jeune fille.

– Certes, si vous voulez de moi.

Valentine se leva d’un mouvement plein depétulance et fit quelques pas dans la chambre.

– Je suis bien faible ! dit-elle.

Puis s’arrêtant devant la glace qui était surla cheminée, elle ajouta :

– Je suis bien pâle !

Puis encore, avec un frisson qui secoua sesmembres, en mettant un cercle noir autour de ses yeux :

– Maurice est peut-être plus pâle quemoi !

Elle revint s’asseoir, mais au lieu des’appuyer désormais au dossier du fauteuil, elle mit sa tête surl’épaule de la veuve, de façon à ce que son visage fût masqué pourun regard venant de l’alcôve.

– Je vais dormir ainsi, dit-elle,veux-tu ?

– Je veux bien, répondit la veuve, quireprenait quelque sang-froid et entrait peu à peu dans son rôle,mais pourquoi ne pas te remettre au lit ?

– Ceci est bien, murmura Valentine tout bas,continue.

Elle ajouta tout haut :

– Parce que je suis mieux comme cela ; ilme semble que tu me gardes.

– Tu as donc peur, chérie ?

– Quelquefois, oui… je revois mon frère…Oh ! comme je l’aurais aimé !… et mon père… tous deuxlivides, tous deux morts… J’ai sommeil, bonsoir !

Dans la position qu’elle avait prise, sabouche était tout contre l’oreille deMme Samayoux.

– Maintenant, ne me répondez plus, dit-elle,si bas que la dompteuse avait peine à l’entendre. Si vous restezbien immobile, comme il faut faire pour ne point éveiller unepauvre folle qui dort, cet homme ne se doutera même pas que je vousparle à l’oreille. Avez-vous bien serré le papier que je vous aidonné ? Vous le lirez quand vous serez seule. Je ne suis pasfolle, vous l’avez déjà deviné, et ce ne sont pas les juges quimenacent notre Maurice le plus terriblement. J’ai vu Maurice danssa prison.

Ici la dompteuse laissa échapper un si brusquemouvement, que Valentine fit comme si elle s’éveillait ensursaut.

– Qu’as-tu donc ? demanda-t-elle, à voixhaute. J’étais déjà embarquée dans un beau rêve, le rêve que j’aitoujours dès que je m’endors.

– Moi, répliqua la veuve avec à-propos cettefois, c’était tout le contraire, je m’étais endormie aussi etj’avais un mauvais rêve.

– Si le mien pouvait seulement revenir !murmura Valentine reposant de nouveau sa tête charmante surl’épaule de Mme Samayoux.

– Vous voyez, reprit-elle bien bas, tandis queson attitude abandonnée feignait encore une fois le sommeil, vousne m’avez pas obéi. Quoi que je dise, désormais gardez votrecalme ; il est nécessaire que vous sachiez tout. Mauricem’avait écrit pour me demander du poison, car la mort infamante luifait peur, et j’ai été le voir pour lui porter le poison qu’ilm’avait demandé.

Elle s’interrompit, ajoutant d’un tonparesseux et de manière à être entendue par l’espion qui, selonelle, était aux écoutes :

– J’ai de la peine à me rendormir, parce quetu m’as éveillée en frayeur.

– Vous le voyez, poursuivit-elle de cette voixmurmurante qui certes ne pouvait aller jusqu’à l’alcôve, j’ai toutema présence d’esprit, et Dieu sait qu’elle n’est pas de trop pourcombattre l’épouvantable danger qui nous entoure ! Si j’ai puquitter cette demeure et pénétrer dans la prison de la Force, oùMaurice a été transféré depuis quelques jours, c’est que mesgeôliers, à moi qui suis aussi prisonnière, ont favorisé mondessein. Je ne pourrais prouver cela, mais j’en suis sûre. Nousjouons, eux et moi, une partie étrange, une partie mortelle ;ils sont nombreux, ils sont rusés comme des démons, et moi je suistoute seule, et moi je ne suis qu’une pauvre enfant ignorante de lavie. Mais Dieu peut-il être pour le mal contre le bien ?L’espoir me reste, je garde mon courage, parce que j’ai confianceen la bonté de Dieu.

Elle se sentit pressée contre le cœur de ladompteuse qui battait à se rompre.

– Oui, reprit-elle, je vous comprends, bonneLéo, j’ai tort de parler d’abandon puisque vous êtes là ; maisc’est précisément la bonté de Dieu qui vous envoie, et jusqu’àl’heure où nous sommes, je peux bien dire que j’étais seule. Nem’interrogez pas, je sais ce que vous voulez me demander : lesgens qui m’entourent sont de deux sortes, et certes,Mme la marquise d’Ornans, qui pendant deux annéesm’a servi de mère, a pour moi l’affection la plus dévouée. Ellen’est pas complice, elle est victime, car le fils unique qui devaitperpétuer son nom est couché au fond d’une tombe. Il y a une autrepersonne encore qui ne sait rien de leurs secrets, c’est cettepauvre belle créature : Francesca Corona. Je ne sais pas queldélai on leur donnera, ni combien de jours leur seront accordés,mais croyez-moi, elles sont toutes les deux condamnées comme moi,comme Maurice, comme vous-même.

Cette fois la veuve n’eut point de frisson.Elle ne tremblait jamais quand la menace ne s’adressait qu’àelle.

À son tour, elle put sentir l’étreinte du brasfrêle et gracieux qui entourait son cou.

Elle sourit sans parler.

– Oh ! vous êtes brave, bonne Léo,continua Valentine, et c’est vous qui nous sauverez, s’il estpossible de lutter contre l’infernale puissance de ceshommes ! Je vais vous dire maintenant comment je reçus lalettre de Maurice et comment il me fut possible, non seulement desortir de ma prison, mais encore de pénétrer dans la sienne.

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