Marcof-Le-Malouin

Chapitre 11LES SOUTERRAINS.

Pendant les quelques instants qui suivirent ledépart du chevalier de Tessy, Yvonne, terrifiée, demeura immobile,sans voir et sans penser. La fièvre qui s’était emparée d’elleredoublait de violence sous le poids de ces secousses successives.Un miracle de la Providence fit qu’heureusement le délire ne revintpas. Un peu de calme même prit naissance dans la solitude profondeoù elle se trouvait.

Alors elle attira à elle d’une maindéfaillante les vêtements épars sur son lit, et essaya de s’encouvrir. À force de patience et de courage, elle parvint às’habiller à peu près. Elle se leva.

Ce qu’elle voulait, ce qu’elle suppliaitintérieurement Dieu de lui faire trouver, c’était une arme, uncouteau, un poignard à l’aide duquel elle pût essayer de sedéfendre ou de se donner la mort. Cependant le temps s’écoulaitrapidement : d’un moment à l’autre quelqu’un pouvait venir lasurprendre faible et sans aucun espoir de secours, car ses regardsanxieux interrogeaient en vain les murailles nues de lacellule.

Outre le lit dressé à la hâte par Jasmin, iln’y avait dans la petite chambre que deux sièges : un divan,et une sorte de bahut en ébène adossé à la muraille. Ce fut vers cemeuble qu’Yvonne se traîna, trébuchant à chaque pas, mais soutenuepar la pensée que peut-être l’intérieur du bahut lui offrirait cemoyen de défense qu’elle sollicitait si ardemment.

Deux portes massives et finement sculptées lefermaient extérieurement. La jeune fille essaya en vain de lesouvrir. Elles étaient fermées à clef. Yvonne passa plus d’une heureà user ses ongles roses sur les boiseries du bahut.

Enfin, défaillant, grelottant par la force dela fièvre, pouvant à peine se soutenir, elle se laissa glisser surles dalles, en proie au plus sombre désespoir. Un bruit qu’elleentendit extérieurement la fit revenir à elle.

C’étaient des pas dans le corridor : maispersonne n’entra dans la cellule. La jeune fille essaya de serelever. Ne pouvant y parvenir, elle chercha un point d’appui ens’appuyant sur le meuble.

Sa main se posa sur la tête d’une cariatide debronze qui ornait l’un des angles. Dans le mouvement que fitYvonne, elle attira à elle la cariatide.

Tout à coup elle la sentit céder.Effectivement la statuette s’abattit sur deux charnières qui laretenaient au pied, et découvrit une petite plaque de cuivre aucentre de laquelle se trouvait un anneau de même métal. Sans serendre encore bien compte de ce qu’elle faisait, Yvonne agenouilléepassa son doigt dans l’anneau et tira. L’anneau céda.

Aussitôt un mouvement lent et régulier s’opéradans le bahut, qui tourna sur un de ses deux angles appuyés à lamuraille, et découvrit une ouverture étroite, mais néanmoins assezgrande pour qu’une femme y pût passer facilement. Yvonne étouffa uncri et joignit les mains pour remercier le ciel.

– Oh ! murmura-t-elle, les secretssouterrains du couvent, dont j’ai tant entendu parler.

Les forces lui étaient revenues avec l’espoird’un moyen de salut. Elle alla jusqu’à la porte et écoutaattentivement. Elle n’entendit rien qui pût l’inquiéter.

Alors, revenant à l’ouverture pratiquée dansle mur, elle s’avança doucement. Le bahut en s’écartant avait donnélibre accès sur un escalier qui descendait dans les profondeurs ducloître. Seulement une obscurité complète ne permettait pas d’enmesurer la longueur. Mais Yvonne n’hésita pas.

Elle murmura une courte prière, se signa, etleva la cariatide qui pouvait déceler son moyen d’évasion, etposant le pied sur les premières marches, elle attira le bahut àelle. Le meuble vint reprendre sa place avec un bruit sec attestantla bonté du ressort. Yvonne s’appuyant contre la muraille commençaà descendre.

L’obscurité, ainsi que nous l’avons dit, étaittellement profonde que la jeune fille ne pouvait avancer qu’avecles plus grandes précautions. Trois fois elle trébucha sur lesmarches usées, et trois fois elle se releva pour continuer samarche. Enfin elle atteignit le sol. Mais là son embarras futextrême. Elle ignorait où elle se trouvait.

Elle avait bien deviné qu’elle était dans lessouterrains de l’abbaye ; mais où ces souterrainsaboutissaient-ils ? Elle ne le savait pas.

Les issues mêmes n’avaient-elles pas pu êtrecomblées lorsqu’on avait expulsé les nonnes ? Si cela était,ou même si la fièvre et la maladie empêchaient Yvonne de continuerà se traîner vers une ouverture praticable, une mort atrocel’attendait dans ce tombeau. Elle aurait à subir, sans espoir desalut, les tortures de la faim et de la soif. Un moment elle eutregret de sa fuite.

Puis l’image du chevalier s’offrit à elle, etelle se dit que mieux valait la mort, quelque lente et cruellequ’elle fût, que d’être restée entre les mains de pareilsmisérables. Soutenue par cette pensée, elle s’engagea dans ledédale des souterrains.

Ce qu’elle redoutait encore, c’était que lesecret qu’elle avait découvert fût à la connaissance des hommes quil’avaient enlevée ; car, si cela était, on se mettrait à sapoursuite dès qu’en pénétrant dans la cellule on s’apercevrait deson évasion. Cette autre pensée, plus effrayante que la perspectivede la mort, lui rendit complètement le courage prêt à l’abandonner.Elle réunit le peu de forces qui lui restaient par une suprêmeénergie, et s’avança courageusement.

Elle erra ainsi pendant plusieurs heures, sanspouvoir se rendre compte du temps écoulé. Aucun point lumineuxindiquant une ouverture ne brillait à l’extrémité des galeriesqu’elle parcourait. Une sueur froide inondait son visage. À chaquepas elle trébuchait, et se soutenait à peine le long de la muraillehumide. De distance en distance, ses pieds rencontraient desflaques d’eau bourbeuse creusées par les pluies qui, filtrant àtravers le sol supérieur, rongeaient la pierre et pénétraient dansles galeries.

Elle enfonçait alors dans la vase en étouffantun cri de frayeur. Des hallucinations étranges s’emparaient de soncerveau. Peu à peu la fièvre redoublant d’intensité ramena avecelle le délire.

Une force factice la faisait encore avancercependant, mais il était évident que cette force se briserait à lapremière secousse. Il lui semblait entendre tourbillonner et voirvoltiger autour d’elle des monstres aux proportions gigantesques,des insectes hideux, des êtres aux formes indescriptibles quil’étreignaient dans une ronde infernale. Des paroles confusesétaient murmurées à son oreille. Le souterrain tremblait sous sespieds vacillants. Se sentant tomber, elle s’appuya contre le mur,et demeura immobile, la tête penchée sur son sein agité par laterreur et par la fièvre. Ses paupières alourdies s’abaissèrent, etun frissonnement agita tout son être.

– Mon Dieu ! mon Dieu ! j’aipeur, murmurait-elle d’une voix brisée et saccadée, et en serendant si peu compte du sentiment qui faisait mouvoir ses lèvres,que le bruit des paroles qu’elle prononçait augmentait encore sontrouble et son effroi en venant frapper son oreille.

Yvonne fermait les yeux, croyant échapperainsi aux visions fantastiques que causait son imaginationaffolée ; mais, loin de s’évanouir, ces visions devenaientalors plus effrayantes, et se transformaient pour ainsi dire enréalité ; car, aux êtres fabuleux qu’il lui semblait entendrevoltiger autour d’elle, se joignait le bruit véritable causé parces myriades d’animaux, habitants ordinaires des endroits humideset délaissés.

Un moment la pauvre petite parut reprendre unpeu de sentiment et de calme. Se soutenant toujours à la muraille,elle continua sa marche sans paraître se soucier des êtres immondesque le bruit de ses pas faisait fuir de tous côtés.

Deux fois elle poussa un cri de joie et secrut sauvée, car deux fois elle aperçut une lueur lointaine qui luisembla être celle causée par la lumière du ciel pénétrant par uneétroite ouverture. Ces lueurs successives émanaient de versluisants rampant sur la voûte des galeries souterraines. Bientôt savolonté et son énergie furent complètement épuisées, ses genouxtremblaient et vacillaient, les artères de ses tempes battaientavec violence et lui martelaient le cerveau. Tout à coup le pointd’appui que lui offrait le mur lui manqua. Sa main ne rencontra quele vide. Incapable de se soutenir elle trébucha, chancela, perditl’équilibre, et roula sur le sol en poussant un soupir. Elle avaitperdu entièrement connaissance.

C’étaient les pas incertains d’Yvonne, c’étaitce soupir exhalé de sa poitrine haletante que Jocelyn avaitentendus. Le vieux serviteur, le corps penché, demeura immobile etsilencieux, les traits contractés par l’épouvante. Prêtantl’oreille avec une attention profonde, Jocelyn écouta longtemps.Puis, n’entendant plus aucun bruit, il revint vers son maître.

– Eh bien ? demanda le marquis.

– J’ignore ce qui se passe, monseigneur,répondit Jocelyn ; mais je suis certain qu’il y a quelqu’undans les galeries.

– Tu as entendu parler ?

– Non, j’ai entendu marcher.

– Un pas d’homme ? demanda lareligieuse.

– Je ne puis vous le dire, madame.

– Et ces pas se sont éloignés ?

– Non, monseigneur ; j’ai entendu lachute d’un corps, puis un soupir, puis plus rien.

– C’est peut-être quelqu’un qui a besoinde secours ! s’écria le marquis. Allons, viens, Jocelyn.

– Philippe ! dit vivement lareligieuse en arrêtant le marquis, Philippe, ne me quittezpas !

– Monseigneur ! fit Jocelyn enjoignant ses instances à celles de Julie, monseigneur ! nesortez pas ! Songez que vous pourriez vous compromettre.

– Faire découvrir notre retraite !continua Julie.

– Et qui sait si ce n’est pas uneruse !

– Cependant, fit observer le marquis,nous ne pouvons laisser ainsi une créature humaine qui peut-être abesoin de nous.

– De grâce ! Philippe, songez àvous ! Je vous ai dit que l’autre aile du couvent étaithabitée par des gens que je ne connaissais point. Ils ont découvertsans doute le secret des galeries souterraines ; mais ils nepeuvent venir jusqu’ici. Il n’y avait que moi et notre digneabbesse qui eussions connaissance de cette partie du cloître danslaquelle nous sommes. Une imprudence pourrait nous perdretous !

– Puis, monseigneur, reprit Jocelyn, lanuit va bientôt venir ; alors je sortirai par l’ouverturesecrète d’en haut ; je connais les autres entrées dessouterrains ; je ferai le tour du cloître ; j’ypénétrerai et j’atteindrai ainsi la galerie voisine ; maisjusque-là, je vous en conjure, ne tentons rien !

– Attendons donc la nuit ! dit lemarquis en soupirant.

Et tous trois rentrèrent dans la cellule, surle seuil de laquelle le marquis s’était déjà avancé.

Ainsi que l’avait dit Jocelyn, la nuitdescendit rapidement. Alors le vieux serviteur se disposa àaccomplir son dessein. Seulement, au lieu de se diriger vers laporte secrète en dehors de laquelle Yvonne gisait toujoursévanouie, il gagna une galerie située du côté opposé. Bientôt ilatteignit un petit escalier qu’il gravit rapidement. Arrivé ausommet il pénétra dans une pièce voûtée qu’il traversa, et, aumoyen d’une clé qu’il portait sur lui, il ouvrit une porte de ferimperceptible aux yeux de quiconque n’en connaissait pasl’existence, tant la peinture, artistement appliquée, ladissimulait au milieu des murailles noircies.

Alors il se trouva dans l’aile droite ducouvent. À la faveur de l’obscurité il atteignit la cour commune.Là, caché derrière un pilier, il jeta autour de lui des regardsinterrogateurs. Deux fenêtres de l’aile gauche étaientsplendidement éclairées.

Jocelyn, certain que la cour était déserte, latraversa rapidement. Il voulait, en gagnant une hauteur voisine,essayer de voir dans l’intérieur, et de connaître les nouveauxhabitants. Malheureusement les vitraux des fenêtres étaient peints,et ne permettaient pas aux regards de plonger dans l’intérieur.Jocelyn, déçu dans son espoir, abandonna la petite éminence, etsongea à pénétrer dans les souterrains par une des issues donnantsur la campagne, et dont il connaissait à merveille lesentrées.

Au moment où il longeait l’aile gauche del’abbaye, il aperçut un homme qui traversait la cour et quimarchait dans sa direction. Jocelyn, vêtu du costume des paysansbretons, était méconnaissable. Il attendit donc asseztranquillement, certain de ne pas être exposé à une reconnaissancefâcheuse. Mais l’homme passa près de lui sans le voir, et sedirigea tout droit vers un rez-de-chaussée que le comte avaitconverti en écurie. Cet homme était Jasmin. Il allait simplementdonner la provende aux chevaux.

Le vieux serviteur du marquis de Loc-Ronan sesentit saisi d’une inspiration subite. Dévoré par le désir deconnaître de quelle espèce étaient les gens qui habitaient si prèsde son maître, et pouvaient d’un moment à l’autre devenirpossesseurs de son secret, Jocelyn rentra dans la cour, prit uneéchelle appuyée dans un des angles, la plaça devant l’une desfenêtres éclairées, et monta rapidement.

En voyant le domestique du comte sortir ducorps de bâtiment, en entendant les chevaux hennir à l’approche deleur avoine, Jocelyn avait supposé la vérité, et il avaitmentalement calculé qu’il avait le temps d’accomplir son projetavant que le domestique eût terminé ses fonctions depalefrenier.

Mais à peine eut-il atteint l’échelon del’échelle qui lui permettait de plonger ses regards dansl’intérieur, qu’il fut saisi d’un tremblement nerveux, et qu’ilsauta à terre plutôt qu’il ne descendit. Jocelyn venait dereconnaître le comte de Fougueray, le chevalier de Tessy, et lapremière marquise de Loc-Ronan.

Ignorant des circonstances qui avaient conduitces deux hommes dans l’abbaye, Jocelyn pensa naturellement qu’ilsavaient deviné et la supercherie de son maître, et le lieu de saretraite. Aussi, oubliant le bruit qu’il avait entendu dans lessouterrains, et qui avait été la cause de sa sortie, il ne prit quele temps de remettre l’échelle à sa place, et, avec l’agilité d’unjeune homme, il franchit la distance qui le séparait de l’entrée ducloître mystérieux où l’attendaient Julie et Philippe.

En le voyant entrer pâle, les cheveux endésordre, l’œil égaré, le marquis et la religieuse poussèrent uneexclamation d’effroi.

– Qu’as-tu ? s’écria vivementPhilippe.

– Que se passe-t-il ? demanda lareligieuse.

Jocelyn fit signe qu’il ne pouvait répondre.L’émotion l’étouffait.

– Monseigneur ! dit-il enfin d’unevoix entrecoupée, monseigneur, fuyez ! fuyez sansretard !

– Fuir ! répondit le marquis étonné.Pourquoi ? À quel propos ?

– Mon bon maître, ils savent tout !vous êtes perdu !…

– De qui parles-tu ?

– D’eux !… de cesmisérables !

– Du comte et du chevalier ?

– Oui !

– Impossible !

– Si, vous dis-je !

La pauvre religieuse écoutait sans avoir laforce d’interroger ni de se mêler à la conversation rapide quiavait lieu entre son mari et le vieux serviteur.

– Jocelyn, reprit le marquis qui nepouvait encore comprendre le danger dont il était menacé, Jocelyn,ton dévouement t’abuse ; tu te crées des fantômes.

– Plût au ciel, monseigneur !

– Mais alors, qui te faitsupposer ?…

– Ils sont ici !

– Ces hommes dont tu parles ?

– Oui !

– Ils sont à Plogastel ?

– Dans l’abbaye même.

– Dans l’abbaye ! s’écria cette foisla religieuse en frissonnant.

– Hélas ! oui, madame !

– Impossible ! Impossible !…dit encore le marquis.

– Je les ai vus ! réponditJocelyn.

– Quand cela ?

– À l’instant même !

– Dans les souterrains ?

– Non, monseigneur, dans l’aile gauche ducouvent !

Et Jocelyn raconta rapidement ce qu’il venaitde faire et de voir. Il dit que lorsque ses regards plongèrent dansla chambre éclairée, il avait aperçu le comte et le chevalier àtable, et auprès d’eux une autre personne encore.

– Une femme ? demanda lemarquis.

Jocelyn fit un signe affirmatif, puis ilregarda la religieuse et se tut.

– Elle ?… s’écria Philippe illuminépar une pensée subite.

– Oui, monseigneur, répondit Jocelyn àvoix basse.

Un silence de stupeur suivit cette brèveréponse. La religieuse, agenouillée, priait avec ferveur. Desombres résolutions se lisaient sur le front du marquis. Pour lui,comme pour Jocelyn, il était manifeste que le comte et le chevalierconnaissaient la vérité et s’étaient mis à sa poursuite. Sans cela,comment expliquer leur arrivée dans l’abbaye déserte ?

Ainsi ce que Philippe avait fait devenait nul.Il allait encore se retrouver à la merci de ses bourreaux, et, quiplus était, s’y retrouver en entraînant Julie avec lui. Pour sortirlibre de l’abbaye, il lui faudrait sans aucun doute accéder auxpropositions qui lui avaient été faites. Non-seulement abandonnersa fortune, ce qui n’était rien, mais reconnaître pour son fils unétranger, fruit de quelque crime qui déshonorerait le nom sirespecté de ses aïeux.

Philippe avait la main posée sur un pistolet.Il eut la pensée d’en finir d’un seul coup avec cette existencehorrible et de se donner la mort. La vue de Julie priant à sescôtés le retint.

Jocelyn, en proie aux terreurs les plus vives,conjurait son maître de fuir promptement sans tarder d’un seulinstant.

– Fuir ! répondit enfin le marquis.Où irai-je ? Chacun me connaît dans la province ! Je neferai pas cent pas en plein soleil sans être salué par une voixamie. Oh ! si Marcof était à Penmarckh, je n’hésiteraispas ! J’irais lui demander un refuge à bord de sonlougre !

– Écoutez-moi, Philippe, dit lareligieuse en se relevant, Dieu vient de m’envoyer une inspiration.Voici ce que vous devez, ce que vous allez faire : Je vous aidit que, seule dans le pays, une vieille fermière connaissait monséjour dans l’abbaye. Cette femme m’est entièrement dévouée. Jepuis avoir toute confiance en elle et la rendre dépositaire dusecret de toute ma vie. Elle se mettra avec empressement à mesordres et consentira à faire tout ce qui dépendra d’elle pour nousêtre utile, j’en suis certaine. Grâce à la nuit épaisse qu’il faitau dehors, nous pouvons encore sortir tous trois sans être vus.Nous nous rendrons chez elle. Son fils est pêcheur et habite lacôte voisine, près d’Audierne. Vous vous embarquerez avec lui. Vousgagnerez promptement les îles anglaises, et une fois là, vous serezen sûreté.

– Et vous, Julie ? demanda lemarquis.

– Moi, mon ami, une fois assurée de votredépart, je reviendrai ici.

– Ici !… oh ! je ne le veuxpas !

– Pourquoi, Philippe ?

– Mais ce serait vous mettre entre lesmains de ces misérables ! Vous ne savez pas, comme moi, dequoi ils sont capables !

– Qu’ai-je à craindre ?

– Tout !

– Ils ne me connaissent pas.

– Qu’en savez-vous ? Leur intérêtétant de vous connaître, ils vous devineront.

– Qu’importe ?

– Non ! encore une fois ! Jefuirai, mais à une condition.

– Laquelle ?

– Vous m’accompagnerez en Angleterre.

– Cela ne se peut pas, Philippe.

– Alors, je reste !

– Philippe ! je vous enconjure ! s’écria la religieuse désolée. Partez !consentez à fuir !

– Jamais, tant que vous serez exposée,Julie !

– Eh bien ! je vous promets dedemeurer quelques jours chez la fermière. Je ne reviendrai àl’abbaye que lorsqu’elle sera de nouveau solitaire.

– Non ! je ne pars pas sansvous !

– Mon Dieu ! mon Dieu ! vousvoyez qu’il me contraint à abandonner votre maison ! dit lareligieuse en levant les mains vers le ciel.

– Dieu nous voit, Julie ; ilm’absout !

– Eh bien ! partons, alors !reprit Julie avec une expression de résolution sublime.

Jocelyn se dirigea vers les souterrains.

– Non ! dit vivement lareligieuse ; peut-être y sont ils déjà. Partons par lecloître.

Jocelyn obéit. Tous trois prirent alors laroute qu’il avait parcourue lui-même quelques minutes auparavant.Pour plus de précaution, Jocelyn sortit seul d’abord. Il s’assuraque le cloître était désert. Puis il revint prévenir le marquis etJulie.

Cette fois, seulement, ils ne traversèrent pasla cour, ainsi que l’avait fait le vieux serviteur. La religieuseleur fit suivre les arcades, et bientôt ils atteignirent le jardindu couvent qu’ils parcoururent avec mille précautions dans toute salongueur. À l’extrémité de ce petit parc, Julie se dirigea vers unepetite porte qu’elle ouvrit et qui donnait sur la campagne.

Tous trois franchirent le seuil. Une véritableforêt de genêts hauts et touffus se présenta devant eux. Ils s’yengagèrent, certains d’être ainsi à l’abri des poursuites. PuisJulie, leur indiquant la route, se mit en devoir de les conduire àla demeure de la paysanne dont elle leur avait parlé. La Providenceavait abandonné la pauvre Yvonne.

Depuis plus de deux heures, la malheureuseenfant était demeurée dans la même position. Étendue sur le solhumide, dévorée par une fièvre brûlante, en proie à un délireépouvantable, sans voix et sans force, elle se mourait. Aucunespoir de secours n’était admissible.

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