Maman Léo – Les Habits Noirs – Tome V

Chapitre 40La voiture des mariés

 

Lecoq n’avait point menti. À la Force, toutavait réussi comme par enchantement. Malgré la différence un peutrop marquée de tournure et de figure qui existait entre le beaulieutenant et notre Échalot, ce dernier avait pu sans encombreopérer l’échange chevaleresque et prendre place sur l’escabelle ducaptif après avoir revêtu tant bien que mal sa défroque.

Les habits de prisonnier ne sont pas faits surmesure.

Une myopie épidémique ayant envahil’administration, personne ne s’était aperçu de rien. Tout au plusle concierge avait-il fait un peu la grimace en voyant la tailledégagée du lieutenant flotter dans la redingote noire que le torsedodu de l’ancien apprenti pharmacien bourrait tout à l’heure.

– Patronne, avait dit Échalot au moment de laséparation, je vous recommande Saladin, mon adoptif, à cause de lafaiblesse de son âge et que son vrai père est incapable de leguider dans le sentier de la vertu. Quant à moi, la chose de m’êtresacrifié pour vous permettre de l’agrément suffira à mon cœur en leconsolant dans sa solitude. À vous revoir et bonnechance !

– À te revoir ma vieille ! avait répondula dompteuse en lui serrant la main à l’écraser ; je te signeen ce jour le choix que je fais de ta personne dans la foule desprétendants qui soupirent à l’entour de moi. Je te prends à lamaison avec l’emploi de mon mari qui sera plus tard tarécompense.

Dans la rue Pavée, la voiture de la marquiseattendait. Sur le siège nous aurions pu reconnaître ce cochersilencieux qui répondait au nom de Giovan-Battista ; derrière,le valet de pied qui tenait les cordons ressemblait, malgré saperruque poudrée et son majestueux uniforme, à ce bandit facétieuxqui partageait à l’estaminet de L’Épi-Scié la popularité du jeuneCocotte : monsieur Piquepuce.

Maurice et Valentine s’assirent l’un auprès del’autre, maman Léo prit place sur le devant, après avoir jeté aucocher l’adresse de l’hôtel de Bozzo.

La voiture se mit en marche et prit la rueSaint-Antoine. Maman Léo resta un instant silencieuse à regarderles deux jeunes gens qui se tenaient par la main pensifs etrecueillis.

– Ah ça ! dit-elle brusquement, enfronçant le sourcil pour refouler une larme qui venait à sapaupière, il n’y a donc plus que moi de brave ici ! Vous avezl’air de deux condamnés qui montent à la Roquette. Saquédié !si nous sommes dans une forêt de Bondy, il y a assez de passantsici autour pour mettre à la raison les brigands et les loups. Sic’était moi qui menais la danse, le cocher baragouineur et ceméchant sujet de Piquepuce, que j’ai reconnu sur le siège dederrière, auraient bien vite les quatre fers en l’air, et dans dixminutes nous aurions dépassé la barrière du Trône augalop !

Valentine répondit tout bas :

– Avec un mot, un seul mot, ceux que vousvenez de désigner feraient de chaque passant un ennemi plus acharnéà nous poursuivre que les loups et les brigands. Il y a ici unassassin qui s’évade.

En disant cela, elle porta les mains deMaurice à ses lèvres.

– C’est vrai ! murmura maman Léo, quibaissa la tête malgré elle. On n’a jamais vu rien de pareil ;tout est contre nous : les voleurs, la justice, le mondeentier !

Elle entrouvrit son casaquin et y prit unepaire de pistolets, qu’elle présenta à Maurice.

– Lieutenant, dit-elle, ça te connaît ;il m’en reste, et je joue assez bien de cet instrument-là, moiaussi.

Maurice prit les armes qu’on lui tendait avecun mouvement de joie.

– Si nous passons la porte de cet enfer,continua la dompteuse, il faut du moins que nous puissions répondreà ceux qui nous parleront.

Valentine secoua sa tête charmante etmurmura :

– Ces armes-là ne valent rien. Je ne sais passi celles que j’ai choisies sont meilleures. Après Dieu, qui tientnotre vie dans sa main, il n’y a qu’une seule créature humaine enqui j’espère ; tout dépend de Coyatier.

– J’ai plutôt idée, moi, gronda maman Léo, quetout dépend du colonel. Mais ne te fâche pas, chérie ; monde profundis est dit et bien dit. Roule ta bosse, c’esttoi qui as le plus gros enjeu ; c’est à toi de tenir lescartes.

Le lecteur sait désormais laquelle pensaitjuste, de Valentine d’Arx ou de maman Léo, sur la question deCoyatier et du colonel.

La voiture allait au trot des deux beauxchevaux de la marquise. Dans ces rues du centre de Paris, si gaieset si pleines, il aurait suffi d’un mot prononcé à la portière pourobtenir une aide instantanée. Moins que cela, rien n’empêchait dedescendre, et si l’on eût été vraiment dans la forêt de Bondy,maman Léo à elle seule aurait eu bien vite raison des deux banditsdéguisés en valets.

Mais ce qui fait d’ordinaire la sécurité detous était ici la perte de nos fugitifs. Ce n’étaient, en réalité,ni Giovan-Battista, ni monsieur Piquepuce qui les tenaientprisonniers. L’arme invisible les avait touchés : ils étaientgarrottés par une chaîne magique.

Au moment où ils arrivaient devant la portecochère de l’hôtel Bozzo, et pendant que la voiture s’arrêtait,Valentine offrit son front à Maurice, qui l’effleura de seslèvres.

Giovan-Battista demanda la porte, etl’équipage entra dans la cour.

Ils descendirent. Un domestique les attendaitau bas du perron et se chargea de les introduire.

Maman Léo ne parlait plus.

En montant l’escalier, Maurice pressait lebras de Valentine contre son cœur.

– Comme nous aurions été heureux !murmura-t-il.

– L’âme ne meurt pas, répondit la jeune fille,dont les beaux yeux étaient levés vers le ciel.

Une porte s’ouvrit au-devant d’eux et ils setrouvèrent dans la chambre du colonel, disposée comme nous l’avonsdit et déjà remplie par ceux qui devaient assister au mariage.

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